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28 décembre 2016 3 28 /12 /décembre /2016 20:34

 

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/12/28/le-proces-de-l-auteure-asli-erdogan-emblematique-de-la-turquie-de-l-apres-putsch_5054639_3214.html

 

En Turquie, les intellectuels en procès

 

La comparution de neuf personnes, dont l'écrivaine Asli Erdogan, illustre la dérive autoritaire du président turc

 

Par Marie Jégo, correspondante permanente du Monde à Istanbul

 

Un procès emblématique de la Turquie d’après le putsch raté du Vendredi 15 Juillet 2016 s’ouvre, Jeudi 29 Décembre 2016, à Istanbul.

Neuf intellectuels sont cités à comparaître devant la vingt troisième chambre de la cour d’assises du palais de justice de Caglayan. Trop exiguë, la salle d’audience ne pourra accueillir les diplomates européens, les représentants des Organisations Non Gouvernementales (ONG), les parents et les journalistes désireux de suivre les audiences. Les avocats ont eu beau réclamer la mise à disposition d’une salle plus vaste, rien n’y a fait. Le ministère de la justice leur a opposé une fin de non-recevoir.

« Tant pis, nous organiserons un système de relève et nous ferons des groupes », explique Nilgün, une des membres du comité de soutien aux intellectuels emprisonnés. « J’accuse » est leur mot d’ordre. Pour éviter les foudres des forces de l’ordre, attendues en nombre, ils se contenteront d’exhiber leurs pancartes en silence aux abords du palais de justice.

Sur le banc des accusés figurent une écrivaine, une linguiste et deux journalistes. En tout, huit prévenus risquent la prison à perpétuité pour leurs articles ou pour leur soutien déclaré au quotidien Özgür Gündem, réputé favorable à la rébellion kurde du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre contre l'état turc depuis plus de trente ans.

Cinq sièges seront vides, ceux des accusés qui ont eu le temps de fuir avant le coup de filet de la police cet été. Les quatre autres, l'écrivaine Asli Erdogan, la linguiste Necmiye Alpay et les journalistes Inan Kizilkaya et Zana Kaya, sont en détention préventive depuis le mois d'août 2016.

La réclusion à perpétuité a été requise contre Asli Erdogan, sans lien de parenté avec le président turc, écrivaine de renom dont les romans ont été traduits en plusieurs langues. Elle est accusée d’avoir attenté « à l’intégrité de l'état » par ses chroniques et d’être « membre d’une organisation terroriste », le PKK. Ces charges détonnent avec la personnalité de cette femme trop indépendante pour supporter la moindre étiquette.

« Asli Erdogan a toujours été du côté des exclus. Petite, elle ramassait tous les chats errants du quartier pour les mettre à l’abri chez elle pendant les intempéries. Son engagement n’a rien d’idéologique, elle est comme cela, son caractère l’exige. Voici dix-huit ans qu’elle publie des chroniques dans différents journaux d’opposition en Turquie avec ce même esprit, or elle n’a jamais été condamnée une seule fois. Asli Erdogan n’a pas changé. En revanche, la Turquie a changé », explique Aysegül Tozeren, amie de longue date de l'écrivaine.

Elle sera au tribunal, la tête pleine de questions. Car Asli Erdogan n’a pas été vue depuis le 17 août 2016, lorsque des policiers cagoulés sont venus la chercher à son domicile, à Istanbul, pour l’emmener à la prison de Bakirköy. Quelles séquelles aura laissées la détention sur cette femme de quarante neuf ans à la santé fragile, très angoissée de nature ? « Son état de santé est stable, elle se prépare psychologiquement à son procès. Nous ne savons pas si elle sera libérée », dit Özcan Kiliç, l’avocat du journal Özgür Gündem. « Je veux croire qu’elle sera libérée et les autres avec elle, parce qu’ils n’ont fait qu’écrire », avance Aysegül Tozeren.

Asli Erdogan n’était jamais allée en prison auparavant. Elle en avait pourtant décrit dans un roman, le Bâtiment de Pierre, publié en Turquie en 2010, puis en France en 2013, par les éditions des Actes Sud, les tourments d’une femme hantée par son séjour derrière les barreaux aux côtés de militants, d’intellectuels et d’enfants des rues, un univers rythmé par les violences, la torture et les cris. En dénonçant la violence institutionnelle, elle ravive les traumatismes récents vécus par le pays au moment des putschs militaires de 1960, de 1971 et de 1980, ou lors de la sale guerre qui embrasa les régions kurdes au début des années 1990, caractérisée par l’emploi d’escadrons de la mort, les assassinats extra judiciaires et les disparitions.

Ses livres, dont le Bâtiment de Pierre, ne se sont jamais aussi bien vendus que pendant sa détention. Les soutiens sont mobilisés. Des soirées informelles sont organisées, au cours desquelles ses textes sont lus. « Depuis quand met-on les écrivains en prison », s’insurge Nilgün, qui y est assidue.

A la fin du mois d'août 2016, un appel a été lancé pour la libération d’Asli Erdogan, à l’initiative des auteurs Jean Rolin et Patrick Deville. Il a été signé par Jonathan Littell, Annie Ernaux, Bernard Pivot et bien d’autres écrivains et éditeurs du monde entier. Le 4 janvier 2017, un recueil de ses articles, « le silence n’est même plus à toi », sortira en France aux éditions des Actes Sud, mais pas en Turquie, où certaines de ces chroniques ont été versées au dossier d’accusation.

Au début de sa garde à vue de trente jours, dont cinq passés dans un total isolement, sans médicaments et sans livres, l’écrivaine a frôlé la dépression.

Placée ensuite dans une cellule commune avec la linguiste Necmiye Alpay, soixante et onze ans, elle a retrouvé son humeur combative.

Au point de transmettre, au mois de novembre 2016, une mise en garde à l’adresse de la communauté internationale sur la dérive autoritaire en Turquie.

Dans sa lettre, elle écrit notamment que « notre gouvernement veut monopoliser la vérité et la réalité. Toute opinion un tant soit peu différente est réprimée avec violence. Ma lettre est un appel d’urgence. La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante. Je suis convaincue que l’existence d’un régime totalitaire en Turquie secouerait inévitablement, d’une façon ou d’une autre, l’Europe entière mais celle-ci, focalisée sur la crise des réfugiés, semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie ».

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