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27 octobre 2015 2 27 /10 /octobre /2015 21:01

http://www.clubpolitiquebastille.org/spip.php?article144

Discussion sur la crise du POI

Mardi 27 Octobre 2015

Par Charles Jérémie

La discussion qui se développe est très intéressante. La dégénérescence de l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI) renvoie à l’histoire et aux orientations de toutes les organisations qui se sont réclamées et qui se réclament encore du trotskysme. Et, au-delà, le processus de décomposition s’inscrit dans une dislocation plus générale du mouvement ouvrier.

À propos de l’entrisme, je crois que certains camarades confondent l’entrisme et le travail de fraction.

Vous trouverez ci dessous mon témoignage.

Quelques mois après le congrès de fondation du nouveau Parti Socialiste à Epinay sur Seine en 1971, Robert Pontillon m’informe que François Mitterrand voudrait voir le secrétaire national de l’Alliance des Jeunes pour le Socailisme (AJS). J’hésite. J’en parle à Pierre Lambert qui me donne l’ordre d’y aller estimant inutile d’en parler au bureau politique à ce stade. À l’époque, nos rapports sont excellents. Nous nous parlons tous les jours.

Je me retrouve chez Lipp avec le premier secrétaire du Parti Socialiste, toutes canines dehors. Il ne s’est pas encore fait arranger sa dentition. Quand il sourit, il me fait penser à Bourvil. Bref, il me félicite pour les progrès de l’AJS, le rassemblement du premier février 1970 l’a visiblement impressionné. Rappelons nous, à l’époque, le Parti Socialiste, organisationnellement, c’est peu de chose. Et puis à un moment, il m’explique que, contre « les staliniens à l’extérieur et les petits bourgeois à l’intérieur », c’est-à-dire le Centre d'Etudes, de Recherches et d'Education Socialiste (CERES), il n’aurait rien contre si une partie des militants de l’AJS entrait au Parti Socialiste publiquement, « drapeau déployé », créant une tendance.

J’enregistre. Je lui dit que cet état de chose ne pourrait durer longtemps. Il est d’accord avec moi. Quand les divergences seraient trop fortes, dit-il, vous partirez. J’ajoute, ou vous nous exclurez. En riant, il acquiesce. Je promets une réponse rapide. Je ne suis ni pour ni contre, je trouve cela intéressant.

Je fais un compte rendu au bureau politique de l’OCI. L’affaire prend cinq minutes. Tous ceux qui interviennent jugent inutile de reprendre la stratégie suggérée par Léon Trotsky à la veille du Front Populaire, entrer pour sortir plus fort ayant gagné des ouvriers socialistes. Pierre Lambert conclut la discussion, pas de travail de tendances, idem au bureau national de l’AJS.

Évidemment j’applique et transmet via Robert Pontillon déçu, la réponse. Quelques mois plus tard, il y a un congrès de l’OCI. À l’ordre du jour, le passage du « groupe à l’organisation ». Pierre Lambert n’a rien préparé et il faut vérifier mais, dans mon souvenir, les textes prévus n’existent pas.

Pierre Lambert fait le rapport et brusquement, brutalement, il attaque le camarade Charles qui était « prêt à céder à la bourgeoisie en acceptant la proposition de François Mitterrand ». Je suis scié.

J’avais cédé à la pression de la sociale démocratie. Évidemment, des dizaines de délégués, je n’exagère pas, montent à la tribune pour expliquer que j’ai bien sûr tort, que l’époque n’est plus à l’entrisme et que nous pouvons construire le parti révolutionnaire sinon directement du moins grâce à la politique de la ligue. J’ai beau protester, ma « déviation » ne fait aucun doute.

Je suis en rage et je déclare que je ne suis pas candidat au comité central. Hélas, Pierre Lambert propose une liste fermée, donc je suis élu.

À la fin du congrès, il y a une réunion du comité central. Pierre Lambert prend la parle en disant que la discussion a été rude. La position de Charles a été combattue. C’est réglé. Nous sommes des révolutionnaires. Il n’y a plus de divergences, en avant toute. Et puis brusquement il dit que Charles voulait faire un travail de tendance. Ce n’est pas à l’ordre du jour, par contre il faut faire un travail de fraction. Les masses repasseront pas les organisations traditionnelles, donc par le Parti Socialiste. Nous allons faire entrer quelques dizaines de militants au Parti Socialiste. Ils rejoindront les tendances les plus intéressantes sur le terrain, deviendront des cadres, refusant tout mandat électif, s’occupant du parti et le jour de l’affrontement entre les masses et le gouvernement de Front Populaire, ils créeront une tendance qui rompra et convergera vers nous. Ce sera l’application de la stratégie de la Ligue Ouvrière Révolutionnaire.

Le comité central est stupéfait. J’éclate de rire, jaune. Pierre Lambert demande qui est le plus compétent pour mener à bien ce travail ? C'est Charles bien sûr. Il vient de la sociale démocratie et son savoir-faire le désigne. J’ai donc dirigé ce travail jusqu’en 1978. Il s’agissait effectivement d’un travail d’implantation secret, une fraction, rien à voir avec l’entrisme. Et ce travail a porté ses fruits.

Lionel Jospin est entré sur cette ligne dans le Parti Socialiste. Il avait le talent et le profil pour grimper, vite, dans l’appareil. François Mitterrand avait besoin d’un dirigeant pour résister au Parti Communiste Français (PCF). Cela tombait bien. Il n’y a jamais eu d’accord entre Pierre Lambert et François Mitterrand. Tout cela, c’est du baratin. Cette orientation a changé du tout au tout en mai 1981. La « ligne » était claire et limpide. Un militant pouvait accéder aux responsabilités exceptées celles qui l’obligent à appliquer la politique d’un gouvernement de Front Populaire. En acceptant la proposition de François Mitterrand de lui succéder, Lionel Jospin a radicalement rompu avec cette orientation. Mais ce n’est pas lui qui a décidé. Un bureau politique extraordinaire s’est tenu. Lionel Jospin était présent. À l’initiative de Pierre Lambert, le bureau politique a voté à l’unanimité que Lionel Jospin devait accepter d’être premier secrétaire du Parti Socialiste. C'était une trahison totale. Évidemment, Stéphane Just a voté pour. Le travail de fraction devenait une activité d’espionnage politique.

Maintenant, je ferais une remarque sur le rôle de Pierre Lambert dans la dégénérescence de l’OCI. Elle est bien sûr majeure. Mais cela ne s’est pas fait sur un jour mais sur plus de vingt ans, petit pas par petit pas. Et Pierre Lambert politiquement n’avait pas que des défauts. Au contraire, il savait saisir le fil, exploiter les failles, agir dans le moment et manœuvrer. Et surtout véritable Janus capable d’être ultra orthodoxe et ultra opportuniste en même temps, Pierre Lambert, c’était le Guy Mollet du trotskysme.

À tort ou à raison, j’ai toujours été ami avec Stéphane Just. Quand il est mort, j’ai écrit un article dans Carré Rouge pour rendre hommage au militant. De nombreux camarades ont trouvé cet article malvenu. Je n’ai rien à y retirer, chacun son opinion. Je lui ai rendu hommage, mais je n’ai jamais oublié le rôle qu’il a joué aux côtés de Pierre Lambert. Pour faire court, disons que Stéphane Just était le bras armé de Pierre Lambert, plus que son second. L’histoire d’un Stéphane Just irréprochable dirigeant luttant contre l’opportunisme de Pierre Lambert est une fable.

Car la dégénérescence de l’OCI connaît un épisode quasi-historique que nombre de militants ont oublié ou pas connu, le 10 mai 1968.

Lorsque le cortège de la Fédération des Etudiants Révolutionnaires (FER) sortant d’un meeting arrive au carrefour Odéon Saint Michel, les affrontements entre les milliers d’étudiants et la police sont déjà engagés. C’est l’affrontement de la jeunesse contre l'état bourgeois. La FER est respectée dans le milieu. Nous avons jusque là joué un rôle majeur. Sur le terrain en participant à toutes les mobilisations étudiantes et toujours en mettant en avant la solidarité, le lien nécessaire entre les étudiants et la classe ouvrière. Et notre influence sur cette ligne et très importante, les dirigeants et les militants de la FER sont reconnus, appréciés.

Claude Chisserey est le plus talentueux d’entre tous. Avec Christian de Bresson, Georges Sarda, Jean Puyade, Didier, Nicole, Martin, Joëlle, les frères Serfati et beaucoup d’autres, il est à l’origine de la FER. Ce n’est pas rien. Notre influence dans l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF) est considérable comparé à nos forces militantes.

Stéphane Just ce soir décide que nous n’avons rien à faire au Quartier Latin. Notre mot d’ordre, « cinq cent mille travailleurs quartier latin », est aux antipodes de « l’affrontement gauchiste qui oppose quelques milliers d’étudiants aux forces de l’ordre ». Il faut partir et appeler les étudiants à dissoudre la manifestation.

Il y a quatre membres du bureau politique, Stéphane Just, François de Massot, Xavier et Claude Chisserey, moi je suis membre du comité central. Les trois membres du bureau politique s’alignent sur Stéphane Just. Claude Chisserey et moi, nous sommes contre. Évidemment nous appliquons. En fait, c’est Claude Chisserey avec son incroyable courage qui, fort de son autorité, appelle à quitter la manifestation. Il s’exprime avec d’autant plus de radicalité qu’il est contre cette politique, les petits bourgeois doivent cesser de faire du jardinage, il fait allusion au dépavage, et combattre pour la grève générale.

Le lendemain matin, il y a une réunion de la direction. Il y a des centaines de blessés. Stéphane Just est effondré mais maintient la ligne. Nous avons eu raison. Pierre Lambert était resté au congrès de sa fédération Force Ouvrière durant trois jours.

Ce jour, cet épisode, est une catastrophe politique qui va nous couper de dizaines et de centaines de milliers d’étudiants et jeunes travailleurs. Et cette défaite pèsera lourd, pendant des années.

Elle nous a marginalisé, coupé des luttes culturelles, du féminisme et de la lutte contre l’homophobie. Claude Chisserey ne s’en remettra jamais. Ajoutons que c’est à ce moment que notre politique s’est « militarisée ». Nous combattions les staliniens qui nous agressaient. Nous avions raison mais nous avons étendu ce comportement contre l’extrême gauche dans son ensemble. C'était une folie. Puis l’OCI a utilisé la violence contre les militants quand ils étaient en désaccord.

Tout le monde peut commettre une erreur. Il faut ensuite en discuter et redresser.

Pierre Lambert, au nom de « l’unité de l’organisation », refusera d’ouvrir la discussion sur le 10 mai 1968. Le congrès se tiendra en septembre analysant 1968 comme « un bloc » pour reprendre la formule de Georges Clémenceau sur la révolution française. On centrera le débat sur la question gouvernementale mais il n'y aura pas un mot sur le 10 mai 1968. La discussion n’aura jamais lieu.

Pierre Lambert sauve Stéphane Just qui jamais n’évoquera cet épisode lourd de conséquence dans ses écrits. Les héritiers de Stéphane Just, notamment les camarades qui pratiquent une sorte de culte de la personnalité, devraient y réfléchir.

À partir de ce moment, la discussion des désaccords ne se mènera que dans un cadre limité, la direction, jamais au-delà. Et les divergences resteront au niveau du bureau politique, voire du comité central. Les militants n’en sauront jamais rien. Stéphane Just sauvera Pierre Lambert à chaque fois que nécessaire. C’est Tartemuche et Tartemolle. La fable selon laquelle Stéphane Just a toujours veillé à contrer Pierre Lambert dans ses tendances opportunistes est largement surestimée. Stéphane Just a repris contact avec moi dès 1980. Il était démoralisé. Nous nous sommes vus et revus jusqu’à sa mort. J’ai toujours dit à Stéphane Just ce que j’écris ici. Il était gêné, mais il ne protestait pas. Au contraire, il m’expliquait qu’il avait probablement eu tort de ne pas aller jusqu’au bout dans l’affrontement avec Pierre Lambert.

Cela dit, je ne crois pas que l’origine de la dégénérescence puisse être seulement expliqué par le rôle de Pierre Lambert ou du duo entre Pierre Lambert et Stéphane Just. C’est plus compliqué et plus profond. D’abord, c’est une question internationale. Gerry Healy, Juan Posadas, Nahuel Moreno, Guillermo Lora et James Cannon, le mouvement trotskyste s’est construit comme une addition de sections nationales, pas comme des sections d’un parti mondial de la révolution en construction et en discussion, non, comme des organisations « nationales trotskystes ». L'internationale était simplement un plus. Chacun veillant à rester maître chez lui. Et ces organisations bâties sur le principe du centralisme démocratique avaient des chefs inamovibles qui incarnaient cette politique nationale. C’est moins vrai pour le courant « pabliste » car, avec la même méthode, il avait un fonctionnement réellement démocratique et menait une discussion publique internationale et nationale.

C’est notamment à ces problèmes qu’il faut réfléchir. Le socialisme, la révolution, le parti révolutionnaire, que signifient aujourd’hui ces objectifs et ces formulations ? Bien sûr, il faut faire la clarté sur le passé, mais c’est à mon avis sur les problèmes de fond de la construction d’un éventuel parti révolutionnaire évidemment non léniniste qu’il faut réfléchir. En discutant sans anathème ni attaque ad hominem. Ce sont autant d’obstacles à une véritable discussion démocratique. Car, à mes yeux, la démocratie, pour les militants comme pour les salariés et les citoyens est le concentré d’une alternative déterminante au système capitaliste.

Cette discussion vaut si nous voulons essayer de transmettre quelques chose à d’éventuels jeunes militants. Voilà pourquoi à mon avis, par exemple, les deux groupes issus de l’explosion du groupe de Stéphane Just, comme les camarades de la Commune devraient prendre leur place dans ce débat sans violence verbale, ni stigmatisation.

La crise du Parti Ouvrier Indépendant (POI) concerne au premier chef ses militants. Mais je crains qu’il n’en sorte pas grand chose. La plupart des militants, après les exclusions et la syndicalisation trade unioniste sont devenus des « lignards » prêts à tout justifier. Après plusieurs dizaines d’années de ce régime, c'est difficile de changer. Par contre, cette crise, après les autres, déblaye le terrain. C’est un échec qui marque la fin d’une époque et d'un cycle historique. Je souhaite la disparition de tous les groupes au profit d’un rassemblement, c'est un souhait probablement utopique.

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », écrit René Char à la Libération, après les années passées dans la Résistance. Je paraphrase le poète, notre héritage n’est plus précédé d’aucun testament.

Léon Trotsky incarnait la continuité avec la révolution d'octobre victorieuse et la lutte contre le « socialisme dans un seul pays » et contre le stalinisme. Il avait rédigé un testament, le programme de transition, et fondé la quatrième internationale. La victoire du stalinisme qui in fine a conduit à la destruction de l'union soviétique et à la réintroduction du capitalisme, mais également l’échec historique de la quatrième internationale, ont brisé le fil de la continuité.

Ces lignes me vaudront d’être voué aux gémonies. Peu me chaut. Le fil qui nous liait à la révolution d'octobre et au bolchevisme a été rompu. C’était il y a un siècle. Il faut tout recommencer. Ce n’est pas une mince affaire.

En cela, la crise de l’OCI rejoint celle de toutes les organisations du mouvement ouvrier.

J’ajouterai, dans un autre domaine au moins aussi essentiel que celui qui est évoqué, que le texte « Écologie Sociale » du camarade Patrick Farbiaz est à bien des égards remarquable.

Quand nous avons créé le Club Politique Bastille, Michel Lanson notamment avait insisté pour que jamais il ne devienne le lieu d’une quelconque lutte de pouvoir. Il avait totalement raison. Et c’est le cas. Voilà pourquoi c’est devenu un véritable lieu de rencontre et d’échange.

Continuons ce débat modeste mais ambitieux.

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