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16 septembre 2019 1 16 /09 /septembre /2019 19:05

 

 

https://aplutsoc.org/2019/09/14/comment-ne-pas-faire-un-appel-international-pour-la-liberation-des-victimes-de-la-repression/

 

Comment ne pas faire un appel international pour la libération des victimes de la répression.

Samedi 14 Septembre 2019

Dévoilé lors du retour de Jean-Luc Mélenchon d’un long séjour latino-américain, un appel de deux cent personnalités a été lancé, que des militants perçoivent parfois comme appelant notamment à la libération de Luis Inacio Lula da Silva, qui en est signataire, et à l’arrêt des persécutions judiciaires contre les opposants politiques.

Nous pouvons l’entendre ainsi. Toutefois, le texte publié en France dans le Journal Du Dimanche (JDD) du Dimanche 8 Septembre 2019 n’appelle pas, à la lettre, à la libération de Luis Inacio Lula da Silva ni de qui que ce soit. Il proteste contre un certain nombre d’incarcérations ou de poursuites judiciaires et il donne une liste d'exemples parmi lesquels les deux principaux, dont le choix se veut en quelque sorte la carte d’identité politique de cet appel, sont celui de Luis Inacio Lula da Silva et celui de Jean Luc Mélenchon.

Luis Inacio Lula da Silva, ancien dirigeant syndical puis dirigeant du Parti des Travailleurs du Brésil (PTB), président du Brésil de 2002 à 2011, a dirigé, puis inspiré sous Dilma Roussef, une politique de gestion du capitalisme brésilien qui a, à la longue, affaibli le mouvement ouvrier et paysan qui l’avait porté au pouvoir sans calmer la soif revancharde des milieux oligarchiques et latifundiaires.

Lorsque les nouvelles couches moyennes promues sous ses mandats ont commencé à souffrir des effets de la crise mondiale du capitalisme, elles ont pu être mobilisées contre lui et contre le PTB à la faveur de poursuites pour des affaires de corruption engagées dès 2011. Autour de Petrobras, l’entreprise publique des pétroles brésiliens, et des contrats publics, se sont développés de vastes réseaux qui avaient largement englué les couches dirigeantes du PTB, devenues une bande de nouveaux riches méprisés, mais ligotés par les anciens riches et décevant leur électorat. C’est sur ce substrat, nécessairement lié à la politique pro-capitaliste des gouvernements de Luis Inacio Lula da Silva puis de Dilma Roussef, que ces accusations, globalement non étayées par des preuves certaines, et venant notamment d’entrepreneurs mafieux ayant obtenu des réductions de peines pour ce faire, ont finalement permis d’emprisonner Luis Inacio da Silva, dit Lula, pour l’empêcher d’être à nouveau candidat aux élections présidentielles de 2018 avec de fortes chances d’être réélu.

Le résultat de cette crise a été de porter au pouvoir le néofasciste Jair Bolsonaro. Sans que cela ne vaille chèque en blanc pour tout le passé, il est bien évident que la libération de Lula est une question démocratique centrale au cœur de la bataille qui se joue actuellement au Brésil pour contrer et chasser Jair Bolsonaro, une bataille stratégique au plan mondial pour tout partisan de l’émancipation.

Nous ne présenterons pas Jean-Luc Mélenchon. Cet ancien ministre du gouvernement de Jacques Chirac et de Lionel Jospin ayant par la suite incarné l’espoir d’une reconstruction de la gauche, a été le candidat d’une coalition unitaire à gauche en 2012 puis, en rupture avec cette orientation, d’un nouveau mouvement populiste, le Mouvement de la France Insoumise (MFI), en 2017, aux élections présidentielles françaises, ratant alors le coche de sa présence au second tour en raison, à notre avis, de cette orientation, car une attitude unitaire offensive lui aurait permis de monter plus haut.

A l’automne dernier, le jour de la nomination de Christophe Castaner au ministère de l'intérieur, les locaux de son organisation et son domicile ont été perquisitionnés. Cette opération juridico-policière totalement disproportionnée, permise par le fait évident et avéré qu’aucun militant honnête ne pourrait jurer la main sur le cœur que la transparence et l'absence d’intérêts personnels ont prévalu dans la gestion des campagnes du MFI, celle du premier tour des élections présidentielles en tête, conséquence logique du populisme, autour du leader il y a toujours une camarilla, cette opération, donc, aurait quand même pu tourner au désavantage d'Emmanuel Macron et de Christophe Castaner par une riposte unitaire et démocratique ferme et rapide, mais ce fut l’inverse, Jean Luc Mélenchon décidant d’apparaître comme seule opposition et de se victimiser au maximum, étendant rapidement son ire aux journalistes d’investigation qui, dans ce pays, gênent le plus le pouvoir en place. Ces gesticulations ont non seulement déconsidéré Jean Luc Mélenchon, mais elles ont à leur tour permis que le parquet de Bobigny le cite à comparaître pour actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation, comparution prévue Jeudi 19 Septembre 2019.

Peut-on sérieusement comparer Lula et Jean Luc Mélenchon ? Franchement, poser la question, c’est y répondre.

Concernant Lula, il n’est pas certain du tout qu’un tel appel serve sérieusement à mener le combat pour sa libération. Au plan latino-américain, le voisinage de sa signature avec celle de Rafael Correa, ancien président populiste de gauche de l’Équateur, parti après une vague de répression contre les mouvements populaires, avec celle de l’ancien président uruguayen Pepe Mugica, légendaire car non corrompu et austère, mais qui n’a jamais que reproduit à l’échelle d’un pays petit et pauvre la politique de Lula à l’échelle du Brésil, et dont l’épouse Lucia Topolansky, vice- présidente actuelle de l’Uruguay, est elle aussi signataire, ainsi que la place également centrale faite à l’ancienne présidente de l’Argentine, la péroniste Christina Kirchner, qui a succédé à son époux à la présidence, inculpée pour fraude fiscale massive, posent question. La libération de Lula, qui, répétons-le, ne figure pas, en toute lettre, dans le fameux appel, est-elle une revendication démocratique et populaire ou bien s’agit-il de redorer le blason de l’ancienne gauche et des anciens, très anciens, dans le cas des péronistes, populistes dont la politique a conduit à la situation actuelle ? Si c’est cela, ce n’est pas rendre service au combat pour libérer Lula.

Concernant Jean Luc Mélenchon, celui-ci cherche à se présenter comme la première victime de persécutions potentiellement, voire d’ores et déjà, dignes de celles qu’a subies Lula. Mais en même temps, il est essentiel de noter que ce n’est pas Emmanuel Macron qu’il désigne comme étant l’origine des dites persécutions. Non, ce sont les juges. Et, comme cela s’est déjà produit, les journalistes, ceux de Mediapart en particulier. Nous verrons bien.

Et l’appel international signé des deux cent personnalités est sur cette ligne. Il ne dénonce pas tant les pouvoirs en place que la justice supposée être à leur service, à moins que ce ne soit l’inverse. Le but explicite du dit appel n’est pas la libération de Lula ni de qui que ce soit, il est vrai qu’il serait délicat d’appeler à celle de Jean Luc Mélenchon, mais la coopération mondiale des résistances juridiques en vue de mettre fin au temps des procès politiques qui seraient une nouveauté récente, si l’on comprend bien. Tout en se référant au pape François, cet appel dénonce les juges implicitement assimilés au truand qu’est Sergio Moro, ministre de la justice de Jair Bolsonaro, qui a mis Lula en prison. A l’échelle mondiale, le danger vient des juges.

De ce point de vue, il est éclairant de faire le rapprochement avec certaines positions immédiates des ténors du MFI en France. Selon eux, toute la situation française est marquée par l’imminence d’une conspiration judiciaire visant à faire de Jean Luc Mélenchon le Lula français. On pourrait imaginer qu’une telle conviction les conduirait à une certaine radicalité, comme on dit, contre les personnages du macronisme. Ce n’est pas le cas. Richard Ferrand, leader de la République En Marche (REM) et président de l'assemblée nationale, vient d’être mis en examen pour des faits connus, reconnus et non déniés par l’intéressé, à savoir l’exploitation privée et familiale des Mutuelles de Bretagne.

Que dit Jean Luc Mélenchon de retour à l'assemblée nationale ? Parlant des juges, il dit que « maintenant, je sais que ce sont des menteurs », et il ajoute que « peut-être que Richard Ferrand est tombé dans un piège ». Ainsi, les juges complotent aussi contre Richard Ferrand, l’homme d'Emmanuel Macron.

Dans la même veine, en version grossière, Raquel Garrido tweete, elle, en faveur de François Fillon, « le procès de François Fillon aura lieu du 24 février au 11 mars 2020, c'est à dire les deux dernières semaines de la campagne municipale. Autant interdire à la droite de se présenter. Cette influence de la justice sur les élections et la démocratie est inquiétante, stop ».

A quand les tweets insoumis prenant la défense de Patrick Balkany et de Jean Marie Le Pen contre les juges ? Ne préjugeons de rien.

C’est la justice, au niveau national comme international, qui est visé. Ce n'est pas Emmanuel Macron. Il ne s’agit ni de libérer Lula, ni de renverser Emmanuel Macron ou Jair Bolsonaro. Il s’agit de liguer les victimes de complots.

Ajoutons quelques constats sur certains pays. Aucun pays anti-impérialiste, c’est-à-dire aucun impérialiste rival du nord-américain, n’est nommé, ni la Chine, ni la Syrie tortionnaire de masse de Bachar al Assad, ni le Venezuela, sauf, avec un détenu et un seul, la Russie, avec Serguïei Oudaltsov, signataire de l’appel, opposant national-communiste de Vladimir Poutine, de ces opposants que Vladimir Poutine tantôt utilise, tantôt réprime, et dont il faut en effet exiger la libération.

Inutile de dire que le nom de Konstantin Kostov n’est pas venu à l’esprit du principal inspirateur de cet appel qu’est à l’évidence Jean Luc Mélenchon. Il vient d’être condamné à quatre ans de prison pour son rôle dans les manifestations récentes et pour sa défense des prisonniers politiques ukrainiens tels que Oleg Sentsov, pour lequel on cherchera en vain, ainsi que pour Alexandre Koltchenko, une prise de position de Jean Luc Mélenchon visant à ce qui a finalement été obtenu, leur libération.

Il est de même un pays où la justice sévit de manière injuste et ce pays, c’est l’Algérie en pleine poussée révolutionnaire. Pourtant, dans le sillage de Jean Luc Mélenchon et dans le cadre du MFI, nombreux sont les signataires français membres du Parti Ouvrier Indépendant (POI), parmi les deux cent signataires, Daniel Schapira au nom du journal Informations Ouvrières, et par ailleurs Philippe Besson et Jean-Marc Schiappa. Il est tout même remarquable qu’aucun n’ait demandé à ce que soit mentionnée la personne pour laquelle ils sont censés faire une grande campagne internationale en ce moment même, Louiza Hanoune.

Et puis, quand même, quand on voit que le treizième signataire international est Pablo Iglesias, en tant que secrétaire général de Podemos, nous ne pouvons que relever d’autres très grands noms manquants. Oriol Junqueras, dirigeant d'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), risque jusqu’à vingt cinq ans de prison et il est en prison, lui, et Jordi Sanchez, et plusieurs autres dont Carles Puigdemont en exil, élu européen qui ne peut siéger.

Tout de même, s’il y a lieu de dénoncer une justice aux ordres qui vise des responsables politiques en Europe, n’est-ce pas là ? N’importe lequel d’entre eux est réellement victime de ce dont Jean Luc Mélenchon clame qu’il est, lui, la proie.

Finalement, le seul mérite de cet appel est de nous signaler, en creux, la nécessité de véritables campagnes internationales contre la répression, comme l’a signalé aussi la question, dans le mouvement ouvrier et syndical européen, du combat pour libérer Oleg Sentsov et Alexandre Koltchenko.

De telles campagnes doivent exiger la libération des emprisonnés, ce qui n’est pas le cas de l'appel de Jean Luc Mélenchon. Et elles doivent être adossées à l’aspiration démocratique des peuples du monde entier, d’Alger à Caracas, de Damas à Hong-Kong, de Porto Rico à Moscou et de Sao Paulo à Khartoum. Cela reste à faire.

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