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28 juillet 2016 4 28 /07 /juillet /2016 10:00

http://www.liberation.fr/planete/2016/07/27/tariq-ali-sortie-a-gauche_1468895

Tariq Ali, sortie à gauche

Par Guillaume Gendron

Mercredi 27 Juillet 2016

Totem de la gauche radicale britannique et proche de Jeremy Corbyn, l’écrivain d’origine pakistanaise se félicite du Brexit.

Aux confins de la Lituanie, il existe un parc où ont été regroupées toutes les statues de l’ère soviétique sauvées de la destruction après l’effondrement du bloc, des dizaines de Vladimir Lénine, de Joseph Staline et d’autres illustres monolithes en pleine forêt, un Jurassic Park communiste. Le quartier bourgeois et boisé de Highgate, sur les hauteurs de Londres, c’est un peu la même chose. On peut s’y recueillir sur la tombe de Karl Marx, moyennant six livres sterling à l’entrée du cimetière, les capitalistes ont gagné, et se réjouir de vivre, à l’ombre des grands chênes, dans le dernier bastion trotskiste du royaume. Jeremy Corbyn, le contesté leader du parti travailliste, est un voisin. Mais celui que l’on est venu trouver, c’est Tariq Ali, cet « ami de quarante ans » qui l’a récemment mis dans l’embarras en déclarant au New Yorker que son camarade était en réalité un brexiter convaincu, malgré la ligne officielle du parti travailliste. Et pendant que Jeremy Corbyn démentait et défendait du bout des lèvres le maintien de la Grande Bretagne dans l’Union Européenne, Tariq Ali multipliait les appels à voter pour le Brexit au nom du Brexit des gauchistes contre l’austérité et pour les migrants.

Il reçoit dans son salon, sous un tableau de Vladimir Lénine plongé dans ses notes.

« Je n’ai jamais cru que les choses iraient mieux en votant pour le Brexit. Mais l’Union Européenne avait besoin d’un bon coup de pied au cul. Les arguments de chaque camp étaient nombrilistes, c’était qu’est-ce qui va me bénéficier à moi ». Il fallait donc punir « cette institution non démocratique dominée par la bourgeoisie allemande, qui nous refuse la moindre tentative d’expérience sociale-démocrate ».

Les tirades sortent d’autant plus facilement que Tariq Ali n’a, depuis un demi-siècle, jamais dévié de sa ligne.

Au mois d’avril 2016, il débattait avec le grec Yánis Varoufákis. « Tout ce qu’il avait à dire, c’est qu’il était d’accord avec moi à quatre vingt dix pour cent. Sauf que lui croit qu’on peut se battre à l’intérieur du système ». Le focus médiatique sur les actes xénophobes post-Brexit n’est que propagande selon lui, visant à culpabiliser les partisans du Brexit en les traitant de racistes sous-éduqués. « Faire croire que la Grande-Bretagne est plus raciste que le reste de l’Union Européenne. Nigel Farage est bourré de préjugés, mais il est clair là-dessus. Manuel Valls est au moins aussi raciste, sauf qu’il ne joue pas franc-jeu ». Il compare la réaction hystérique de la jeunesse au Brexit à la mort de la princesse Diana, « ils ne savent même pas pourquoi ils pleurent ». Il roule ses yeux, deux grandes billes fiévreuses, puis éclate d’un grand rire de sale gosse, fier de sa double profanation envers l’Europe et la monarchie.

Tariq Ali a soixante douze ans et plus d’une vingtaine de livres au compteur. Des essais politiques sur l’impérialisme américain, le fondamentalisme religieux ou l’impasse politique de l’extrême centre, mais aussi deux cycles romanesques, l’un sur la chute du communisme et l’autre sur l’islam, et même une bande dessinée pour les adolescents, « Trotsky pour les débutants ». Il réalise des documentaires, donne une interview hebdomadaire pour la télé vénézuélienne et continue de sillonner la planète.

Le « Street Fighting Man » qui a inspiré la chanson des Rolling Stones est un homme affable et vif, la moustache et les mèches, aujourd’hui blanches, aussi drues et rebelles qu’à ses vingt ans, quand il était l’infatigable manifestant dont John Lennon convoitait l’estime. On ne peut s’empêcher de faire une remarque sur sa demeure, vaste bâtisse néogothique surnommée « château Tariq », a priori aux antipodes des idéaux marxistes dans un Londres où la jeunesse s’entasse dans des colocations sordides. Il a l’habitude des contradictions, après tout, c’est un athée qui a écrit un quintette sur la grandeur de la civilisation musulmane. « Ce qui définit une personne, ce ne sont pas les origines sociales, mais le positionnement politique », répond-il.

« Je n’ai jamais eu à réfléchir à ce dilemme car je suis né avec ». Plus précisément en 1943 à Lahore, alors sous férule britannique, descendant d’une lignée « plutôt aristocratique », que ses parents avaient rejeté en faveur d’un communisme militant. Encore mineur, il combat la dictature militaire établie en 1958. Un oncle haut placé conseille de l’envoyer en Angleterre pour sa sécurité. L’exil se fait dans l’élite, à Oxford, où il suit le prestigieux cursus Philosophie Politique Economie (PPE), passeport pour le pouvoir. Il devient président du principal syndicat étudiant de l’université en 1965, ce qui lui permet de débattre avec Malcolm X. Journaliste à la fin des sixties, il couvre la guerre du Vietnam et la mort d’Ernesto Che Guevara, son modèle. En tête de tous les cortèges, il rêve d’un mai 1968 britannique, signe un appel à la légalisation du cannabis avec les Beatles, et se présente au parlement sous étiquette trotskiste. Autant dire que Tariq Ali a longtemps cru davantage à la révolution qu’à la victoire dans les urnes.

L’impensable s’est pourtant produit, les dinosaures de Highgate ont enfin capté la lumière. Au mois de septembre 2015, Jeremy Corbyn est élu à la tête du parti travailliste, grâce à des vingtenaires exaltés qui peinent à croire qu’il fut un temps où l’université était gratuite. Tariq Ali, « le néo libéralisme efface l’histoire sociale. Pas un hasard si tout ce qu’il y a à la télévision, ce sont les Tudors ». Complots internes et démissions s’enchaînent au parti travailliste depuis que Jeremy Corbyn, trop rouge pour les héritiers de Tony Blair, est aux commandes. « Un vrai lynchage, mais ils ne le connaissent pas. Ce n’est pas un faible, il a une volonté d’acier ».

De passage à Paris, il déjeune avec Edwy Plenel, « nous nous connaissons depuis 1971 », et il rêve d’un Mediapart anglais. Ses modèles d’écriture restent français, Stendhal d’abord, puis Honoré de Balzac, dont l’obsession pour l’argent l’a toujours amusé, lui qui en prônait l’abolition. Il préfère en rire, « nous l’avons au moins fait virtuellement avec les cartes de crédit ». Il vit avec sa femme, Susan Watkins, qui dirige la revue marxiste New Left Review, dont il est la plume principale. Il a trois enfants, une productrice de télévision, une attachée de presse reconvertie institutrice et un fils qui passe son droit.

Il refuse les caricatures de l’islam en religion malfaisante et il pense que chaque texte sacré porte en lui justification à la violence. L’Etat Islamique n’est, à ses yeux, que la dernière métastase d’un cancer inoculé par l’Amérique et ses alliés, coupables d’avoir éradiqué laïcs et nationalistes du Moyen-Orient. Dans les années 1950, au Pakistan, aucun de ses amis n’était croyant. Tariq Ali raconte la campagne pakistanaise d’antan et ses festivals soufis où, pendant des jours entiers, « des poètes gays enchaînaient orgies et joints. C’était très relax ». Tout cela a pris fin en 1977 avec un nouveau coup d’état militaire islamisant, « soutenu par l’Amérique, encore une fois ». Pas de doute, pour Tariq Ali, le monde d’aujourd’hui est bien pire que celui dans lequel il a grandi. La montée de l’extrême droite l’inquiète, mais il est persuadé que « chaque génération trouve les solutions à ses problèmes ». Une fois de plus, il a choisi d’y croire.

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