Six journalistes écrivent la vérité sur le processus indépendantiste catalan
Par Nico Salvado
Vendredi 29 Novembre 2019
Tota la Veritat est le livre politique événement de cette fin d’année 2019, publié aux éditions Ara Llibres. Six journalistes venus d’horizons différents racontent les coulisses du processus indépendantiste du mois de septembre 2016 au mois de juillet 2018.
L’ouvrage se base sur les recherches des auteurs, des témoignages et des documents originaux. Totalement factuel et neutre politiquement, le livre a été écrit par Ferran Casas, directeur de Nació Digital, par Odei Etxearte, journaliste de Vilaweb, par Marc Martinez, chef du service politique de la radio catalane, par Roger Mateos, chef du service politique de l’agence EFE, par Gerard Pruna, chef du service politique d'Ara, et par Neus Tomàs, directrice adjointe du Diario.
Le livre commence le 5 septembre 2016, vingt trois jours avant que Carles Puigdemont annonce devant le parlement de Catalogne la convocation d’un référendum unilatéral d’indépendance. Les secteurs les plus modérés de l’indépendantisme, dont le parti d’Artur Mas, espèrent une ouverture de l'état espagnol. La majorité souhaite que le référendum soit autorisé par Madrid, quitte à changer la question, qui ne porterait pas directement sur l’indépendance de la Catalogne. L’idée est d’attirer à la cause Podemos et Ada Colau, qui sont favorables au référendum, mais pas à l’indépendance. En revanche, les profils les plus radicaux, notamment l’extrême gauche de la Candidature d'Unité Populaire (CUP), expliquent qu’aucune marche arrière n’est possible.
Le 14 février 2017, dans le restaurant Siete Portes de Barcelone, les équipes d'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) du vice-président catalan Oriol Junqueras expliquent à Carles Puigdemont qu’il faudra peut-être faire une pause dans la feuille de route vers la république catalane. La métaphore employée par le conseiller d'Oriol Junqueras, Sergi Sol, et racontée en détails dans le livre, mettra Carles Puigdemont dans une colère noire. A ce moment, Oriol Junqueras sait déjà qu’il risque la prison. En coulisse, ERC tergiverse, mais ne le fera jamais en public. Si le processus indépendantiste déraille, des élections catalanes seront organisées et ERC ne veut pas en porter la responsabilité électorale. Cette course à l’échalote, qui explique la fuite en avant de l’indépendantisme, est un fil rouge du livre.
La paranoïa du monde indépendantiste, amplifiée par la répression espagnole et le bashing médiatique de Madrid, est l’état dans lequel se trouve les séparatistes. A tel point que le numéro deux d’Artur Mas, Francesc Homs, sera expulsé de l'état major, le groupe confidentiel des hommes influents qui organise le référendum. Il est alors suspecté d’avoir fait fuiter certaines informations à la presse. Ecrit chronologiquement, le livre raconte avec beaucoup de détails la descente de police à la vice-présidence catalane le 20 septembre 2017 et les violences policières lors du référendum du premier octobre 2017. L’ouvrage narre comment Josep-Luís Trapero est resté le major des Mossos d’Esquadra totalement par hasard.
Après le premier octobre 2017, il est flagrant que le gouvernement de Carles Puigdemont n’a aucune ligne directrice. L’indépendantisme dans sa grande majorité pensait que le premier ministre espagnol Mariano Rajoy proposerait une négociation après le référendum du premier octobre 2017. Face au mutisme du gouvernement et la maison royale, l’indépendantisme est désorienté.
Les pages du livre détaillent tous les scénarios imaginés par les dirigeants séparatistes, déclaration d’indépendance, élections régionales et élections constituantes. Artur Mas émettra même l’idée de proposer que le roi d’Espagne reconnaisse la Catalogne officiellement comme une colonie. C’est ici l’une des richesses principales du livre, l’accès à tous les brouillons et à tous les plans imaginés par le camp indépendantiste qui n’ont jamais vu le jour.
Le 10 octobre 2017 arrive. Devant le parlement, Carles Puigdemont proclamera la république pendant huit secondes avant de la suspendre. Une vraie déclaration d’indépendance officielle était prévue ce jour-là, mais elle a été annulée de peur que l’Espagne envoie l’armée dans les rues de Barcelone. « Je ne serais pas le président des morts dans la rue », explique Carles Puigdemont à ses proches. Le discours de la déclaration d’indépendance que devait prononcer Carles Puigdemont, écrit par Quim Torra, est reproduit intégralement dans le livre.
Dans les jours précédents le 27 octobre 2017, le vote d’une motion parlementaire incluant l’indépendance, le chaos est total. Les dirigeants indépendantistes sont persuadés que la police peut faire irruption à n’importe quel moment au Palau de la Generalitat pour incarcérer Carles Puigdemont et éventuellement ses ministres. Anecdote soulignant l’exceptionnalité du moment, une caméra miniature avait été cachée dans une statue à l’entrée du Palau de la Generalitat pour filmer le président menotté par la police.
Jusqu’à la dernière seconde, avant le fatidique jour du 27 octobre 2017, Carles Puigdemont oscille pour trouver une alternative à la déclaration d’indépendance. Le président avait deux priorités, ne pas aller en prison et ne pas devenir le représentant d’une république virtuelle. Là aussi le livre raconte avec beaucoup de détails l’exil de Carles Puigdemont et les scénarios alternatifs jamais mis en place.
La dernière partie est la plus conventionnelle. Elle narre la campagne électorale après la déclaration d’indépendance et l’investiture de Quim Torra comme le cent-trente-et-unième président de la Catalogne. Tota la Veritat, un livre qui restera dans l’histoire du journalisme catalan.