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7 mars 2019 4 07 /03 /mars /2019 20:02

 

 

https://www.liberation.fr/france/2019/03/06/francois-ruffin-l-air-mutin_1713455

 

François Ruffin, l’air mutin

Par Rachid Laïreche

Mercredi 6 Mars 2019

Le trublion insoumis, qui dérange autant la République En Marche (REM) que le Mouvement de la France Insoumise (MFI), sort un livre contre Emmanuel Macron et un documentaire sur les Gilets Jaunes. Personnage complexe tiraillé entre l’action politique de terrain et le journalisme satirique, le député avance en masquant ses ambitions.

François Ruffin est un animal politique paradoxal, écartelé entre l'ombre et la lumière. Le député du MFI du département de la Somme se démène, s’échine pour ne pas verser dans la banalité. Il tente des coups, il provoque, il irrite et il séduit. Gentil ou méchant, il clive. Tous ceux qui l’observent trouvent ce qu’ils cherchent.

Le fondateur du journal Fakir parle cru, il se fond dans la masse et il s’envisage comme un animateur démocratique. Il n'est pas question de se placer au-dessus du peuple. Parfois, à l’observer, nous avons le sentiment que ses habits d’élu pèsent lourd. Le doute se lit dans son regard. Des interrogations paraissent le tarauder, aussi. Mardi 5 Mars 2019, dans un entretien au média en ligne Brut, il s’est livré sans gants, « j’ai un sentiment de médiocrité régulier, en particulier à l’adolescence, et je me demande si je vais m’en sortir un jour. Ce sentiment d’être nul, d’être une merde et de ne pas trouver son chemin. Ou est-ce que nous allons être valorisés ? Est-ce qu’il y a des gens qui vont nous aimer ».

François Ruffin aime se retrouver au centre du jeu, voir son nom écrit en gros sur les affiches ou les écrans, devancer et initier la tendance. Depuis le début du quinquennat, il enchaîne les livres. Le dernier en date, ce pays que tu ne connais pas, s’adresse directement à Emmanuel Macron. L’élu a également produit un documentaire, je veux du soleil, un tour de France des ronds-points tenus par les Gilets Jaunes en lutte.

Les deux faces du personnage offrent un cocktail détonnant et un objet ferraillant non identifié. Forcément, cela fait causer. Nombre de ses adversaires politiques observent son ascension avec une forme d’inquiétude. Certains pointent la dangerosité de sa stratégie populiste, un combat entre les élites et les citoyens. D’autres s’interrogent et se demandent jusqu’où il peut aller dans ses barouds, qu’il met en scène contre le président de la république, son meilleur ennemi.

Les questions s’enchaînent. Que cherche-t-il au juste ? Cherche-t-il une candidature aux prochaines élections présidentielles ? François Ruffin regarde ailleurs. Il s’en moque. Il est persuadé que sa place se trouve au milieu de la foule et des petites personnes, loin des commentateurs, et que tous les maux du pays se régleront par des réformes sociales. Depuis le début de son mandat, il évolue au gré des événements, sans vraiment demander l’avis de ses copains insoumis. Un député lesté d’un fatras de doutes, qui souhaite rassembler le plus grand nombre tout en la jouant solo, entouré d’une petite équipe de collaborateurs acquis à sa cause.

Le 20 juin 2017, le MFI arrive en nombre place du Palais-Bourbon pour la rentrée parlementaire. Ils sont dix sept, de nouvelles têtes, des rires, de l’agitation et des photographies. C'est un moment historique. François Ruffin, lui, se tient déjà un peu à l’écart, distant. Ce n'est pas son truc, les fêtes de famille. Posé à l’ombre, le tout nouveau député de la Somme souffle, « il faut que je trouve ma place et mon style ». Les caméras et les micros s’approchent. Elles l’entourent. Il prévient qu’il ne sera pas le clown de l’hémicycle. Il trouve rapidement son style et il joue de son originalité, un langage sans détour, une paire de baskets et une chemise sortie du jean. Dans l’hémicycle, François Ruffin multiplie les coups d’éclat. A chaque fois, ses réseaux sociaux relaient ses interventions. Les compteurs s’affolent. Le 8 mars 2018, journée des droits des femmes, il prononce un discours pour réclamer l’égalité salariale et il prend pour exemple les femmes de ménage de l'assemblée nationale, plus de treize millions de vues sur YouTube.

Quelques mois plus tard, l’édile s’emporte contre les parlementaires de la majorité, après le rejet de la loi sur les élèves handicapés. « J’espère que le pays ne vous le pardonnera pas. Ce vote, j’en suis convaincu, vous collera à la peau comme une infamie », éructe-t-il, la voix chevrotante, nouveau carton. Son collègue, Ugo Bernacilis, député du MFI du Nord, fait dans l’ironie, « avec toutes ses vues, François Ruffin fait de la concurrence aux chatons sur YouTube ». L’agitateur joue sur tous les tableaux, à l’intérieur et à l'extérieur de l'assemblée nationale. Dans le sillage de Nuit Debout, le 5 mai 2018, il organise la fête à Emmanuel Macron, afin d’arroser la première année du chef de l'état au pouvoir. Au soleil, à Paris, entre la place de l'Opéra et la place de la Bastille, trente huit mille personnes défilent, une ambiance de lutte festive et une réussite. Le 4 mai 2018, dans les colonnes de Libération, le leader de la Confédération Générale du Travail (CGT), Philippe Martinez, prévenait que « cela fait longtemps que je le connais, il est syndiqué à la CGT. C’est une personne que je respecte. Après, ce n’est pas un jour un homme politique, un jour le porte-parole de Nuit Debout, un autre le rédacteur en chef de Fakir et le lendemain le réalisateur de Merci Patron. Il faut qu’il assume d’être un député du MFI, c’est un homme politique ».

Le hasard n’existe presque jamais chez François Ruffin. Derrière son style détaché, il anticipe tout, notamment ses relations avec les médias. Le député ne commente pas l’actualité, il fuit les journalistes politiques et il refuse l’exercice du portrait. Pas de réaction non plus sur un dossier de fond pour alimenter un article, au mois de septembre 2018, lorsqu’une collègue du journal lui écrit pour le faire intervenir sur la gauche et le protectionnisme, il répond que « je ne donne pas d’interview pour faire des petits bouts dans les articles, à chacun son snobisme ».

Un mercredi du mois d'octobre 2018, nous nous sommes installés sur un petit bout de pelouse dans sa ville d’Amiens, une interview en plein air, pour évoquer un de ses livres, une enquête sur SANOFI, un député et son collaborateur, chez Big Pharma. Sur son rapport à la presse, l’ancien stagiaire de Libération, lorsqu’il était étudiant, argumente, « je refuse de perdre du temps avec des journalistes politiques, car je suis sûr de me retrouver dans une polémique ». Ce jour-là, le député porte encore une autre casquette. Il accompagne ses enfants au sport, au cirque plus précisément. François Ruffin tente de passer un maximum de temps avec sa fille et son fils.

Hélas, les journées sont trop courtes et les dossiers trop nombreux au Palais-Bourbon. Sous le soleil d’automne, le fondateur de Fakir livre une anecdote. Un an après son élection, il a organisé son référendum révocatoire, dans sa circonscription de Picardie.

C'était une promesse de campagne. Le membre du groupe des députés du MFI propose aux habitants de sa circonscription de le révoquer et de provoquer une nouvelle élection, si vingt cinq pour cent d’entre eux le souhaitent. Le député a reçu deux lettres. La première d’un homme qui n’habitait pas la circonscription et la seconde de son propre fils, qui souhaiterait un peu moins partager son paternel. Malheureusement pour lui, la naissance des Gilets Jaunes n’a rien arrangé, bien au contraire.

Des citoyens qui squattent les ronds-points pour parler du pouvoir d’achat et qui rêvent de faire tomber Jupiter. C'est un cadeau tombé du ciel et un virage personnel dans son quinquennat. Il se démultiplie et il fait la tournée des barrages à Amiens, Flixecourt et Abbeville. Il tente, sans succès, de mêler les Gilets Jaunes et Nuit Debout. Sans oublier de poster photographies et vidéos, comme lors de chacune de ses actions.

Nous le voyons entouré de Gilets Jaunes, noircissant son calepin. « Je suis un cahier de doléances ambulant », promet-il. Tous les samedis, il embarque avec eux en autocar. Cela ne se passe pas toujours bien. Des Gilets Jaunes lui ont demandé un matin de descendre du car au départ de Flixecourt. L’un d’eux s’en est expliqué dans le Courrier Picard, « nous avons une volonté de clarté avec lui. Il ne soutient pas notre mouvement, il veut être soutenu par notre mouvement ».

François Ruffin a toujours aimé se faire remarquer, pas tout le temps de la meilleure des manières. Le 2 Décembre 2018, par exemple, au lendemain du troisième acte des Gilets Jaunes et de la dégradation de l’Arc de Triomphe, plusieurs journalistes reçoivent un message en milieu d’après-midi. Le député donne rendez-vous devant l’Elysée, auquel il ne peut accéder, sécurité oblige. Un peu plus loin, devant le Théâtre Marigny, écharpe tricolore autour du torse, il lit une feuille. La séquence est bien entendu diffusée en direct sur les chaînes d’information. « J'ai entendu durant deux jours qu'il va terminer comme John Kennedy. Vous voyez la croix sur le terre-plein, il va finir pareil. Ces mots sont prononcés par des intérimaires, des retraités paisibles et des habitants ordinaires. Je me suis appliqué à les tempérer, à argumenter et à modérer. La violence ne mène à rien ». Relayés, les mots prononcés par le député de la Somme créent la polémique. Même ses collègues insoumis tiquent. En privé, le fondateur de Fakir assume et il explique qu’il faut toujours tenter et que cela ne marche pas à tous les coups. Au mois de février 2019, à l’Elysée, Emmanuel Macron est revenu sur cet épisode devant une poignée de journalistes, « François Ruffin joue un rôle factieux au sens propre du terme. Quand il dit qu’il va arriver à Macron la même chose qu’à Kennedy, personne n’a considéré que c’était scandaleux. A ce moment-là, il y a eu une dévitalisation physiologique de notre démocratie ».

A la fin de l’année civile, après son tour de France des ronds-points, une nouvelle polémique surgit. Lors d’une conférence de presse au Palais-Bourbon, afin de présenter une proposition de loi visant à instaurer le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), François Ruffin rend hommage à Etienne Chouard, l’homme qui a porté, bien avant la naissance des Gilets Jaunes, l’idée du RIC et qui fut un temps proche d’Alain Soral, avant d’en pincer aujourd’hui pour François Asselineau. Présents face aux micros et près de François Ruffin, sept députés insoumis se décomposent. Ils n’ont rien vu venir. Après la tempête, lors d’une interview à Brut, Jean-Luc Mélenchon a pris ses distances, « François a son caractère, mais quand même Etienne Chouard, ce n’est pas nous ».

Durant les fêtes de Noël, François Ruffin disparaît des radars. Ni média ni rond-point, il reste en famille. Nous le retrouvons au début du mois de janvier 2019 avec je veux du soleil, un documentaire consacré aux Gilets Jaunes. L’amiénois se lance dans un mini-tour de France pour des avant-premières. Quelques semaines plus tard, au mois de février 2019, à la surprise générale, il publie son pamphlet contre Emmanuel Macron où il se pose en adversaire principal du chef de l’état. « Les visages sont marqués, normalement on y devine la trace de la souffrance. Mais vous, non, c’est sans cernes. Vous transpirez l’assurance. Vous exhalez une classe. Vous portez en vous une suffisance. Ce rejet physique, nous sommes des millions à l’éprouver », s’emballe-t-il. Un peu plus loin, celui qui rêve de voir la France dirigée par un président journaliste, suivez son regard, met en garde, « j’étais à peine élu que les journalistes m’interrogeaient déjà sur 2022. Cette élection pervertit tout. Cela vous effleure et cela grossit en vous comme une tumeur. Les médias, les sondages et les collègues vous farcissent d’une ambition qui n’est pas la vôtre. Il faut y résister, alors, aux élections présidentielles, sans quoi nous glissons dedans comme sur un toboggan, saisis par un tourbillon ».

Le cas de François Ruffin fait jaser. Le personnage intrigue. Il prend des coups aussi. La majorité lui tape dessus. Sans compter la droite et la gauche. Tous l’accusent de jouer avec le feu et de faire sauter les digues républicaines.

Yannick Jadot, tête de liste écologiste pour les élections européennes dit que « François Ruffin est très sincère, il est proche des personnes et il souffre avec eux. Mais j’ai le sentiment qu’il peut être dangereux et qu’il est prêt à tout, prêt à faire alliance avec tout le monde, contrairement à Jean Luc Mélenchon qui ne franchira jamais quelques frontières ». Au sein de la mouvance insoumise, les langues se délient lentement. Tous soulignent la face sincère et touchante du picard. Mais le côté solo agace chaque jour un peu plus et sa stratégie aussi. Un soir, un dirigeant du MFI nous a écrit, « disons que pour un type modeste qui veut en finir avec le présidentialisme, il y pense beaucoup et sans trop de modestie ».

Ceux qui côtoient de près le député journaliste mettent en avant un autre aspect du personnage. Il étale ses doutes, ses interrogations et ses phases dépressives. François Ruffin ne s’en cache pas. Dans son bouquin, il écrit sans armure qu’il a déjà songé à en finir. Des mots qui n’étonnent pas grand monde dans son entourage. « Mettre fin à sa vie, c’est peut-être excessif, mais se lever un matin et tout envoyer chier, ce n’est pas impossible. Peut-être qu’il changera d’avis le lendemain. François Ruffin est cyclique », détaille une tête pensante insoumise. Un collègue député confirme que « quand je discute avec lui, il me dit souvent qu’il veut arrêter et faire autre chose de sa vie ».

Au milieu de ce maelström, le leader du MFI ne s’affole pas. Jean-Luc Mélenchon échange régulièrement avec François Ruffin. C’est un ami, dit-il. Il sait que le député de la Somme ne rentrera jamais dans une case, liberté presque totale, donc. Une seule réelle dispute entre les deux hommes, c’était lors de la fête à Emmanuel Macron. Le député de la Somme a pété un plomb lorsqu’il a vu défiler un bus à impériale avec tous les élus insoumis à bord. Une récupération politique alors qu’il avait travaillé dur pour organiser l’événement avec ses copains de Nuit Debout. Tout est rentré dans l’ordre après quelques jours de froid.

L’été dernier, dans un bar près de la gare du Nord à Paris, le tribun s’est projeté dans le futur. Au moment d’évoquer la relève, il a refusé de lister ses préférences. « Je me garde de la folie de croire que je pourrais dominer l’avenir. Je les aide tous, garçons et filles, sans savoir sur lequel la suite va tomber », a dit Jean Luc Mélenchon à Libération. Au sujet de François Ruffin, le leader du MFI a précisé que celui-ci ne doit à aucun moment reculer, mais avancer sans crainte et que « si un matin la croix lui tombe dessus, il n’aura d’autre choix que de la porter, c’est comme cela ». Un proche de Jean Luc Mélenchon s’interroge à haute voix, « Jean Luc Mélenchon doit faire attention, car François Ruffin est vraiment très populaire. Au fond de lui, il est convaincu qu’il n’ira pas au bout et qu’il n’a pas encore les épaules et le mental pour mener tout un mouvement aux élections présidentielles. François Hollande disait la même chose à propos d’Emmanuel Macron ».

D’autres questions restent en l’air. Si un matin, par hasard, la croix se retrouve sur le dos de François Ruffin, voudra-t-il la porter ? Et si oui, quelle direction prendra-t-il et avec qui ? Pour le moment, l’amiènois ne change pas de ligne. Il refuse de commenter l’actualité et il se tient à bonne distance des journalistes politiques. L’agitateur laisse les curieux s’agiter et les flashs crépiter autour de sa personne. Enfant, déjà, il rêvait d’être un artiste et une star.

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