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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 16:59

 

 

https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/des-que-ca-commence-a-chauffer-j-evacue-la-perilleuse-mission-des-agents-qui-protegent-les-journalistes-face-aux-gilets-jaunes_3151055.html

 

« Dès que cela commence à chauffer, j'évacue », la périlleuse mission des agents qui protègent les journalistes contre les Gilets Jaunes

Depuis le début de la mobilisation et la multiplication des agressions contre les reporters, la présence de ces agents s'est généralisée. Eux-mêmes pris pour cible, ils racontent à France Info la façon dont ils travaillent.

« Attention, ils tirent avec des Lanceurs de Balles de Défense (LBD). Ils chargent, faites gaffe », nous sommes Samedi 12 Janvier 2019 place de l’Etoile, à Paris, et Jacques talonne une équipe de journalistes originaires des Pays-Bas.

Comme la majorité des reporters qui couvrent les rassemblements des Gilets Jaunes, ils bénéficient d’une protection rapprochée. Jacques, cinquante neuf ans, en a vu d’autres. Cet ancien officier de l'armée israélienne a travaillé dix huit ans pour la sécurité de l'ambassade d'Israël dans le monde entier et il a assuré la protection de journalistes de la British Broadcasting Corporation (BBC) ou de Cable News Network (CNN) lors des intifadas à Gaza. « Là bas, cela tirait à balles réelles », le bodyguard confie toutefois être surpris de la violence observée lors des récentes manifestations en France, « j’ai beaucoup de mal à comprendre que cela puisse aller si loin ».

Ce n'est pas la première fois que les rédactions font appel à des Agents de Protection Rapprochée (APR) pour assurer la sécurité de leurs journalistes. Cette pratique est fréquente lors des célébrations de la Saint-Sylvestre et elle s'est accélérée avec les manifestations contre la loi travail en 2016 ou encore l'évacuation de la Zone A Défendre (ZAD) de Notre Dame Des Landes au mois d’avril 2018. Mais avec la multiplication des agressions de journalistes depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, l'expérience s'est généralisée.

A France Télévision, le dispositif est monté en puissance. Ce n'est plus un agent mais deux qui accompagnent un binôme de journalistes. Idem à BFM Télévision, qui affecte un agent par personne envoyée sur le terrain, leur nombre pouvant aller jusqu'à trois. « Le domaine de la protection n'est plus réservé aux stars », dit Eric, vingt huit ans, près de dix ans d'expérience dans le secteur, « aujourd’hui, on intervient dès qu’il y a des situations de crise et dès qu'il peut y avoir atteinte physique à la personne ».

Pour la seule journée du Samedi 12 Janvier 2019, plusieurs reporters ont été violemment pris à partie et parfois frappés. A Toulon, deux journalistes vidéo de l'Agence France Presse (AFP) ont été menacés alors qu'ils filmaient des échauffourées, avant de trouver refuge dans un restaurant. A Marseille, une journaliste vidéo de la troisième chaîne de la télévision française et deux photographes ont été insultés et empêchés de travailler. A Toulouse, une journaliste de la Dépêche du Midi, insultée et menacée de viol par des Gilets Jaunes encagoulés, a porté plainte. A Pau, un journaliste pigiste a reçu un coup de pied à la jambe.

Les agents de protection sont eux aussi pris pour cible. A Paris, l'un d'entre eux, qui accompagnait un vidéaste de l'AFP, a reçu des coups de matraque de la part des forces de l'ordre. A Rouen, un agent qui accompagnait une équipe de La Chaîne Info (LCI) a été roué de coups alors qu'il était à terre et il a eu le nez fracturé.

Ces professionnels tentent pourtant de se fondre dans le décor et de se faire le plus discret possible, quitte à être confondus avec l'équipe de journalistes qu'ils accompagnent. « Nous portons parfois le matériel et les personnes nous prennent pour des techniciens », dit Nasser, quarante huit ans, agent de protection pour les journalistes de France Télévision. La mission s’avère plus délicate lorsqu’ils protègent des reporters de BFM Télévision, particulièrement visés par certains manifestants.

« Il y a une vraie chasse aux journalistes de notre chaîne et des agents ne veulent plus travailler avec nous », dit une source de BFM Télévision à France Info. Cette source, qui préfère rester anonyme, précise que la chaîne a quasiment abandonné les directs face caméra pendant les manifestations pour ne pas exposer ses journalistes.

Malgré l'anonymisation des bonnettes sur les micros et la disparition des logos sur le matériel, des Gilets Jaunes cherchent systématiquement à savoir à quel média appartient l'équipe de télévision qu'ils rencontrent, comme en témoignent tous les agents interrogés par France Info. « Nous faisons de la désinformation et nous leur répondons que nous travaillons pour un média étranger », dit Olivier, quarante et un ans, dont vingt deux ans de sécurité privée au compteur. Il a participé à quatre journées de mobilisation pour des journalistes de France Info, de BFM Télévision et de la première chaîne de la télévision française, et il confirme qu’il est désormais impossible pour les journalistes de la chaîne d'information en continu d'avancer à visage découvert.

Pour assurer la sécurité de leurs clients, ces silhouettes agiles les marquent à la culotte, notamment le caméraman. « Je le prends par les hanches et je le guide », explique Nasser. « Il a l'œil dans l'objectif et il ne voit pas ce qu'il se passe autour de lui. Je suis ses yeux », dit Jacques, « je tiens le caméraman par son sac à dos ou sa capuche. Lorsque je tire un peu plus fort, cela veut dire qu’il faut reculer ».

Les deux agents soulignent l'importance du dialogue avec l'équipe et le respect des consignes expliquées au préalable.

Car la première mission des APR est l’observation, pour anticiper le danger. « Les journalistes sont pris entre deux feux, d’un côté, les Gilets Jaunes et, de l’autre côté, les forces de l'ordre », dit Jacques. Selon l'ancien militaire, la situation devient dangereuse lorsque policiers ou gendarmes confinent les manifestants, « c’est une cocotte-minute et des projectiles en tout genre commencent à voler, trottinettes, mobilier urbain, boules de pétanque, tubes d'échafaudage en guise de javelots, pavés et boulons ».

Une configuration qui rappelle de mauvais souvenirs à Nasser, « lors d'une journée de mobilisation, le journaliste était de dos en train de filmer et il ne se rendait pas compte que les pavés volaient à trente centimètres au-dessus de sa tête », confirme celui qui fait stopper des directs. Les tirs de LBD restent ce que les agents de protection redoutent le plus. « J'ai plus peur de la police que de tout le reste », dit Olivier.

Les agents doivent aussi éviter les attroupements de manifestants autour de leurs journalistes, qui risquent de dégénérer. C'est ce qui est arrivé à Eric, qui sécurisait une équipe de journalistes de France Télévision à Bourges, Samedi 12 Janvier 2019. « Nous nous sommes retrouvés coincés dans une rue au milieu d'un groupe de casseurs. Les reporters sont devenus des cibles », raconte l'agent âgé de vingt huit ans. Les insultes ont fusé, suivies par des jets de bouteilles et de pierres. « Cela atterrissait sur mon dos », explique Eric, qui protégeait le caméraman. L'arrivée de trois voitures de police a détourné l'attention et l'équipe a pu filer.

« Dans ces situations, il faut rester humble et calme », précise l'agent, pas besoin d'être une armoire à glace, au contraire. « Un agent qui fait deux mètres, cela ne sert à rien, cela aggrave même la situation », estime Nasser. A l’inverse de leurs collègues de la sécurité privée postés à l'entrée de bâtiments, et dont la carrure peut être dissuasive, les agents de protection doivent faire profil bas, pour éviter d'attirer l'attention. Dans une profession encore très masculine, « les profils féminins sont recherchés pour leur discrétion », indique Valérie, une agente de quarante huit ans qui travaille notamment pour BFM Télévision.

« Le fait d'être une femme attire moins l’attention », confirme Sophie, une ancienne sportive de haut niveau qui a assuré la sécurité de journalistes du service public à Paris, Marseille et Toulon, « moi je ne suis jamais repérée, à part quand je suis reconnue pour mon ancienne profession, ce qui inspire plutôt le respect ».

Si la tension monte et que des invectives sont lancées contre les journalistes, le dialogue est toujours privilégié. « Notre parole, c'est notre meilleure arme. Même si la discussion est houleuse », dit Sophie. « Il faut toujours garder son sang-froid et expliquer », dit Jacques, qui engage souvent la conversation avec des Gilets Jaunes.

Si le dialogue reste impossible, les forces de l'ordre sont une solution de repli pour les équipes. Quand l'environnement devient trop hostile, elles se faufilent derrière un cordon de Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) ou de gendarmes mobiles. La carte et le badge professionnel des agents servent alors de sésame. « Nous l’exhibons et ils nous font une ouverture. Idem pour les commerces, nous frappons au carreau et ils nous ouvrent », dit Nasser.

Ce genre d’extraction est fréquent. « Dès que je vois que cela commence à chauffer, je fais une évacuation », dit Olivier. « Lorsque je sens que cela arrive à l'affrontement violent, nous battons en retraite avec mes clients, il n'y a pas de honte à partir », dit Nasser, « le clash arrive quand c'est trop tard ».

C'est ce qui s'est produit à Rouen, Samedi 12 Janvier 2019, où l'un des deux agents de protection d'une équipe de journalistes de LCI a failli se faire lyncher, avant d'être extrait par deux manifestants, selon Hugo Blais, le journaliste reporter d'images qui était avec lui. Selon certains témoignages rapportés par la presse locale, l'usage par l'agent en question d'une matraque télescopique aurait aggravé la situation, les manifestants le prenant pour un policier en civil. « Il n'y a pas eu d'élément déclencheur pour l'agression », conteste Hugo Blais, « il a sorti sa matraque quand il s'est fait submerger, c'était de la pure autodéfense ».

Selon Olivier, qui a toujours une matraque télescopique avec lui au cas où, le port de ce type d'arme intermédiaire est toléré. Mais il est illégal, à moins d'avoir été formé à son emploi et d'avoir une autorisation temporaire du ministère de l’intérieur, le temps de la mission, comme le prévoit un décret du 29 décembre 2017. « Ce décret n'est pas appliqué car les formations au maniement de ces armes n'ont pas encore été mises en place par les autorités, le gouvernement a fait les choses à l’envers », constate Régis-Albert Blanchard, président de la Fédération Française de la Protection Rapprochée (FFPR). Selon lui, « quatre vingt dix neuf pour cent des agents qui interviennent dans les manifestations des Gilets Jaunes n'ont donc pas de moyens de force intermédiaire ». Il reste toutefois sceptique sur l'utilité de l'usage de ces armes de catégorie D, matraques, tonfas et lacrymogènes, plaidant plutôt pour une vraie protection rapprochée, qui commence à partir de trois agents pour une personne, « même si vous mettez du matériel, cela ne changera rien. Les règles essentielles restent l'anticipation, l'évacuation et l'exfiltration », dit Régis-Albert Blanchard, président de la FFPR, à France Info.

A l'exception d’Olivier, qui milite pour une meilleure protection des agents, via la possibilité d'être armé, la majorité des professionnels interrogés par France Info se rangent à l'avis du président de la FFPR. « Il y a des parades pour s'équiper, nous pouvons transformer un journal en matraque par exemple », dit Sophie. « Si je me fais lyncher au sol et qu’ils trouvent une arme, ils vont me taper avec », dit Nasser.

L'équipement des agents de protection se limite donc aux protections d'usage, casques, lunettes et masques. Certains portent parfois des gilets pare-balles légers et des protège-tibias. Ils sont aussi équipés d'une trousse de secours avec le nécessaire pour apporter les premiers soins si des journalistes ou des collègues sont gazés ou blessés. « Lors des premières manifestations, certains de nos agents se sont vus confisquer par les forces de l'ordre leur matériel de protection. Ils se sont pris des gaz lacrymogènes. Comment voulez-vous qu'ils protègent nos journalistes après », déplore-t-on à BFM Télévision. Des conditions difficiles pour ces agents payés entre cent quatre vingt et deux cent cinquante euros pour une douzaine d'heures, selon Régis-Albert Blanchard, et dont la majorité est en Contrat de travail à Durée Déterminée (CDD).

Au fil des journées de mobilisation des Gilets Jaunes, les agents finissent-ils par craindre pour leur propre sécurité ? La plupart balaient d'un revers de main.

« J'ai l'habitude de ces climats. Dans notre travail, des agressions, il y en a tout le temps », dit Eric à France Info. Sophie reconnaît qu’en cinq ans d’expérience, les manifestations des Gilets Jaunes sont ce qu'elle a fait de plus intense physiquement. Mais elle se dit prête à retourner sur le terrain chaque week-end. « Si je commence à avoir peur, je ne vais pas faire mon travail correctement », dit Jacques. Il en profite pour faire passer un petit message aux manifestants, « les Gilets Jaunes ont besoin des journalistes. Sans eux, ils n'iront pas loin. Et nous sommes là pour faire en sorte que les médias puissent faire leur travail correctement ».

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