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3 août 2017 4 03 /08 /août /2017 17:59

 

 

http://www.lemonde.fr/international/article/2017/08/03/le-journaliste-loup-bureau-inculpe-en-turquie-pour-terrorisme-une-situation-alarmante_5168264_3210.html

 

Le journaliste Loup Bureau inculpé en Turquie pour terrorisme, une situation alarmante

 

Selon Martin Pradel, l’un de ses avocats, un cap a été franchi par les autorités turques dans la répression des journalistes occidentaux.

 

Par Cécile Bouanchaud

 

L’épreuve de force engagée par les autorités turques contre les journalistes occidentaux a franchi un nouveau palier. Après une semaine de garde à vue, Loup Bureau, journaliste indépendant français de vingt sept ans, a été mis en examen puis incarcéré pour participation à un groupe terroriste, a-t-on appris auprès de ses proches et d’un de ses avocats, Martin Pradel. En ligne de mire des autorités turques, il y a un reportage réalisé en 2013 pour la cinquième chaîne de la télévision française auprès des unités de protection du peuple (YPG), des combattants kurdes en Syrie, une organisation considérée comme terroriste par la Turquie, qui les combat militairement.

La mise en examen de Loup Bureau s’inscrit dans une série d’arrestations arbitraires de journalistes occidentaux sur le sol turc. Depuis le mois de février 2017, le journaliste allemand Deniz Yücel, correspondant du quotidien die Welt en Turquie, est incarcéré pour incitation à la haine et propagande terroriste. Au mois de novembre 2016, le reporter Olivier Bertrand, cofondateur du site des Jours, a été arrêté alors qu’il effectuait un reportage dans la région de Gaziantep. Détenu par la police turque entre le 11 et le 13 novembre 2016, il a finalement été expulsé vers la France sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.

Huit mois plus tard, le photographe français Mathias Depardon, installé à Istanbul depuis cinq ans a, lui aussi, été arrêté, à Hasankeyf, dans la région de Batman, dans le sud-est à majorité kurde du pays, parce qu’il travaillait sans carte de presse. Malgré un ordre d’expulsion notifié peu après son arrestation, le journaliste a été maintenu un mois en détention avant d’être chassé.

« Cette fois, la situation est bien plus alarmante. Loup Bureau est inculpé. Il est formellement mis en cause par les autorités turques qui emprisonnent en masse les journalistes qui souhaitent faire preuve d’indépendance en parlant de la guerre que mène la Turquie à sa frontière syrienne », estime Martin Pradel, qui a mandaté un avocat sur place pour réclamer la libération du journaliste, lors d’une nouvelle audience qui doit se tenir dans les prochains jours.

Le ministère des affaires étrangères fait savoir qu’il suit « avec la plus grande attention la situation » de Loup Bureau. « L’ambassade de France à Ankara est en contact avec les autorités locales, afin de pouvoir exercer au plus vite la protection consulaire », précise un porte-parole du ministère.

C’est devenu son rituel depuis cinq ans. Chaque été, Loup Bureau prend des billets d’avion pour un périple en solitaire, dans une zone de conflits, une frontière, toujours. Après les zones tribales du Pakistan, l’Egypte lors du printemps arabe et l'est ukrainien à la lisière de la Russie, le jeune homme, en master de journalisme à Bruxelles et déjà diplômé d’une licence de journalisme à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) de Lannion, dans le département des Côtes-d’Armor, a pris la route de la Turquie le 17 Juillet 2017, en direction de la frontière turco-irakienne pour rejoindre les populations kurdes prises entre deux pays et entre deux guerres.

« La plupart de ses reportages portent sur la vie des gens dans des zones frontalières. Il voulait faire un article sur la vie des populations autour de ces frontières, en allant du côté turc et du côté des kurdes irakiens », rapporte son père, Loïc Bureau, professeur d’histoire et de géographie, qui estime que son fils « a sans doute sous-estimé la dangerosité pour un journaliste d’être en Turquie ».

Le 26 juillet 2017, dix jours après son arrivée en Turquie, le journaliste, qui s’était déjà rendu une fois dans le pays en tant que touriste, a été arrêté, à Silopi, dans la province de Sirnak, frontalière de l’Irak et de la Syrie. « Il s’est vu reprocher le fait de travailler sans autorisation en Turquie », rapporte son père, qui a pu l’avoir deux minutes au téléphone, Mardi Premier Août 2017, et qui est tenu informé de la situation de son fils par la cellule de crise du ministère des affaires étrangères.

Durant sa garde à vue, les autorités turques découvrent alors que Loup Bureau, qui a étudié l’arabe pendant un an à l’Institut français du Caire, a réalisé par le passé un reportage au nord de la Syrie auprès des populations civiles kurdes ayant fait le choix de s’engager aux côtés des combattants des YPG qui luttent contre l’Etat Islamique. Une enquête diffusée par la cinquième chaîne de la télévision française en 2013 est accessible en Iigne. Sur une photographie publique publiée sur son profil Facebook, le jeune homme apparaît, l’air décontracté, vêtu d’une polaire noire et d’un pantalon bleu, en compagnie des combattants des YPG en tenue militaire.

« Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse, ce n’est pas cette photographie qui est mentionnée dans l’acte d’accusation visant Loup Bureau, mais seulement le reportage », fait savoir le conseiller du jeune homme qui précise que, dans la législation turque, l’accès au dossier est restreint dans des affaires de terrorisme.

Mardi Premier Août 2017, après une première audience devant un tribunal, le jeune homme a été incarcéré pour une durée de sept jours. La loi turque prescrit que, au terme de cette semaine de détention, le dossier du prévenu soit une nouvelle fois examiné. Un avocat mandaté par Martin Pradel doit se rendre Jeudi 3 Août 2017 à la prison de Sirnak où Loup Bureau est incarcéré depuis Mardi Premier Août 2017. « Nous allons demander sa libération. Nous ne voulons surtout pas que la situation soit celle d’un maintien en détention », prévient Martin Pradel qui envisage différents recours, appel, Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) et mécanisme onusien, si la demande de libération n’est pas acceptée.

Dans l’attente d’une décision de justice, des organisations françaises et internationales de journalistes se mobilisent et ont réclamé Jeudi 3 Août 2017 la libération immédiate de Loup Bureau. Dans un communiqué commun, le Syndicat National des Journalistes (SNJ), le SNJ de la Confédération Générale du Travail (CGT) et le syndicat des journalistes de la Confédération Française et Démocratique du Travail (CFDT), soutenus par la fédération européenne des journalistes (EFJ) et la fédération internationale des journalistes (IFJ), ont exigé « que le gouvernement français mette tout en œuvre » pour obtenir sa libération. « Les propos convenus ne suffisent plus », disent-elles.

Pour les trois syndicats, « il est clair que les dirigeants turcs et le président Recep Tayyip Erdogan en tête abhorrent les journalistes étrangers trop curieux et n’hésitent pas à les arrêter pour imposer un mur du silence sur la réalité de ce pays, qui est la plus grande prison au monde pour les journalistes où cent soixante de nos confrères sont derrière les barreaux ».

« Nous ne sommes pas dupes, la seule raison pour laquelle Loup Bureau a été interpellé, c’est parce qu’il est journaliste », confirme Martin Pradel, qui constate que, un an après la tentative de coup d'état, « la Turquie vit une série d’épreuves institutionnelles et souhaite garder un contrôle extrêmement important sur les médias ». « On lui reproche d’avoir essayé de faire son travail et d’avoir couvert la question kurde qui est une question majeure au Proche-Orient », abonde Johann Bihr, responsable du bureau de l'Europe de l’Est et de l'Asie Centrale de Reporters Sans Frontières (RSF).

Le père de Loup Bureau, qui assure que son fils « n’est pas anti-turc », constate lui aussi un changement de positionnement des autorités, évoquant une chasse aux journalistes.

« Ce que j’espère, c’est que la Turquie expédie le problème en lui interdisant d’entrer sur le territoire pendant quelques années, plutôt que de s’entêter à construire un profil de journaliste terroriste », dit-il.

Selon son père, Loup Bureau a trouvé sa vocation à l’âge de dix huit ans, en lisant les récits de guerre du reporter Patrick Chauvel, véritable tête brûlée, connu dans le métier pour aller au plus près du conflit. « Je respecte cette vision qu’il a du journalisme de considérer que l’on ne peut pas traiter un événement sans en être au plus près », commente Loïc Bureau, qui « craint depuis longtemps d’avoir des nouvelles de Loup Bureau dans les médias ».

Patrick Remacle, ancien grand reporter à la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF), aujourd’hui professeur à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales (IHECS) de Bruxelles, assure que son élève n’est pas une tête brûlée. « Loup Bureau est quelqu'un de réfléchi, qui s’intéresse aux pays en guerre, plus pour souligner l’impact des conflits sur les populations que pour le conflit en tant que tel », insiste le professeur du jeune homme, qui donne en exemple le reportage sur les enfants de Maïdan, réalisé par Loup Bureau au printemps. Et d’ajouter « qu'il doit me rendre un autre travail d’investigation le 21 août 2017, je l’attends avec impatience ».

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