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11 mars 2022 5 11 /03 /mars /2022 15:25

 

 

https://www.contretemps.eu/guerre-ukraine-reponse-achcar-anti-imperialisme/

REPONSE DE GILBERT ACHCAR A STATHIS KOUVELAKIS

Gilbert Achcar écrivait récemment un long message relatif à la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Il y avait une encore plus longue réponse de Stathis Kouvelakis à Gilbert Achcar et une réponse de Gilbert Achcar à Stathis Kouvelakis. Vous trouverez ci-dessous la dernière partie de la réponse de Gilbert Achcar à Stathis Kouvelakis. Les trois messages sont disponibles en totalité si vous consultez le site internet de la revue Contretemps.

Bernard Fischer

 

REPONSE DE GILBERT ACHCAR A STATHIS KOUVELAKIS

Vendredi 11 Mars 2022

Venons-en maintenant à la question de l’armement de la résistance ukrainienne. J’ai écrit que « nous sommes pour la livraison sans conditions d’armes défensives aux victimes d’une agression, dans ce cas, à l’état ukrainien qui lutte contre l’invasion russe de son territoire. Aucun anti-impérialiste responsable n’a demandé à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) ou à la Chine d’entrer en guerre au Vietnam contre l’invasion américaine, mais tous les anti-impérialistes radicaux étaient favorables à une augmentation des livraisons d’armes par Moscou et par Pékin à la résistance vietnamienne. Donner à ceux qui mènent une guerre juste les moyens de lutter contre un agresseur beaucoup plus puissant est un devoir internationaliste élémentaire. S’opposer en bloc à de telles livraisons est en contradiction avec la solidarité élémentaire due aux victimes ».

Stathis Kouvelakis me répond que « ce parallèle avec le Vietnam apparaît, pour le moins, de mauvais goût. Volodimir Zelenski n’est certes pas le nazi dont parle Vladimir Poutine, mais il n’est pas non plus Ho Chi Minh. Le gouvernement ukrainien est un gouvernement bourgeois, au service des intérêts d’une classe d’oligarques capitalistes, en tout point comparable à celle qui domine en Russie et dans les autres républiques de l’ancienne URSS, et qui entend arrimer le pays au camp occidental sans se soucier des conséquences prévisibles d’une telle option. Tout en étant victime d’une agression inadmissible, il ne représente aucune cause progressiste plus large et il serait complètement aberrant pour des forces de gauche dignes de ce nom de plaider la cause de son armement ».

Selon cette logique donc, nous ne saurions soutenir un peuple qui résiste contre une invasion impérialiste surarmée que si sa résistance est dirigée par des communistes et si elle n’est pas dirigée par un gouvernement bourgeois. C’est une bien vieille position ultragauche sur la question nationale, que Vladimir Lénine avait pourfendue en son temps. Le soutien à un juste combat contre une oppression nationale, et à plus forte raison contre une occupation étrangère, doit se faire indépendamment de la nature de sa direction. Si ce combat est juste, cela implique que la population concernée y participe activement et qu’elle mérite que nous la soutenions, quelle que soit la nature de sa direction.

Ce ne sont certainement pas les oligarques capitalistes qui se mobilisent en masse auprès des forces armées ukrainiennes sous la forme d’une garde nationale improvisée et de pétroleuses nouvelle manière, c’est le peuple travailleur de l’Ukraine et, dans son combat contre l’impérialisme grand-russe, menée par un gouvernement autocratique et oligarchique ultraréactionnaire présidant aux destinées de l’un des pays les plus inégaux de la planète, le peuple ukrainien mérite notre plein soutien, qui n’est pas pour autant sans critique contre son gouvernement.

Le problème central de Stathis Kouvelakis, c’est qu’il se trompe sur ce qu’est une guerre inter-impérialiste. S’il suffisait que ce soit une guerre où chaque partie est soutenue par un rival impérialiste, alors toutes les guerres de notre temps seraient inter-impérialistes puisque, d’une manière générale, il suffit qu’un des impérialismes rivaux soutienne un camp pour que l’autre soutienne le camp opposé. Une guerre inter-impérialiste, ce n’est pas cela. C’est une guerre directe et ce n’est pas une guerre par procuration entre deux puissances dont chacune cherche à envahir le domaine territorial et néocolonial de l’autre, comme l’était très clairement la première guerre mondiale. C’est une guerre de rapine de part et d’autre, comme l’écrivait Vladimir Lénine.

Qualifier le conflit en cours en Ukraine, dans lequel ce dernier pays n’a nullement l’ambition, et encore moins l’intention, de s’emparer du territoire russe et où la Russie a l’intention affichée de subjuguer l’Ukraine et de s’emparer d’une grande partie de son territoire, qualifier cette guerre de guerre inter-impérialiste, plutôt que de guerre d’invasion impérialiste, est une déformation outrée de la réalité.

« Compte tenu de la nature des forces en présence, la livraison d’armes à l’Ukraine ne peut avoir qu’un seul but, assurer sa future vassalisation et sa transformation en avant-poste de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) sur le flanc est de la Russie », écrit Stathis Kouvelakis.

C’est totalement faux. La livraison d’armes à l’Ukraine a pour seul but de l’aider à s’opposer à son asservissement, même si, par ailleurs, elle souhaite sa vassalisation en croyant y voir l’unique garantie de sa liberté. Nous devons, bien sûr, nous opposer également à sa vassalisation mais, pour le moment, il faut parer au plus urgent.

Stathis Kouvelakis écrit que « si, au vu des risques incalculables qu’elle entraînerait, pourquoi faudrait-il, comme le soutient Gilbert Achcar, s’opposer à la seule intervention militaire directe dans ce conflit et pourquoi ne faudrait-il pas s’opposer à toute forme d’intervention militaire ? Le risque nucléaire, incontestable, est-il une raison suffisante pour limiter la retenue à la seule intervention directe ».

La réponse est positive. C’est certainement une condition suffisante, mais ce n’est pas la seule. La raison la plus directe, celle qui, contrairement au nucléaire, n’est pas hypothétique, dissuasion mutuelle oblige, mais certaine, c’est que l’entrée en guerre directe de l’autre camp impérialiste transformerait le conflit en cours en vraie guerre inter-impérialiste, dans l’acception correcte du concept, un type de guerre auquel nous sommes catégoriquement hostiles.

« La frontière entre intervention directe et intervention indirecte est moins claire que certains semblent le penser », écrit Stathis Kouvelakis. Nous pouvons lui retourner la remarque. Cette frontière est plus claire qu’il ne le pense. C’est bien pourquoi les membres de l’OTAN sont unanimes, et pas seulement Emmanuel Macron dont Stathis Kouvelakis loue la sagesse, à déclarer qu’ils ne franchiront pas la ligne rouge qui consiste à envoyer des troupes combattre les forces armées russes sur le sol de l’Ukraine ou à abattre des avions russes dans l’espace aérien ukrainien, malgré les exhortations de Volodymyr Zelensky. C’est parce qu’ils craignent à juste titre un engrenage fatal, sceptiques, comme ils sont devenus, quant à la rationalité de Vladimir Poutine qui n’a pas hésité à brandir d’emblée la menace nucléaire.

Si le combat des ukrainiens contre l’invasion russe est juste, comme l’admet Stathis Kouvelakis à contrecœur, alors il est tout à fait juste de les aider à se défendre contre un ennemi très supérieur en nombre et en armement. C’est pourquoi nous sommes sans hésitation en faveur de la livraison d’armes défensives à la résistance ukrainienne. Stathis Kouvelakis n’y voit que du feu.

Nous sommes totalement pour la livraison de missiles antiaériens, portables et autres, à la résistance ukrainienne. S’y opposer équivaudrait à dire que les ukrainiens n’ont qu’à choisir entre se faire massacrer et voir leurs villes détruites par l’aviation russe, sans avoir les moyens qu’il leur faut pour se défendre ou pour fuir leur pays. En même temps, cependant, il ne faut pas seulement s’opposer à l’idée irresponsable de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine ou d’une partie de son territoire. Il faut aussi s’opposer à la livraison de chasseurs aériens à l’Ukraine, comme l’envisage Joseph Biden. Les avions militaires ne sont pas un armement strictement défensif et leur fourniture à l’Ukraine risquerait en fait d’aggraver considérablement les bombardements russes.

En résumé, nous sommes pour la livraison à l’Ukraine d’armes antiaériennes et antichars, ainsi que de tout l’armement indispensable à la défense d’un territoire. Lui refuser ces livraisons, c’est tout simplement se rendre coupable de non-assistance à peuple en danger. Nous avons demandé la livraison de pareilles armes défensives à l’opposition syrienne. Les États-Unis les lui ont refusées et ont même empêché leurs alliés locaux de lui en livrer, à cause notamment du veto israélien. Nous connaissons les conséquences de cette position.

L’avant-dernière question est la question des sanctions économiques. J’ai écrit que « les puissances occidentales ont décidé de nouvelles sanctions contre l’état russe en raison de son invasion de l’Ukraine. Certaines d’entre elles peuvent effectivement réduire la capacité du régime autocratique de Vladimir Poutine à financer sa machine de guerre, mais d’autres sanctions peuvent nuire à la population russe sans trop affecter le régime ou ses acolytes oligarchiques. Notre opposition à l’agression russe, combinée à notre méfiance à l’égard des gouvernements impérialistes occidentaux, signifie que nous ne devrions ni soutenir les sanctions de ces derniers, ni exiger leur levée ».

Une autre façon de traduire cela, c’est de dire que nous sommes pour les sanctions qui affectent la capacité de la Russie à faire la guerre ainsi que ses oligarques, mais que nous sommes contre les sanctions contre le peuple russe.

Cette dernière formulation est juste en principe, mais il faudrait alors la traduire concrètement. Or nous ne disposons pas de moyens pour examiner l’impact de toute la gamme des sanctions déjà infligées par les puissances occidentales à la Russie.

Quant à Stathis Kouvelakis, il pense que « la tâche de la gauche est de dénoncer la fonction politique de ce dispositif et de montrer qu’il est avant tout un instrument permettant d’asphyxier un pays troublant l’ordre mondial façonné par la suprématie américaine et occidentale, un instrument qui, au fond, diffère peu d’un acte de guerre ».

C’est encore une fois la marque d’un manque de perception dialectique que de ne pas voir que différentes sanctions peuvent jouer des rôles différents. Contrairement aux positions dogmatiques de Stathis Kouvelakis, nous définissons nos positions à la lumière de l’analyse concrète de la situation concrète, comme l’avait si bien dit un grand critique du dogmatisme de gauche. Quant à la caractérisation de l’impérialisme russe comme étant un pays troublant l’ordre mondial façonné par la suprématie américaine et occidentale, elle révèle encore une fois le fond de la pensée de Stathis Kouvelakis.

En fin de parcours, Stathis Kouvelakis souligne un terrain d’accord, « nous ne pouvons, par contre, que nous accorder avec Gilbert Achcar concernant la dernière question qu’il évoque, la question de l’accueil inconditionnel des réfugiés ukrainiens ». Il s’empresse cependant d’ajouter que « nous ne pouvons le faire sans relever que le quasi-consensus qui l’entoure est un exemple flagrant des deux poids et des deux mesures du discours cynique dominant ».

Dans mon texte très concis, Stathis Kouvelakis semble ne pas s’être aperçu que j’ai fait cela indirectement en demandant l’ouverture de toutes les frontières aux réfugiés d’Ukraine, comme elles devraient l’être pour tous les réfugiés fuyant la guerre et les persécutions, quelle que soit leur provenance. Cela va de soi pour nous, tout comme l’hostilité à l’OTAN.

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