Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 juin 2015 6 13 /06 /juin /2015 18:57

http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/06/11/la-juge-et-l-activiste_4651518_3214.html#

Manuela Carmena et Ada Colau, deux indignées maires de Madrid et de Barcelone

Par Sandrine Morel, correspondante du Monde à Madrid

Samedi 13 Juin 2015

Manuela Carmena, ancienne juge madrilène de soixante et onze ans, porte la voix de l’expérience et Ada Colau, activiste barcelonaise contre les expulsions immobilières, la fougue de la jeunesse. Toutes deux illustrent le désir de changement qui se manifeste dans l’Espagne de la crise économique, de la remise en cause du bipartisme et de la corruption qui gangrène la politique et l’administration. Celle, en somme, de l’indignation, puissant moteur qui a porté ces deux femmes aux portes de Madrid et Barcelone lors des élections municipales du Dimanche 24 Mai 2015.

Manuela Carmena a été investie Samedi 13 Juin 2015 maire de Madrid. Avec sa plate-forme citoyenne, Ahora Madrid, regroupant des activistes, Podemos, Equo et des communistes critiques d’Izquierda Unida, elle est arrivée en deuxième position derrière le Parti Populaire avec trente-deux pour cent des voix. Elle a obtenu Samedi 13 Juin 2015 le soutien des socialistes pour pouvoir gouverner la capitale espagnole.

Ada Colau et sa candidature d’unité populaire, Barcelona en Comù, qui a inspiré le modèle madrilène, a remporté les élections à Barcelone avec une courte majorité, vingt-cinq pour cent des suffrages, qui l’obligera à composer avec un conseil municipal fragmenté. Sauf surprise de dernière minute, elle devrait également être investie maire de Barcelone, Samedi 13 Juin 2015.

Dernières heures du post franquisme

Toutes deux ont vécu des moments tourmentés de l’histoire espagnole contemporaine. Manuela Carmena a souffert dans sa chair des dernières heures convulsives du post-franquisme.

En 1977, des phalangistes et des militants d’extrême droite fasciste sont entrés dans le cabinet d’avocats, spécialisés dans le droit du travail et proches du Parti Communiste Espagnol (PCE), alors interdit, qu’elle avait cofondé. Ils ont tué cinq de ses compagnons et en ont blessé quatre autres. Absente, elle a échappé au massacre. Elle a continué à défendre la démocratie sous Francisco Franco, luttant contre les pots-de-vin dans les tribunaux au début des années 1990, contre les abus policiers et militant pour la réinsertion des prisonniers.

Avant d’écrire, en 2012, un livre sur la nécessaire régénération démocratique de l’Espagne, « pourquoi les choses peuvent être différentes ».

De trente ans sa cadette, Ada Colau a vécu la crise économique de 2008 de plein fouet, ses vingt-cinq pour cent de chômeurs, cinquante pour cent chez les jeunes, la politique d’austérité, la dégradation des services publics et la baisse des salaires. Elle s’est engagée dès 2006 contre la spéculation immobilière puis contre les expulsions, avant de participer au mouvement des « indignés » qui, en 2011, a exigé une « démocratie réelle » en se réunissant sur les places publiques d’Espagne. L’association qu’elle a cofondée en 2009, la Plataforma de los Afectados por la Hipoteca (PAH), a paralysé plus de mille six cent expulsions immobilières depuis le début de la crise. Toutes deux, courtisées par différents partis, avaient juré qu’elles n’entreraient pas en politique. La lutte contre les injustices devait, à leurs yeux, se mener ailleurs.

La politique est « trop violente »

Manuela Carmena, deux fois grand-mère, retraitée de la justice mais gérante d’un magasin de vêtements pour bébés confectionnés par des recluses de la prison d’Alcala, s’est donc fait désirer. A maintes reprises, des membres de Podemos sont venus lui proposer d’être la tête de liste d’une candidature « d’unité populaire » pour Madrid. A chaque fois, elle a dit non, alléguant qu’il était temps de laisser la place aux jeunes. Elle a changé d’avis in extremis, entre autres, en raison de la candidature d’Esperanza Aguirre, ancienne présidente de la région, entre 2003 et 2012, et représentante de l’aile dure du Parti Populaire. « Je souhaite être la passerelle entre une démocratie vieillie et ceux qui veulent changer le modèle représentatif », répète-t-elle. Elle juge la politique « trop violente » et aspire à y introduire « des valeurs de la culture féminine, l’émotion, l’empathie, la concertation et l’écoute », disait-elle, en mai 2015, à Yo Dona, l’hebdomadaire féminin d’el Mundo.

Ada Colau, mère d’un petit garçon de quatre ans, s’est laissé entraîner dans l’aventure politique « parce que la situation est exceptionnelle », explique-t-elle au Monde. « L’Espagne vit une révolution démocratique. Les grands partis, qui baignent dans la corruption, traversent une crise de légitimité. Un nouveau cycle électoral a commencé avec les élections européennes, où les gens ont exprimé le désir de faire de la politique d’une autre manière. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les candidatures citoyennes ».

Née le 3 mars 1974, Ada Colau était-elle prédisposée pour la révolte ? Sa mère raconte que quand elle s’est réveillée de l’anesthésie, après son accouchement, la deuxième question qu’elle a posée aux sages-femmes, après le sexe de son enfant, est « qu’est-il arrivé à Puig Antich », a-t-elle confié à el Periodico. La veille, le jeune anarchiste fut le dernier condamné à mort du franquisme.

Durant sa jeunesse, Ada Colau est sur tous les fronts. Elle participe aux manifestations contre la guerre du golfe, puis contre la guerre en Irak en 2003.

Dans Barcelone, ville rebelle, elle occupe avec ses amis des édifices vides, pour les protéger de ce qu’elle considère comme de la spéculation immobilière ou les transformer en centres autogérés. Elle ne finit pas ses études de philosophie, malgré ses bons résultats, mais elle enchaîne les emplois précaires. L’Espagne du boom économique qui est aussi celle des mileuristas, ces jeunes condamnés à gagner seulement mille euros par mois, incapables de s’émanciper du domicile familial alors que flambent les prix des logements. En 2006, elle arpente les rues de Barcelone déguisée en super-héros pour dénoncer, au sein de l’association qu’elle a créée, V de Vivienda, « la bulle immobilière que les autorités niaient mais dont nous souffrions ». Responsable des questions de logement pour l’observatoire des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) depuis 2007, elle anticipe les problèmes qui se profilent, les crédits impossibles à rembourser et les expulsions qui suivront.

En 2009, elle participe ainsi à la création de la PAH. L’année suivante, elle empêche une première expulsion immobilière en bloquant avec des dizaines de personnes l’accès du logement aux huissiers et aux policiers. Les images de la jeune femme, traînée par terre par des policiers, ont ressurgi durant la campagne municipale. Avec le mouvement des indignés, la PAH prend de l’ampleur et, en 2012, recueille un million cinq cent mille signatures en faveur de la dation en paiement, la possibilité d’effacer le crédit immobilier en rendant le logement à la banque. Devant une commission du parlement, en février 2013, les yeux humides et la voix tremblante, elle qualifie le président de l’association espagnole des banques, qui vient de nier le problème du logement, de « criminel ». Son discours sur les effets de la crise la rend célèbre dans toute l’Espagne. A Barcelone, où Ada Colau a mobilisé les jeunes et les abstentionnistes, en particulier dans les quartiers populaires, la participation a augmenté de huit points.

« Nous désobéirons » s’il le faut

Comme maire, elle compte poursuivre la lutte, sanctionner les banques qui ont des logements vides, freiner les expulsions, limiter le tourisme, réorienter les développements urbanistiques et imposer aux entreprises avec lesquelles la ville signe des contrats des conditions de travail dignes pour leurs employés. Pour donner l’exemple, son salaire sera de trente-cinq mille euros par an brut, quatre fois moins que son prédécesseur.

Au journal el Pais, Ada Colau la rebelle, qui a relégué le débat sur l’indépendance de la Catalogne au second plan mais défend le « droit à décider », affirme qu’elle n’acceptera pas qu’on l’empêche de faire une consultation sur cette question. « S’il faut désobéir à des lois injustes, nous désobéirons », dit la jeune femme, alimentant le discours de la peur utilisé par l’opposition contre Podemos et ses alliés.

Alors qu’Ada Colau inquiète certains électeurs, Manuela Carmena en rassure d’autres, malgré un programme très similaire. Si elle est parvenue à rassembler plus d’un tiers des voix, c’est notamment parce qu’elle a séduit des électeurs du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), qui n’a obtenu que quinze pour cent des suffrages à Madrid.

Méconnue du grand public, Manuela Carmena est devenue une véritable icône en l’espace de quelques semaines. Parce que cette femme intelligente et simple, à la voix posée, qui circule à vélo dans la capitale, ne dispose que de cent cinquante mille euros pour faire campagne, obtenus par des microcrédits, refuse les grands meetings qui la mettent mal à l’aise et se contente de petites réunions dans les quartiers, des centaines de personnes se mobilisent. Le mouvement de libération graphique de Madrid rassemble le travail bénévole d’artistes qui produisent dessins, affiches, logos et slogans en faveur de Manuela Carmena.

On la voit, avec le masque de Catwoman pour sauver les « chats », surnom donné aux madrilènes. Elle apparaît serrant dans ses bras l’ours, symbole de la capitale. Le slogan « Madrid mérite Manuela » se répand partout dans la ville.

Sur les réseaux sociaux, des jeunes clament leur désir d’avoir Manuela comme grand-mère. Certains la comparent à Enrique Tierno Galvan, maire socialiste de la capitale entre 1979 et 1986, âgé de soixante et un ans quand il fut élu et grand défenseur de la Movida.

Curriculum Vitae irréprochable

Le Curriculum Vitae de l’ancienne juge est irréprochable. A l’université, dans les années 1960, elle combat la dictature, partage avec ses amis sa Seat 600 et la revue du PCE, Mundo Obrero, illégale. En 1965, elle obtient son diplôme à une époque où la femme « était légalement et socialement un objet », rappelait-elle dans une interview à la sortie de son livre. Elle y raconte comment, dans les années 1990, menacée par l’ETA, elle refusait d’utiliser son véhicule de fonction et prenait le métro avec son garde du corps.

Cofondatrice, en 1983, de l’association progressiste des juges pour la démocratie, elle fut aussi porte-parole du conseil de la magistrature, doyenne des juges, rapporteur de l’ONU pour le groupe de travail contre les détentions arbitraires et membre, pour le gouvernement basque, de celui sur les victimes des abus policiers. En 2011, elle regarde avec sympathie le mouvement des indignés. « La société rejette le modèle de capitalisme néo libéral qui a atteint des niveaux de cruauté inacceptables », estime-t-elle dans une interview parue en avril 2015 sur le site d’information www.eldiario.es.

A Madrid et Barcelone, les deux femmes auxquelles de nombreux Espagnols ont confié leurs espoirs de changement seront scrutées à la loupe. Podemos espère qu’elles seront le tremplin politique de la gauche anti-austérité pour les élections législatives de la fin de l’année.

Partager cet article
Repost0

commentaires