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25 août 2020 2 25 /08 /août /2020 16:43

 

 

http://merejkowskypierre.over-blog.com/2020/07/film-un-film-de-merejkowsky.html

 

Un film de Pierre Merejkowsky

Mardi 14 Juillet 2020

Je ne me souviens plus de la date de tournage de Film.

Film a été tourné dix ans après Scène de Ménage chez les Gauchistes et quelques années après le Joueur et Myriam ou un reportage vérité au cœur de Sainte Russie, soutenu par le Groupe de Recherche Expérimental Cinématographique (GREC).

Ma participation dans la création d’une communauté de lutte non violente en liaison avec les ouvriers agricoles de l’Aude, et surtout mon retour à mon point de départ dans l’appartement de ma mère occupé également par mon père, m’incitèrent à rédiger un curriculum vitae qui stipulait que je suivais par correspondance un cours de programmeur informatique dans une université américaine.

Naturellement les ricanements condescendants de ma famille  s’empressèrent de claironner que mon embauche au poste de pupitreur dans la Bank of Boston avait été facilité par ma mère qui en sa qualité d’ancienne membre du Parti Communiste Français (PCF) avait été embauchée par François Mitterrand pour diriger une des banques que le gouvernement de gauche avait nationalisé.

La vérité ne correspondait en aucune façon à ce dénigrement  feutré et familial.

Le cadre supérieur qui signa mon embauche précisa qu’il n’avait été aucunement dupe de mes mensonges et que l'invention de cette université américaine prouvait que je maîtrisais les enjeux du fonctionnement d’une banque d’affaire américaine.

Au bout de quinze jours, mon supérieur hiérarchique attira mon attention sur une gomme que je n’avais pas remise à  sa place en affirmant devant mes collègues que cette gomme était la propriété de la Bank of Boston. Il ajouta que ma tenue physique entrant en contradiction avec l’ascenseur social que représentait un emploi occupé dans une banque, il m’interdisait tout contact avec mes collègues et que je lancerais désormais le programme informatique après le départ de tous les employés. « Je vais être clair avec vous »,  précisa mon supérieur hiérarchique, « nous avons décidé de vous confier la clef de la banque, vous pourrez  faire ce que vous voulez dans notre salle informatique ou en dehors de notre salle informatique, étant bien entendu que, si les rapports ne sont pas imprimés le matin sur mon bureau, je vous fous à la porte ». En cette fin des années 1980, le taux de chômage ne  concernait qu’une fraction intime des travailleurs et les employés voulaient préserver leur enfermement familial.

Je tiens à préciser que cette phrase, « si les imprimés ne sont pas posés sur mon bureau, je vous fous à la porte », influença considérablement mes rapports avec les producteurs qui produisirent par la suite mes films. J'ai tout de suite compris que je pouvais tourner ce que je voulais dans et en dehors de mes films, à la seule condition que le film devait être achevé et déposé sur le bureau du producteur sous peine d'une mise à la porte définitive et immédiate.

Les circonstances de cet ajout verbal de mon Contrat à Durée Indéterminée (CDI) ne furent pas uniquement imposées par le nécessaire respect des conventions propres à une banque d'affaire américaine.

Mon supérieur hiérarchique m’avoua qu’il m’avait engagé parce que ses collègues cadres ne comprenaient pas qu’il envisageait régulièrement de démissionner de la Bank of Boston afin de  se ressourcer dans la cogestion d’un restaurant en Guyane Française. Ce qu’il fit effectivement l’année suivante et je n’ai plus jamais eu de nouvelle de ce supérieur hiérarchique.

J’ai respecté à la lettre cet ajout verbal à mon contrat de travail. Pendant plus de dix ans,  j’ai appuyé sur la touche de l’ordinateur qui commandait le lancement de l’impression des rapports comptables de la Bank of Boston et   j’ai fréquenté le café qui était en contrebas de la Bank of Boston.

Ce café était le point de ralliement des figurantes du Crazy Horse et des vendeurs à la sauvette de cartes postales et de cacahuètes des Champs Elysées.

Ma tenue physique et mes propos ne m’ont pas permis de sympathiser avec les figurantes du Crazy Horse qui s’exprimaient il est vrai majoritairement en  anglais, mais j’ai par contre rapidement sympathisé avec les vendeurs à la sauvette.

En ce temps là,  la police n’avait pas le droit de confisquer la marchandise des vendeurs sans patente, le cinéma du Lincoln projetait des films d’auteurs français adeptes de l’exception culturelle nationale et les prostituées avaient le droit de racoler sur les Champs Elysées.

Un des vendeurs à la sauvette qui fréquentait ce café me raconta qu’il avait été pilote dans l’aviation du shah d’Iran et qu’il suivait  des études dans une université française. Il me payait toujours mon café, ce qui des années plus tard me posa une série de questions dont je n’ai pas trouvé les réponses. Il déclara un soir qu’il ne comprenait pas pourquoi j’avais arrêté de tourner des films, ni pourquoi je passais mes soirées dans un café à attendre ma paye de la Bank of Boston. Il me donna le lendemain une bobine de film de seize millimètres et, après avoir prononcé un bref éloge d’Albert Camus qui était toujours à l’écoute de petites personnes dans les cafés, il me convainquit de réaliser un film avec les vendeurs à la sauvette.

Je n'ai jamais oublié ce premier acte de production qui ne se concentra pas uniquement sur le seul financement de la première séquence de mon film.

Nous déposâmes une affiche dans le bureau de la Commission d'Attribution des Subventions (CAS) du Centre National de la Cinématographie (CNC) et nous précisâmes  qu’il nous serait impossible de photocopier en huit exemplaires ce dossier qui devait être soumis à l’appréciation des membres de la CAS.

D'autres tentatives de production succédèrent à cette visite dans les locaux du CNC dont l’entrée à cette époque n’était pas protégée par un vigile et une caméra de surveillance.

Cet ancien pilote de chasse affirma ainsi que Marin Karmitz voulait me rencontrer, ce que bien sûr ne me confirma pas la secrétaire ou la stagiaire roumaine de Marin Karmitz.

L’histoire de cette vérité et de mensonge ne s’arrête pas cependant à ce rendez vous manqué.

Ma mère avait été une camarade de cellule du PCF de Marin Karmitz et, après la reprivatisation de la banque qui avait été nationalisée, elle fut embauchée par Marin Karmitz pour remplir une tâche qui n’a jamais été portée à ma connaissance.

Je reconnais que l’embauche d’une mère se télescopant dans un même espace temps avec un pilote de chasse iranien peut s’apparenter à une fiction, voir à un documentaire de fiction, ou à un essai cinématographique expérimental. Il est inutile de consulter sur un moteur de recherche le nom de ma mère. Ma mère a adopté dans son travail un pseudonyme et j’ignore tout de la raison de la négation de mon nom et de celui de mon père.

Mon licenciement s’inscrivit dans la faillite de la maison mère de la Bank de Boston à Boston. Sans cette faillite, je serais sans doute encore employé par la Bank of Boston.

Après mon voyage à Mexico, René Farrabet fut séduit par mon absence de curriculum vitae couplé à une note d’intention qui, en s'appuyant sur les souffrances de ma rupture avec O, trouvait son prolongement parfaitement logique dans  mon refus de tout contact avec les sociétés d’auteur. La bande son de mon film fut programmée dans l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture. Elle provoqua le commentaire acerbe du beau père de deux de mes enfants qui claironna avec une grande satisfaction que la diffusion de mon film sur France Culture ne me rapporterait que des clopinettes. Une monteuse dont j’ai oublié le nom affirma que les rushes de mon film n’étaient pas montables. Elle se plaignit également de l’apparition soudaine d’un violent mal de tête comparable à celui de la mixeuse de France Culture. Un ancien vendeur d’espaces publicitaires, que j’avais rencontré dans une réunion d’opposants internes du Parti Socialiste, ayant été profondément ému par le récit de mes souffrances qui niaient les sentiments que me témoignaient O, me convainquit de projeter devant mes rares connaissances mon film sur le poste de télévision de son domicile à Maisons Alfort.

Je tiens à remercier publiquement cet ancien vendeur d’espaces publicitaires. Cette  projection en appartement fut la première série de mes projections minoritaires. Elle n’a cependant jamais effacé de ma mémoire le beau père qui a proclamé devant mon fils Dimitri et devant sa sœur Clara que mon film ne recevrait que des clopinettes.

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