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3 janvier 2020 5 03 /01 /janvier /2020 18:22

 

 

REPONSE DE PIERRE SALVAING A BERNARD FISCHER

Vendredi 3 Janvier 2020

Ton dernier texte est pour moi bien orienté. Il met l’accent très opportunément  sur la question fondamentale de la tendance accélérée de l'intégration des syndicats à l'état, que de grands penseurs actuels ont une nette tendance à oublier.

Tu as tout à fait raison, à mon avis aussi, de revenir sur le fait que les gouvernements successifs sont de plus en plus réactionnaires. D’une part, ils suivent en cela la tendance générale du capitalisme. D’autre part, ils peuvent s’enfoncer dans la réaction, forts des victoires de leurs prédécesseurs respectifs. Il y a continuité, et donc possibilité et même nécessité pour eux d’accentuer et d’amplifier leur avantage. Pour reprendre l’expression de Karl Marx, « la limite de l’exploitation, c’est la résistance à l’exploitation ».

C’est pourquoi je pense pour ma part que la participation depuis le début des appareils syndicaux au Conseil d’Orientation des Retraites (COR) est importante à rappeler, comme tu le fais pour tous les conseils d'administration où siègent les représentants des appareils depuis des décennies, pour mesurer toute la dimension de la collaboration vers l’intégration. Cette question fait partie du mot d’ordre général de retrait de toute prétendue négociation avec le gouvernement sur le projet d’attaque contre le système général des retraites par répartition.

La question du budget de la sécurité sociale est bien évidemment au cœur des préoccupations de la bourgeoisie depuis des décennies. Les attaques ont commencé dès les ordonnances gaullistes de 1965 et elles n’ont pas cessé depuis, avec des succès divers, mais des avancées certaines. En réalité, elles n'ont jamais cessé depuis le début.

C'est pourquoi je pense qu’il est utile de rappeler aussi que, les cotisations étant du salaire différé, la gestion paritaire de la sécurité sociale, même avant l’intervention de l'état, est déjà une capitulation des appareils. Les syndicats auraient logiquement dû être les seuls à s’en occuper. C’est une affaire gigantesque.

Des aberrations révélatrices comme Préfon, dont tu as retransmis l'information, sont simplement la conséquence du refus des appareils de mener réellement le combat pour défendre les intérêts ouvriers dans ce domaine spécifique des retraites et donc des salaires.

Ce à quoi le gouvernement veut en arriver aujourd’hui n’est que l’aboutissement d’un long processus, d’un combat permanent, qui n’aura de fin qu’avec la disparition définitive de cette très importante conquête ouvrière de l’après-guerre. Lorsque tu parles du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) de 1945, je trouve que c’est faire la part un peu belle au CNR, donc aux appareils politiques. La sécurité sociale est avant tout le produit de la situation pré révolutionnaire qui domina l’après-guerre, le lest lâché par la bourgeoisie pour préserver l’essentiel. Le CNR a fait ce que ces personnes font dans ces cas-là, « nous sommes leurs chefs, il faut les suivre ».

C’est pourquoi, sans connaître grand-chose à la situation américaine dans ce détail, je ne pense pas que, comme tu l’écris, « aux Etats Unis, depuis les années 1990, le combat central du Parti Démocrate et de la gauche américaine est le combat pour la constitution d’un régime de sécurité sociale universelle ». Lier le parti démocrate bourgeois à ce qui reste des partis et des organisations ouvrières aux Etats Unis, quand bien même l’American Federation of Labor Congress of Industrial Organizations (AFL CIO) appelle à voter démocrate, entretient à mon avis une confusion.

Si je suis d’accord avec l’orientation générale de ta conclusion, en ce qu’elle est sous-tendue par la confiance qu’il est indispensable d’accorder aux capacités de spontanéité du prolétariat, je pense qu’elle manque des mots d’ordre indiquant un combat nécessaire pour le retrait de toute négociation et tout type de collaboration de classe à court, moyen et long terme, par les appareils syndicaux.

Et si je comprends ton souci d’inclure aussi l’aspect de ce qui reste des partis politiques d’origine ouvrière dans les organismes où ils peuvent encore peser, municipalités, départements et régions, j’ai toujours du mal avec l’adjectif « gauche », qui ne peut à mes yeux qualifier ni définir ce dont il s’agit en réalité.

Lorsque tu démarres ton texte par « nous y sommes », je le lis comme le fait que la situation est enfin arrivée à l’émergence dans la lutte ouverte d’une masse de prolétaires, qui n’avait pas eu lieu depuis un quart de siècle en France, mais sans préjuger du développement à venir de ce combat.

Le prolétariat est obligé de se battre dans des conditions particulièrement difficiles, certes débarrassé du poids écrasant du stalinisme, et de celui, pas mal non plus, de la social-démocratie, mais sans direction honnête, expérimentée et clairvoyante, et sans organisation politique lui permettant de se centraliser en toute indépendance de classe.

L’aspiration réelle à la grève générale, c’est-à-dire à un conflit ouvert généralisé avec le capital, est jour après jour entravée par les manœuvres des appareils syndicaux qui tentent, avec diverses méthodes et non sans diverses contradictions internes, de la morceler, de la fractionner, de l’émietter et de la réduire en poudre, bref d’aller vers la défaite. C’est un autre conflit, encore souterrain celui-là, mais d’égale importance, qui se déroule en même temps. De son succès dépend aussi la possibilité de battre Emmanuel Macron et son gouvernement et de leur faire abandonner leurs plans contre les retraites ouvrières. Rien n’est joué.

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