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12 mai 2018 6 12 /05 /mai /2018 18:24

 

 

http://www.liberation.fr/planete/2018/05/12/pour-le-hamas-la-frontiere-israelienne-n-est-pas-une-vache-sacree-ou-un-tabou_1649477

 

Pour le Hamas, la frontière israélienne « n'est pas une vache sacrée ou un tabou »

 

Par Guillaume Gendron, envoyé spécial de Libération à Gaza

 

A quelques jours du climax à haut-risque de la marche du retour, le leader du Hamas à Gaza a convoqué pour la première fois la presse internationale. Se refusant à revendiquer la mainmise du mouvement, Yahya Sinwar ne s'est pas opposé au franchissement en masse de la frontière, Lundi 14 Mai et Mardi 15 Mai 2018, grande crainte des israéliens.

Téléphones et autres enregistreurs ont dû être remis au pléthorique contingent sécuritaire. Le protocole, insiste-t-on. À ce niveau, rien n’a été laissé au hasard, petits gâteaux, café, soda et fleurs ont été disposés avec soin devant les rangs de chaises dans ce vaste bureau du Hamas, au cœur de Gaza City. Soudain, le ronflement du générateur s’interrompt. Courant coupé et salle plongée dans le noir, « cela ne fait pas partie du protocole, c’est juste Gaza ». Et c’est ainsi que l’on découvre que Yahya Sinwar, le chef du Hamas dans l’enclave sous blocus, numéro deux selon l’organigramme officiel depuis 2017 mais véritable homme fort du mouvement islamiste aux yeux de tous, est adepte des petites blagues.

Tour à tour enjôleur et provocateur, col de chemise largement ouvert, on aurait pu penser qu’il s’était prêté à l’exercice toute sa vie, tel un vieux roublard de la politique palestinienne.

Emprisonné la moitié de son existence, vingt deux ans, avant d’être libéré dans le cadre de l’échange avec Gilad Chalit, comme il aime à le rappeler, celui qui fut longtemps un homme de l’ombre de la branche militaire donnait pourtant, à cinquante cinq ans, sa première conférence de presse devant une trentaine de journalistes étrangers convoqués par ses services Jeudi 10 Mai 2018 à Gaza.

« Personnellement, je n’aime pas être devant les caméras, mais le moment est critique », s’est-il senti obligé de préciser, avant de se lancer, sans ironie apparente cette fois, dans un stupéfiant panégyrique du rôle des médias et leur indépendance, les appelant non pas « à prendre le parti du Hamas, mais à retranscrire la vraie réalité de Gaza. Au Moyen-Orient, on vous appelle la quatrième autorité ».

Le Hamas fervent défenseur des libertés de la presse, voilà qui est nouveau, d’autant plus que ces dernières semaines, le mouvement a durci sa procédure de délivrance de permis pour les reporters. Tout comme sa conversion récente à la résistance populaire et non-violente.

Au mois d'avril 2018, ses leaders avaient harangué la foule devant une large bannière représentant Nelson Mandela, Martin Luther King et le mahatma Gandhi. Des figures tutélaires inédites pour le Hamas, engagé dans trois guerres avec Israël depuis sa prise de pouvoir dans la bande de Gaza en 2007.

Dans ce prolongement, la discussion ouverte proposée par Yahya Sinwar Jeudi 10 Mai 2018 aux médias internationaux était une nouvelle façon pour le Hamas de toiletter son image en capitalisant sur la marche du retour. Depuis le 30 mars 2018, des milliers de gazaouis se réunissent chaque vendredi à la frontière avec Israël pour réclamer leur droit au retour dans leurs terres perdues lors de la Nakba, la Catastrophe que fut pour eux la création d’Israël en 1948. Cinquante-trois palestiniens ont été tués et des centaines blessés par balles par les snipers israéliens postés de l’autre côté des barbelés au fil des semaines. Le nombre important de jeunes manifestants gravement blessés aux genoux par des munitions explosives a fait craindre au président palestinien Mahmoud Abbas l’émergence d’une génération d’handicapés.

Accusé par les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et une large partie de la communauté internationale d'usage disproportionné de la force, l'armée israélienne se justifie en répliquant que les manifestations ne sont qu’un théâtre orchestré par le Hamas, afin de fournir une couverture à ses activités terroristes. Si des jets de pierre, des cocktails molotov et des cerfs-volants enflammés ont été dirigés contre les soldats israéliens par des groupes épars de manifestants, aucun israélien n’a été blessé. Et, comme se plaît à rétorquer Yahya Sinwar, « pas une roquette n’a été tirée depuis le début des rassemblements, pas une ». Quant à l’idée de tirer les ficelles, Yahya Sinwar préfère rester vague. Certes, le Hamas a fourni, a minima, une aide logistique conséquente au mouvement, mais il l’assure, ces manifestations ne sont que l’expression spontanée du désespoir de la jeunesse gazaouie.

« Le plus dangereux ici, c’est que les shebabs ont perdu tout espoir d’une vie digne », explique-t-il après avoir égrené une litanie dramatiques de chiffres illustrant la situation de l’enclave, « invivable d’ici 2020 » a prévenu l’Organisation des Nations Unies (ONU). Le fait qu’une dizaine de membres des brigades al Qassam, la branche militaire du Hamas, se trouvaient parmi les meneurs que les tireurs d’élites israéliens ont abattus ? « Oui, certains combattants sont allés en tant que civil aux manifestations, en laissant leurs armes à la maison. Qu’est-ce que vous préférez ? Que les Qassam lancent des roquettes ou qu'elles manifestent pacifiquement ». Et Yahya Sinwar de rappeler que lui-même avait obtenu des concessions, plus concrètement : du papier et des stylos, de ses geôliers israéliens en faisant une grève de la faim de vingt jours.

Pour Nathan Thrall, analyste à l’International Crisis Group, le Hamas se livre à « un numéro d’équilibriste depuis le début de la marche. Évidemment, ils veulent apparaître comme un rouage essentiel du mouvement aux yeux des palestiniens, notamment en contraste avec la réaction ambivalente, voire quasi-hostile, de l’Autorité Palestinienne face à la marche. Mais jusqu’à un certain point, pour ne pas discréditer le mouvement en le transformant en événement purement partisan, cent pour cent conduit par le Hamas, ce qui conforterait le narratif des israéliens qui n’y voient qu’une ruse terroriste. D’où leur insistance à parler de la société civile et à inclure les leaders des factions rivales, y compris le Fatah de Gaza ».

À quelques jours du déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, Lundi 14 Mai 2018, et des soixante dix ans de la Nakba, Mardi 15 Mai 2018, l’inquiétude monte. Les palestiniens ont laissé planer l’idée d'une brèche massive de la clôture de sécurité, qui constituerait le point d’orgue du mouvement durant ces deux jours.

Avec le risque d’entraîner une nouvelle hécatombe sous les balles israéliennes. Vendredi 11 Mai 2018, sur la chaîne de télévision du Hamas al Quds, Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique du mouvement, a annoncé vouloir « transformer la commémoration de la nakba palestinienne en nakba du projet sioniste », jurant de ne jamais reconnaître l'état hébreu.

« Ce que nous espérons pour Lundi 14 Mai et Mardi 15 Mai 2018, c’est la scène la moins sanglante possible », esquive quant à lui Yahya Sinwar, « ni moi ni aucun autre chef de faction ne pouvons dire ce qui se passera ces jours-là, mais nous garantissons que ce sera pacifique et que les foules qui se révolteront ne poseront aucune menace pour personne. Tout dépendra donc de la réaction de l’occupant israélien ».

Relancé, Yahya Sinwar se fait plus précis, « dites-moi, quel est le problème si des centaines de milliers de personnes franchissent ces barbelés qui ne sont même pas une frontière reconnue ? Cette clôture, ce n’est pas une vache sacrée ou un tabou que nous n’avons pas le droit de toucher ». Et d’expliquer qu’il attend que la présence des journalistes, « avec vos appareils photographiiques et vos mots », tempère la virulence de la riposte israélienne. Depuis la fin du mois de mars 2018, deux journalistes palestiniens sont morts sous les balles des tireurs d’élites. Leur portrait est affiché en haut d’un billboard à l’entrée de Gaza au checkpoint tenu par le Hamas, avec le slogan « les martyrs de la vérité ».

Le leader du Hamas, organisation considérée comme terroriste par les Etats-Unis et l’Union Européenne, une qualification que Yahya Sinwar considère injuste, dit avoir prévenu l’envoyé spécial de l’ONU dans la région, Nickolay Mladenov, « Gaza est un tigre en cage, affamé depuis onze ans, durée du blocus israélien à la suite de l’arrivée au pouvoir du Hamas. Maintenant, le tigre est hors de la cage et nul ne sait jusqu’où il ira ». A plusieurs reprises, l’ancien prisonnier compare les quatre murs de sa cellule et la bande de Gaza, « prison à ciel ouvert, où l'on mange moins bien que dans les pénitenciers israéliens, nous ferons tomber ces murs, car il est clair que nous n'acceptons pas de mourir à petit feu ». 

En filigrane de son discours de deux heures, Yahya Sinwar, connu pour son pragmatisme, plaide avant tout pour la levée du blocus et il ignore quasi entièrement la revendication, plus symbolique que centrale, du droit au retour des réfugiés. Et de prévenir que « nous préférons obtenir nos droits de la manière douce et calme mais, si nous sommes forcés, nous reviendrons à la résistance armée que le droit nous garantit ».

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