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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 18:47

 

 

CONVERGENCE DES LUTTES ET HEGEMONIE POLITIQUE

 

Vous trouverez ci-dessous deux paragraphes d’un très long message d’Emmanuel Barot relatif à l’actuel mouvement étudiant et à la question de la convergence des luttes. Le message est disponible en totalité si vous consultez le site internet Révolution Permanente à l’adresse ci-dessous.

 

Bernard Fischer

 

http://revolutionpermanente.fr/Sur-quelques-contradictions-et-le-caractere-transitoire-du-mouvement-etudiant-actuel-11896

 

Cristallisation des contradictions et absence de direction et de coordination unifiée au plan national

 

Il existe actuellement deux coordinations nationales principales de la mobilisation étudiante. Il y a une Coordination Nationale des Luttes (CNL) essentiellement animée par la mouvance autonome et il y a une Coordination Nationale Etudiante (CNE) qui cherche à actualiser les cadres des CNE qui ont structuré les mouvements antérieurs. Le type de structuration des CNE antérieures s’est considérablement transformé dans les dernières années. Du fait combiné, d’abord, d’un discrédit croissant des appareils traditionnels qui y prédominaient jusque-là, à l’image de l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF) et ses manœuvres bureaucratiques ou boutiquières, et de l’affaiblissement tout court de ces appareils, en particulier les anciens satellites directs ou indirects du Parti Socialiste, l'UNEF, le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), le Mouvement des Jeunes Communistes de France (MJCF) et l'Union des Etudiants Communistes (UEC), dans la foulée de l’effondrement du Parti Socialiste. Cela en a produit un affaiblissement au sens où un certain nombre d’habitudes et de méthode d’organisation se sont perdues.

Mais, à l’image de la crise des médiations et de l’encadrement réformiste caractéristique des périodes de crise organique, cela ouvre des possibilités d’auto organisation renouvelée sur des fondements beaucoup plus démocratiques et sur des bases radicales, issues du cœur des mouvements locaux. Même si le Mouvement de la France Insoumise (MFI), de son côté, s’efforce de capitaliser un maximum, dans le principe un peu plus à gauche, sur la crise de ces organisations plus traditionnelles et d’augmenter sa pénétration dans la jeunesse, il n’est malgré tout pas capable de faire la différence et il va parfois jusqu’à compenser en reconduisant à son tour ces pratiques anti-démocratiques injustifiables. C’est l’ensemble de ces organisations qui se trouvent dans une situation où elles n’arrivent pas à constituer une direction crédible du mouvement.

En résumé, cette faiblesse inédite de relais des organisations traditionnelles dans le mouvement desserre l’étau bureaucratique qui a pu sévir par le passé, limite les possibilités de contention et donne plus de possibilités objectives à l’auto-organisation. Mais simultanément, l’absence d’organisations suffisamment mûres capables à l'échelle nationale de proposer une véritable alternative, même si les jeunes du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) par exemple, certains collectifs ou syndicats locaux, travaillent en ce sens, finit également par constituer un autre type de frein au mouvement. D’où une perte d’hégémonie de ces cadres et un terrain laissé relativement vacant sur lequel, de fait, les logiques et les politiques autonomes trouvent à se développer. Une fois n’est pas coutume, ces dernières sont un symptôme parlant de la situation de transition actuelle. Cette dualité des coordinations, même s’il existe des possibilités de les rapprocher auxquelles il faut travailler, cristallise en l’état l’absence de direction nationale unifiée du mouvement et elle est donc une plus grande preuve de son immaturité politique.

Il est frappant de voir que la condamnation des réformes et de la répression et la conscience de la nécessité de s’organiser localement comme nationalement, jusqu’à l’appel à la grève générale, sont communs à la CNL et à la CNE, par exemple dans son dernier appel de Saint Denis. La persistance de cette dualité des coordinations ne peut signifier qu’une chose. Au delà des préoccupations générales communes et des homologies dans la lettre, des divergences sur l’auto-organisation, sur le rôle des assemblées générales démocratiques, sur la stratégie et sur le sens et les conditions de construction de la convergence des luttes à une échelle de masse, continuent de jouer à plein.

Quatrième contradiction, une convergence des luttes polysémique

Pour analyser cette polysémie, repartons d’abord de l’hypothèse selon laquelle le mouvement étudiant actuel n’est pas encore un mouvement de rue, notamment parce qu’il pâtit du manque de perspectives dans la situation d’ensemble, les cheminots ne sont pas en grève reconductible et il n’y a pas de perspective de grève générale, comme nous l'avons évoqué plus haut, mais aussi parce qu’il manque de perspectives propres, c’est-à-dire concernant la lutte sur le plan de l’université même. Manque de perspectives, c’est-à-dire d’abord opacité ou insuffisances sur le plan des objectifs et de fins qui lui soient propres, suffisamment conscientisées, résultats d’une confrontation d’idées suscitant un assentiment majoritaire, et suffisamment convaincantes sinon enthousiasmantes pour alimenter un engagement durable et large. Bref, une carence sur le programme, c’est-à-dire sur ce pour quoi il faut lutter. Mais aussi et corrélativement carence sur comment lutter, qui alimente le doute sur les moyens, stratégiques et tactiques, susceptibles de gagner contre le gouvernement.

Face au rouleau-compresseur de la dernière décennie, et au sentiment social encore ancré selon lequel une victoire sera très difficile, nous pouvons considérer que joue à plein la persistance pour des raisons combinées d'un scepticisme encore tenace, lisible en filigrane, sur les possibilités du mouvement. Une tentative de réponse, croisant ce double manque de perspectives, s’exprime cependant par l’aspiration plus présente que jamais à la convergence des luttes. Mais le contenu et les formes de ce leitmotiv généralisé sont eux-mêmes extrêmement hétérogènes. La convergence des luttes a remplacé le tous ensemble de 1995 par exemple. Mais alors que le tous ensemble est un slogan, un mot d’ordre aussi symbolique que politique, la convergence des luttes joue en apparence sur un terrain plus stratégique. Appeler à la convergence des luttes, c’est constater l’existence d’une multiplicité de luttes et estimer nécessaire de les combiner pour faire poids contre l’ennemi commun et ses politiques. Mais en réalité elle joue le rôle d’une formule fourre-tout qui ne présume en rien de ses voies de sa concrétisation. Nous pouvons en distinguer schématiquement là encore, deux conceptions idéales typiques, la réalité se chargeant d’en présenter, de même que pour le rapport aux blocages et aux occupations, toutes sortes de combinaisons intermédiaires.

Le premier type de conception est celle de la convergence conçue comme la coagulation de luttes diverses et variées, vues comme essentiellement indépendantes, chaque lutte en valant une autre, mais dont l’unification est cependant nécessaire en raison de l’existence d’un ennemi commun, le gouvernement et ses politiques anti sociales, réactionnaires et répressives. Ici c’est l’ennemi qui est le principe unificateur et le principal sujet de l’affrontement. Cette conception est très enracinée dans la constellation post marxiste, elle traverse autant les courants autonomes que le néo réformisme et le populisme de gauche du type de celui d'Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe et elle donne évidemment lieu à des variantes importantes. Ces dernières, et le mélenchonisme en est le prolongement politique, pensent par exemple la convergence des luttes au nom et au service d’un peuple éminemment flou et contre les élites, conception qui dissout totalement les frontières de classe et qui opacifie, par exemple, la relation spécifique entre les étudiants et les travailleurs.

Face à cette conception verticaliste, l’option plus horizontaliste de type de celle de Toni Negri, celle des multitudes comme autant de sujets politiques indépendants devant se rencontrer pour faire bloc, anime, consciemment ou non, les courants plus autonomes. Certains au sein de ces derniers, à l’image de ceux influencés par le Comité Invisible, radicalisent la question de l’ennemi, moyennant le prisme de Michel Foucault par exemple, selon lequel cet ennemi commun n’est pas tant, en tous cas pas seulement, le gouvernement, mais le pouvoir se logeant partout et tout le temps en tout un chacun. L’approche conduit alors démultiplier le flou sur les revendications et les priorités et sur la distinction entre tactique et stratégie et elle conduit à saper à la base l’idée pourtant centrale de cette convergence des luttes, à savoir la nécessité de construire un front commun et opérationnel contre un adversaire identifié comme principal au moins conjoncturellement. Mais un élément commun à ces variantes parfois formellement très différentes, élément déterminant, est l’invisibilisation, ou en tout cas la très forte minoration, de la classe ouvrière comme centre de gravité de l’alternative à construire, élément qui constitue, dans un certain nombre de cas et même si ce n’est pas conscient, le fondement objectif de certaines alliances de fait entre le MFI et les courants autonomes.

Face à cette conception de la convergence des luttes comme une juxtaposition, soit sans principe structurant, soit avec un principe structurant mais éthéré, illusoire ou carrément mystificateur, le peuple de Jean Luc Mélenchon par exemple, qui est bien un signifiant extrêmement flottant, comme le revendiquait Ernesto Laclau, une conception opposée de la convergence des luttes part de la centralité de la classe travailleuse et elle se pense comme une unité de résistance et d’offensive fondée sur un point de vue de classe, contre l’ennemi commun et ses politiques réactionnaires. Une telle unité doit pouvoir s’exprimer au travers d’un programme commun de revendications défensives comme offensives, c’est-à-dire exprimant l’existence d’intérêts communs, et capable de s’incarner en une force de frappe régulièrement unifiée dans l’action. Cette conception de la convergence des luttes est une conception de l’hégémonie politique fondée sur l’idée que le centre de gravité de la situation est la lutte de classes, que toute victoire réelle doit s’appuyer sur les intérêts communs de la majorité des exploités et des opprimés ou cibles des attaques et, lorsqu’il peut y avoir des tensions ou même des divergences de classe, par une politique d’alliances bien ciblée. Ici le principe structurant ce n’est pas l’ennemi à lui seul. C'est aussi le sujet social, ouvrier et populaire, avec le mouvement étudiant comme une de ses fractions ou alliés majeurs, consciemment reconstruit en vue d’une action de masse, aux antipodes de toute logique minoritaire ou substitutiste.

Entre ces deux conceptions, par-delà les similitudes formelles et indépendamment du fourmillement d’actions ponctuelles de convergence des luttes, manifestations, rassemblements, meetings et blocages d’axes routiers, qui peuvent mobiliser tout le monde, le fossé reste potentiellement énorme et en permanence ouvert à dislocation.

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