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26 mars 2021 5 26 /03 /mars /2021 16:30

 

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/24/cinquante-ans-avant-l-islamo-gauchisme-le-gauchisme-pro-arabe_6074255_3232.html

 

L'Islamo-gauchisme réactive des amalgames forgés pendant la guerre d’Algérie et la crise économique des années 1970

Par Jean-Baptiste Fressoz, historien et chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

Mercredi 24 Mars 2021

Il y a cinquante ans, des groupes d’extrême gauche et plusieurs intellectuels s’étaient vu reprocher leur soutien aux travailleurs algériens, érigés en boucs émissaires de la montée du chômage, rappelle l’historien Jean-Baptiste Fressoz dans une chronique au Monde.

Pour qui veut tenter de donner un sens à la querelle sur l'islamo-gauchisme, un retour de cinquante ans en arrière peut être utile. Au début des années 1970, les travailleurs algériens sont à la fois les premières victimes de la crise économique, ils occupent souvent des postes peu qualifiés, et ses boucs émissaires. La guerre d’Algérie est dans toutes les mémoires. La nationalisation du pétrole par le président algérien Houari Boumediene en 1971 frappe l’opinion publique française. L’hebdomadaire d’extrême droite Minute titre « ils nous chassent, chassons-les ». En 1972, les circulaires de Raymond Marcellin et de Joseph Fontanet aggravent la précarité de nombreux travailleurs informels établis en France. En réaction, un Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA) est fondé, qui organise grèves et manifestations. Celles-ci scandalisent une partie de l’opinion et notamment sa frange nostalgique de l’Algérie française.

Dans ce contexte, la France connaît une véritable flambée raciste, comme l’écrit Yvan Gastaut dans « l’immigration et l’opinion en France sous la cinquième république », aux éditions du Seuil, en 2000. A la fin du mois d’août 1973, un algérien déséquilibré tue un chauffeur de bus à Marseille. Le Méridional publie un violent éditorial, « assez de voleurs algériens, de casseurs algériens, de proxénètes algériens, de syphilitiques algériens, de violeurs algériens et de fous algériens. Nous en avons assez de cette racaille venue d’outre-Méditerranée ». Son auteur, Gabriel Domenech, deviendra député du Front National et vice-président de la région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA). Dans les jours qui suivent, six algériens sont retrouvés morts à Marseille. L’ambassade d’Algérie parle d’une cinquantaine de victimes. Dans son enquête sur les crimes racistes en France de 1960 à 2000, « la race tue deux fois », aux éditions Syllepse, en 2021, l’historienne Rachida Brahim dénombre quant à elle dix sept algériens assassinés à Marseille en 1973 et une cinquantaine de blessés.

Le racisme anti-arabe est activement soutenu par des groupes d’extrême droite comme Ordre Nouveau. Le 14 décembre 1973, une bombe explose au consulat d’Algérie, en plein centre de Marseille, elle fait quatre morts et blessés graves. L’attentat est revendiqué par le Club Charles-Martel, composé d’anciens militants de l’Organisation Armée Secrète (OAS).

Si le gouvernement réagit avec tiédeur, voire ambiguïté, deux forces prennent clairement la défense des immigrés, des mouvements chrétiens comme la CIMADE, mais aussi et surtout l’extrême gauche, la Gauche Prolétarienne maoïste dont le MTA était proche et la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) d’Alain Krivine.

Alain Krivine sera arrêté et la LCR sera interdite après des échauffourées opposant les militants de la LCR aux militants d’Ordre Nouveau. Les intellectuels de gauche se mobilisent également. En 1972 est fondé le Groupe d’Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés (GISTI) soutenu par Jean Paul Sartre et Michel Foucault, qui obtiendra l’annulation par le conseil d’état des circulaires décriées.

Après le meurtre d’un jeune algérien dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris, un Comité pour Djilali Ben Ali est créé. Y participent entre autres Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean Claude Passeron et Jean Paul Sartre. Face à cette mobilisation de la gauche contre le racisme, l’extrême droite française des années 1970 ne parle pas encore d’islamo gauchisme, mais de gauche arabe ou de gauchisme pro arabe.

Cinquante ans plus tard, l’islamo gauchisme réactive des amalgames forgés pendant la guerre d’Algérie et la crise économique des années 1970. Il modernise le discours de l’ennemi intérieur en y injectant un élément religieux d’après les attentats du 11 septembre 2001. Rien de bien neuf donc, hormis la focalisation sur l’enseignement et la recherche.

Faute d’ennemis précis et célèbres, l’extrême droite s’en prend à l’université en général, au sein de laquelle les minorités ethniques et/ou religieuses sont pourtant sous représentées. Plutôt qu’un rapport sur l’islamo gauchisme, la ministre de la recherche, Frédérique Vidal, aurait été mieux inspirée en demandant une enquête sur cette sous représentation.   

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