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12 mars 2015 4 12 /03 /mars /2015 19:10

http://www.ujfp.org/spip.php?article4000

http://blogs.mediapart.fr/blog/nacira-guenif/090315/1000-universitaires-contre-l-interdiction-du-voile-l-universite

http://www.liberation.fr/societe/2015/03/08/contre-le-voile-a-l-universite-ou-contre-quelques-etudiantes_1216767

https://www.change.org/p/madame-pascale-boistard-secrétaire-d-etat-déléguée-aux-droits-des-femmes-lettre-ouverte-à-la-secrétaire-d-etat-aux-droits-des-femmes

Mille universitaires contre l’interdiction du voile à l’université

Par Nacira Guénif

Lundi 9 Mars 2015

Madame la secrétaire d’état déléguée aux droits des femmes, nous appartenons à la communauté universitaire et sommes toutes et tous en charge d’une mission de service public qui, au-delà de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, participe à construire un espace démocratique qui au jour le jour s’invente comme un espace de dialogues et de débats, un espace traversé d’antagonismes, y compris avec nos présidences et conseils d’administration, mais aussi de solidarités, un espace ouvert sur le monde dont nous héritons en commun, une agora qui se recrée à chaque heure dans nos amphis, dans nos « cafétérias », sur nos parvis ou les murs de nos campus, et ce, malgré les conditions matérielles déplorables qui sont celles de nos institutions.

S’il y a bien un lieu dans notre république, où la liberté de pensée et d’expression, ou plutôt, le droit de cité se vit ici et maintenant, c’est encore au sein des universités, et même les tentatives qui ont visé à mettre à mal cette liberté autogérée, en envoyant ces dernières années les forces de l’ordre traditionnellement interdites dans nos espaces en cas de conflit, de contestation ou d’occupation, ne sont pas parvenues à nous désespérer de penser la complexité du monde social et les enjeux du vivre en commun, comme à en expérimenter les conditions possibles.

Or, vous ne pouvez ignorer que, depuis plus de dix ans, le voile, sur lequel vous vous exprimiez encore récemment, est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes, aux relents paternalistes et colonialistes, définissant pour les femmes de bonnes manières de se libérer, blanchissant une partie des associations féministes en les dédouanant de s’engager contre le racisme y compris dans leurs propres rangs et, inversement, en permettant à des associations dites « communautaires » d’assimiler le féminisme au bras armé de vos politiques islamophobes.

La classe politique et votre parti, en exposant aux discriminations les plus brutales des femmes portant le voile, lynchages de jeunes filles, de femmes enceintes et de mères, discriminations à l’embauche et exclusions des écoles publiques, ont fait le lit des nationalismes et doivent être tenus pour responsable d’une situation de tension sociale sans précédent.

Vous avez déclaré, en tant que secrétaire d’état aux droits des femmes, être « contre le voile à l’université ». Indépendamment de l’inactualité nauséabonde d’une telle prise de position, comment pouvez-vous, « au nom des droits des femmes », vous exprimer contre la liberté et l’égalité entre toutes les femmes ? Comment pouvez-vous considérer qu’il serait pertinent dans ce cadre d’exposer une partie des étudiantes aux rappels à l’ordre des instances dirigeantes des universités ou de quelques mandarins en mal de « mission civilisatrice », pourvus d’un droit discrétionnaire à exclure et à réglementer un droit de cité inaliénable et non négociable ?

Vous acceptez ainsi d’être la porte-parole, non pas des femmes, mais d’entrepreneurs de leur seule carrière politique et médiatique, pourvoyeurs de haine et de fantasme. A l’opposé d’une telle rhétorique, en tant que secrétaire d’état déléguée aux droits des femmes, votre mission et votre responsabilité, si vous souhaitez vous intéresser à l’université, seraient pourtant des plus nobles mais aussi des plus considérables, depuis des années, aucune politique publique n’a souhaité financer à hauteur de nos besoins un véritable plan national de lutte contre le harcèlement sexuel et le sexisme à l’université, aucune action efficace, pérenne, n’a visé à lutter contre les exclusions et la paupérisation des étudiants ou des personnels administratifs, qui sont en grande majorité des femmes, et qui assurent au jour le jour nos conditions d’études.

Vous voulez œuvrer pour le droit des femmes à l’université ? Remettez en place un service de médecine universitaire digne de ce nom à même de fournir une information et des soins notamment relatifs aux droits reproductifs toujours plus menacés par la « crise ». Assurez-vous que les services sociaux à destination des étudiants et des personnels ne soient pas systématiquement la première ligne budgétaire que nos présidents et nos conseils d’administration suppriment, que des transports publics desservent nos campus dans des conditions acceptables et que des logements décents pour les étudiants soient construits en nombre suffisant, ou même, ouvrez des crèches dans nos universités pour permettre à toutes les femmes de venir travailler, étudier et se former.

Enfin, vous voulez discuter des droits des femmes, de liberté et d’égalité ? Vous voulez discuter des questions de genre, des droits des minorités sexuelles et raciales, des rapports sociaux tels qu’ils s’articulent aux politiques néo libérales de destruction des services publics et de privatisation des biens communs, qui transforment le savoir en marchandise par le biais de politiques que le Parti Socialiste relaie depuis des années ? Venez dans nos cours et nos séminaires, dans nos départements et dans nos équipes de recherche, écoutez les enseignantes et les étudiantes, voilées, pas voilées, qui débattent et construisent ensemble une pensée critique à même de servir les connaissances qui nourriront les bibliothèques de demain comme les luttes menées en commun pour faire advenir un monde meilleur dont vous semblez avoir déjà fait le deuil.

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