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1 avril 2017 6 01 /04 /avril /2017 15:52

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/03/30/toujours-debout_5103350_3232.html

 

Un an après, Nuit toujours Debout

 

Par Catherine Vincent

 

Que va-t-il se passer, en France, le Samedi 32 Mars 2017 ? La seule certitude est que les ­acteurs de Nuit Debout seront là. En ce Samedi Premier Avril 2017, soit le Samedi 32 Mars 2017, selon le calendrier instauré par le collectif, ils diffuseront dans plusieurs villes un recueil de propositions de réformes démocratiques ayant pour objectif la fin de la professionnalisation de la vie publique. Et une pétition adressée aux citoyens les appelle « à construire ensemble, depuis la base, un débat public, populaire et indépendant sur la démocratie et les institutions ». Dernière étincelle d’un mouvement qui ne fut qu’un feu de paille ? Ou signe que les cendres couvent sous la braise ?

Il y a un an, en pleine mobilisation contre la loi travail portée par Myriam el Khomri, le mot d’ordre jaillit soudain d’un petit groupe de militants. « Ce soir après la manifestation, nous ne rentrons pas chez nous et nous occupons une place ».

C’est ainsi, le 31 mars 2016 à Paris, que débuta Nuit Debout. « Quand nous avons lancé le mouvement, nous étions à quelques mois des attentats du 13 novembre 2015. On ne nous parlait que de sécurité et d’état d’urgence. Personne parmi nous ne pouvait imaginer que cela durerait si longtemps », se souvient Leila Chaibi, l’une de ses initiatrices.

Dans les semaines qui suivent, la place de la ­République à Paris et d’autres places dans d’autres villes de France deviennent le théâtre d’une occupation citoyenne. Permanents ou de passage, ses participants s’assemblent pour ­témoigner, échanger et inventer la ­société de demain.

C’était une réponse joyeuse et délibérative au désenchantement de la démocratie, l’envie d’une pensée politique et le plaisir d’une action citoyenne et du faire ensemble.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette vague protestataire, apparue spontanément dans le sillage des mouvements des places qui se sont succédés, depuis le début des années 2010, dans le parc Zuccotti à New York, le parc Gezi à Istanbul et sur les places ­Tahrir au Caire, Puerta del Sol à Madrid, Maïdan à Kiev ou Syngtama à Athènes ?

Pour le philosophe Patrice Maniglier, qui a participé activement à l’occupation de la place de la République avant de s’en dégager, le constat est sans appel. « Pour moi, ce fut un échec », écrit-il dans « Nuit Debout et notre monde », le numéro que la revue des Temps Modernes a consacré, à la fin de l’année 2016, au mouvement. Car « ceux qui n’ont aucun pouvoir ne peuvent avoir de force qu’à condition de se retrouver nombreux, or cette dynamique s’est retournée, le grand nombre est parti ou il n’est pas venu ».

L’économiste et philosophe Frédéric Lordon, qui fut l’un des visages de cet événement inédit, est sensiblement sur la même ligne. « Tous les mouvements insurrectionnels commencent à très petite échelle. Le problème pour le pouvoir c’est quand cela gagne et quand la plaine entière vient à s’embraser. Nous n’allons pas nous raconter des histoires, le feu n’a pas, ou pas encore, pris », ­estimait-il, le 8 septembre 2016, dans le Bondy Blog.

L’un des échecs de Nuit Debout, s’interroge le sociologue Michel Kokoreff, de l’université de Saint Denis, a-t-il été « de ne pas avoir réussi à ­mobiliser les quartiers populaires et de ne pas être sorti de l’entre-soi de la classe moyenne déclassée » ? Force en tout cas est de le reconnaître, la convergence des luttes ne s’est pas produite. Nuit Debout n’a donné naissance à aucun parti Podemos à la française, comme l’ont fait les indignés espagnols. Ni essaimé comme l’avait fait Occupy Wall Street qui était parvenu, grâce à son large usage d’internet, à toucher près d’une centaine de villes dans le monde entier.

Et pourtant, à suivre le colloque sur « les expérimentations démocratiques aujourd’hui » qu’organisait à la fin du mois de janvier 2017, à Saint-Denis, le Groupement d’Intérêt Scientifique pour la Démocratie et la Participation (GISDP), il est clair que le mouvement ne se résume pas à l’échec. Et pas seulement parce que le film de François Ruffin, Merci Patron, qui fut l’un de ses catalyseurs, a reçu le César 2017 du meilleur documentaire.

D’abord parce que, pour beaucoup de citoyens, jeunes ou moins jeunes, l’occupation des places fut un baptême. « Il y a tout un tas de gens qui n’auraient jamais mis les pieds dans une réunion militante traditionnelle, qui ne seraient peut-être même pas allés en manifestation et pour qui le fait de venir place de la République a été la première marche vers la participation », souligne Leila Chaibi.

D’autres ont vécu ce moment comme la reprise d’un espoir. Céline par exemple, une militante de Rennes de vingt neuf ans sans emploi, qui se définissait jusque-là comme militante non pratiquante, « le mouvement n’a pas seulement changé mon rapport au politique, il a changé ma vie. Le milieu militant est souvent un peu fermé, nous pensons parfois que nous n’avons pas la capacité d’y entrer. Nuit Debout nous a montré que si. Je me suis dit que nous pouvions changer les choses, qu’il fallait se mobiliser et que je pouvais le faire ». Céline fait désormais partie du noyau dur de Nuit Debout Rennes resté particulièrement actif depuis un an.

Car certains ne s’en sont pas tenus à l’occupation des places du printemps dernier. Venant de quatorze villes de France, de petits groupes se sont d’abord retrouvés au mois de juillet 2016 à la fête annuelle des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Un mois plus tard c’était à Paimpont, puis à Challain. Au total, quatre ou cinq rencontres inter-Nuit Debout eurent lieu.

Ce sont elles qui ont donné naissance aux propositions du 32 mars, issues de collectes de paroles recueillies à Rennes, Paris et Marseille. Pour Christine Guionnet, politologue à la première université de Rennes, il n’y a eu « ni échec ni disparition du mouvement, mais une transformation du sens que ces citoyens ont voulu donner à leur action ». Action qu’elle connaît bien pour avoir entamé, dès le mois de septembre 2016, une enquête de terrain sur Nuit Debout Rennes.

Le site internet www.rennesdebout.bzh, la ­radio pirate Radio Croco, le journal ­papier à prix libre Ouest Torch et le site collaboratif www.expansive.info, dès 2016, les membres du collectif de Rennes ont transformé l’expérience initiale en un certain nombre d’actions concrètes, aide aux réfugiés, rassemblement contre les violences policières et marche contre la corruption des élus. « Ils ont réussi à constituer une plate-forme collaborative de mobilisations », estime Christine Guionnet. « Ils sont devenus les catalyseurs d’une action sociale prête à surgir à n’importe quel moment ». Un processus plus citoyen que militant, qu’elle qualifie d’engagement rhizome. Telle cette tige souterraine qui émet chaque ­année des ­racines et des tiges aériennes, le mouvement est peu ­visible, mais ressurgit ponctuellement selon l’actualité politique.

« Nous entendons dire que Nuit Debout est un échec parce qu’il n’a pas donné naissance à une organisation pérenne. Mais ce raisonnement, très développé en sciences politiques, s’appuie sur un mode binaire », poursuit cette chercheuse. Il se fonde sur l’idée que soit on fait de la politique institutionnelle partisane ou professionnelle, soit on reste aux marges du jeu politique de ­façon protestataire et l’on est alors voué à rester parcellaire et fragmentaire. « Or avec Nuit ­Debout comme avec d’autres expériences démocratiques actuelles, on assiste », pense Christine Guionnet, « à l’apparition d’un objet politique mal identifié, dont la nature est précisément de rester fragmentaire ».

Le signe, peut-être, qu’est en train de s’établir « un nouveau lien politique en dehors de la politique institutionnelle ». Mais avec quel objectif ? La sociologue française Cécile Van de Velde, qui poursuit à l’université de Montréal une recherche sur la montée de la colère sociale et citoyenne, a analysé les mots employés sur les slogans ou pancartes d’un certain nombre de mouvements de contestation, le printemps érable à Montréal, la révolution des parapluies à Hong Kong et Nuit Debout. Chez tous, elle a remarqué une scission fondamentale entre nous et les autres. Mais précise-t-elle, « les autres recouvrent énormément de figures de domination, les hommes politiques, bien sûr, mais aussi la finance et l’Europe. Alors se révolter, oui, mais contre qui » ?

Autre constante de ces mouvements, particulièrement revendiquée par Nuit Debout, la volonté de demeurer des citoyens et rien d’autre. Dans une démocratie représentative, cela peut constituer une faiblesse. Tout comme l’horizontalité absolue imposée par le collectif, qui refuse tout leader et toute hiérarchie. « C’est la rançon de leur identité », observe Christine Guionnet.

A ses yeux, cette exigence ouvre une perspective. « Jusqu’à présent, nous avions l’impression que, face au constat de la crise du lien représentatif, la seule solution était la démocratie participative, avec toutes les limites que nous lui connaissons également », explique-t-elle. « Et voilà qu’apparaît peut-être une nouvelle génération de citoyens, ayant la volonté d’être actifs en politique sans forcément se substituer aux partis ou aux associations. Une sorte de démocratie itérative dans laquelle il s’agit seulement de proposer d’être présent, régulièrement, pour donner à entendre la voix citoyenne sur tel et tel sujet ».

Même écho chez Romain Slitine, maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) et coauteur du Coup d’Etat Citoyen, aux éditions de la Découverte en 2016, pour qui ce mouvement comme ses cousins internationaux « ont fait émerger des laboratoires où tous les possibles sont permis ».

Le philosophe Patrice Maniglier, pourtant déçu par la retombée de la mobilisation, limite lui-même la portée de l’échec. Car Nuit Debout « fut aussi un lieu d’éducation populaire tout à fait singulier », où beaucoup ont appris à se familiariser avec l’évocation de nouvelles pratiques démocratiques et avec l’idée d’un renouvellement de l’action par le bas. Et qui peut prévoir les conséquences d’une telle prise de conscience ? Il affirme que « Nuit Debout ne renaîtra pas de ses cendres sous la même forme. Mais quelque chose couve sous ces cendres ».

 

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