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11 mars 2016 5 11 /03 /mars /2016 20:34

http://www.liberation.fr/debats/2016/03/09/de-gaulle-cohn-bendit-le-dialogue-secret_1438567

Charles de Gaulle et Daniel Cohn-Bendit, le dialogue secret

Par Laurent Joffrin

Mercredi 9 Mars 2016

La journaliste politique Christine Clerc imagine un « souper » entre le vieux général et le leader improvisé de la révolte étudiante. Un faux dialogue qui sonne pourtant très juste.

C’est la rencontre imaginaire de deux rêveurs, au cœur d’une nuit peuplée de cauchemars. Deux hommes aussi différents que possible, que la magie de l'histoire a fait duellistes d’un affrontement brutal où se joue le sort du pays.

Daniel Cohn-Bendit et Charles de Gaulle, dans la vraie vie, ne se sont jamais parlé. Pourtant, ils ont dialogué pendant un bon mois à coup de discours et de communiqués, comme deux orateurs surdoués dans des styles antagoniques, rythmant de leurs péroraisons archaïques ou fulgurantes le mois de mai 1968, quand la France a joué une de ces parties au bord du gouffre qui font le charme de son histoire.

Christine Clerc, journaliste politique, écrivaine et connaisseuse érudite de la famille de Charles de Gaulle et de bien d’autres personnages, raconte leur entrevue fictive au soir du 28 mai 1968 dans un Elysée désert, quand Charles de Gaulle vieilli et déprimé songe à quitter la scène et qu’il veut rencontrer le lutin capricieux qui l’a presque jeté dehors à la force d’un verbe insolent, « Dany le Rouge », leader improvisé d’une révolte étudiante qui a fini par paralyser le pays et ébranler les institutions. A la manière du Souper, la pièce de Jean Claude Brisville, qui reconstitue l’entrevue entre Joseph Fouché et le prince de Talleyrand au moment de la chute de Napoléon, les deux personnages se jaugent, se combattent et se rapprochent, découvrant chez l’autre la même flamme du rebelle qui les réunit. Charles de Gaulle au soir de sa vie et Daniel Cohn Bendit dans l’insouciance d’une génération qui a l’avenir pour elle.

Charles de Gaulle rêvait de la France et Daniel Cohn-Bendit rêvait de la liberté. Le premier jouait sa partie nationale sur l’échiquier mondial, l’autre ne croyait ni aux frontières ni aux nations et cherchait dans l’émancipation individuelle l’utopie que l’autre plaçait dans la grandeur du vieux pays. Deux amoureux des chimères, qui croyaient néanmoins à l'histoire, en somme. Deux démiurges de notre république du vingt et unième siècle, qui repose sur les fondations bâties par Charles de Gaulle, mais raisonne le plus souvent, en ces temps d’individualisme triomphant, comme Daniel Cohn-Bendit.

Le 28 mai 1968, la France vacille. La révolte commencée à Nanterre par Daniel Cohn Bendit et les siens a dégénéré en émeute parisienne, en affrontements violents autour des barricades de la rue Gay-Lussac et bientôt en une grève générale qui arrête le pays et fait trembler la république gaullienne. Georges Pompidou négocie avec le Parti Communiste Français (PCF) qui abhorre le mouvement de mai 1968 encore plus que lui et qui accepte de mettre fin à la grève en échange de concessions sociales. Le mouvement étudiant cherche un débouché du côté de Pierre Mendès France pendant que François Mitterrand, qui craint de se faire doubler, pose carrément sa candidature à la succession. Charles de Gaulle ne dort plus, voyant s’effondrer, en un mois, ce qu’il construit depuis dix ans, taraudé par la tentation du retrait, même si l’armée l’assure de son soutien et que la population s’est fatiguée des désordres.

Christine Clerc raconte fort bien la genèse de ce mois de mai 1968 insensé quand une étincelle met le feu à la plaine et que la société française joue un psychodrame qui débouchera, non sur la révolution communiste mais sur le bouleversement des mentalités.

Avant de partir pour Baden-Baden retrouver le général Jacques Massu, qui va le requinquer et le convaincre de retourner à Paris pour renverser le cours des événements en quelques phrases cinglantes, Charles de Gaulle convoque secrètement Daniel Cohn-Bendit qu’il veut comprendre et peut-être convaincre. Le dialogue est faux mais l’échange sonne vrai. Charles de Gaulle ne veut pas admettre qu’une révolte étudiante aux motifs aussi futiles puisse affaiblir soudain la France. Il rappelle à Daniel Cohn-Bendit ses états de service de révolutionnaire, lui, l’homme seul face à la défaite et au pétainisme affaissé, le fondateur de l'état social français, l’architecte d’une république et le paladin d’une France revenue au premier rang. Daniel Cohn-Bendit marque le coup, entre dans les raisons de son adversaire et pourtant ne lâche rien, décrivant le prosaïsme hiérarchisé et l’idéal purement consommateur d’une république dont le développement matériel frustre l’âme des peuples.

Charles de Gaulle retrouve les accents de sa jeunesse péguyste, il s’est toujours méfié de l’argent, il croit à la force des idées et il a toujours été tenu en méfiance par une bourgeoisie soucieuse de ses intérêts et non de ceux de la France, une bourgeoisie qui a clairement choisi, désormais, Georges Pompidou contre lui.

Ces deux pères de la France contemporaine étaient-ils, finalement, du même côté ? L’hypothèse fait toute la saveur du livre.

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