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21 février 2020 5 21 /02 /février /2020 11:50

 

 

https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/210220/hommage-aux-obseques-de-michel-lequenne-par-catherine-samary

 

Obsèques de Michel Lequenne

Hommage de Catherine Samary

Mercredi 19 Février 2020

Tu m’as impressionnée dès que je t’ai connu lors de mon adhésion à la quatrième internationale en 1963, militant du petit Parti Communiste Internationaliste (PCI) qui était alors sa section. J’y avais été recrutée dans le cadre d’un entrisme combattif mené dans l’Union des Etudiants Communistes (UEC) par ceux qui dirigeaient le courant dit krivinien, Alain et Hubert Krivine présents à cet hommage. Quelques années plus tard la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR) que nous avions construite décidait de fusionner avec le PCI pour former, après les événements du mois de mai 1968, la Ligue, comme l’appellent François Coustal et Hélène Adams qui te citent tant de fois dans leur livre.

 C’est au sein de cette nouvelle section française de la quatrième internationale reconnaissant le droit de tendance, que je me suis retrouvée avec toi dans la  troisième tendence en 1973, particulièrement tournée vers  les nouvelles couches d’un prolétariat en grande transformation et la jeunesse, comme le rappelle Robi Morder dans un hommage qu’il te rend.

Comme tu le dis dans ton « histoire sans fard du trotskisme », la troisième tendance ne fut jamais une fraction, ce mode de fonctionnement que tu as tant dénoncé et qui a ravagé bien des composantes du trotskisme, ce fractionnisme dans le comportement et la pensée, qui fut une des raisons essentielles de notre opposition avec toi à l’unification avec les courants qui le pratiquaient.

Tu as soutenu le droit des militantes à se réunir en groupes Sand pour mieux comprendre et combattre des rapports d’oppression des femmes et ta conception non fractionniste de la troisième tendance m’a aidée à surmonter l’idée fausse que l’expression de divergences, y compris avec toi, sur les modes de fonctionnement ou les idées exprimerait un manque de loyauté à des causes communes ou conduirait fatalement à la fin des proximités affectives.

Plusieurs types de clivages et divergences divisaient ceux qui se revendiquaient du trotskisme et au-delà, notamment sur la façon de lutter dans et contre le capitalisme à toutes les échelles territoriales où il règne, dans une logique transitoire s’opposant à la fois à l’enlisement réformiste et au révolutionnarisme abstrait et sectaire, mais aussi sur le positionnement politique dans les rapports mondiaux depuis la stalinisation de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Tu as régulièrement dénoncé divers campismes.

En substance, il s’agissait de rejeter les catégories politiques d’un monde bipolaire où il aurait fallu s’aligner sans critique sur l’URSS stalinisée contre l’impérialisme, quand d’autres s’alignaient au contraire sur le soit-disant monde libre. Nous étions nombreux à partager ton analyse du stalinisme comme contre-révolution dans la révolution et de sa bureaucratie comme une monstrueuse et criminelle excroissance. Excroissance, disais-tu, « en cela que la bureaucratie ne peut se reproduire dans l'affirmation de fins propres, mais qu’il lui faut être parasitaire du prolétariat, déguisant ses fins sous les siennes, même quand elle parvient au pouvoir juchée sur ses épaules ». C’est exactement pourquoi la notion de classe n’est pas évidente. Mais c’est secondaire par rapport à d’autres affirmations communes.

Il ne s’agissait pour toi  ni d’une nouvelle classe fondamentale historiquement nécessaire, ni d’un capitalisme d'état, mais le produit de circonstances historiques spécifiques et des conditions générales de toute révolution prolétarienne avec ses dangers organiques bureaucratiques internes au mouvement ouvrier y compris ses organisations d’avant-garde.

Le rejet du campisme signifiait ne jamais renoncer à combattre des idéologies réactionnaires, les rapports d’oppression et de domination et donc le bureaucratisme au sein du mouvement ouvrier, des partis et des états se réclamant du socialisme, y compris dans nos propres rangs.

Mais contre bien des courants et analyses se réclamant du trotskisme, pour qui l’histoire des révolutions du vingtième siècle s’est arrêtée avec la stalinisation de l’URSS, tu considérais, comme la majorité de la quatrième internationale, et parfois avant elle, que la révolution yougoslave et la révolution chinoise furent de vraies révolutions et facteurs de crise du stalinisme et de sa stratégie de construction du socialisme dans un seul pays, même si la stalinisation de l’URSS et le bureaucratisme ont pesé sur ces révolutions et les suivantes, de diverses façons. Associant l’analyse et la pratique révolutionnaire, tu étais fier d’avoir été délégué par la quatrième internationale pour diriger la brigade Jean Jaurès en Yougoslavie après la rupture entre Josip Broz Tito et Joseph Staline en 1948.

Loin de figer l’histoire, tu disais que « la victoire du printemps de Prague aurait signifié à court terme une poussée formidable de masse en URSS pour une nouvelle et plus décisive déstalinisation que les despotes du Kremlin n'auraient pu endiguer » et c’est vrai aussi des événements de 1980 et de 1981 en Pologne. C’est ce qui fondait l’optimisme d’Ernest Mandel. Trente ans après la chute du mur et l’unification allemande, un retour sur tout ce passé, son histoire à trous et ses utopies concrètes,  est encore à faire avec le regard des perdants, comme dirait Walter Benjamin, Michaël Löwy ou Daniel Bensaïd.

Tu as souligné l’apport de ce dernier  qui avec « une lente impatience », s’efforçait de proposer un balayage historique des dernières décennies et d'en penser le sens, « acteur, en tant que dirigeant de la LCR et de la quatrième internationale, il n'a jamais cessé d'être l'analyste des événements qu'il vivait et capable de rectifier sa vision à la lumière d'événements dont nombre furent déconcertants. Sa limite est celle que, comme nous, il réfère à l'effet Del Dongo à Waterloo. Les fumées de tout ce qui explose nous cachent les effets potentiels du choc des forces en  présence ».

C’est pour échapper aux fumées de Waterloo que les uns et les autres tentent de s’organiser collectivement, certains notamment mais jamais exclusivement dans la quatrième internationale, comme moi et bien d’autres qui sont ici ou voudraient y être. Mais notre petite internationale ne prétend plus depuis des années être le parti mondial de la révolution et elle affirme que le changement d’époque après la chute du mur de Berlin et la dissolution de l'URSS et le scénario spécifique de restauration capitaliste  qui a marqué ce tournant qui n’a pas encore été analysé comme il le doit, exigent une nouvelle internationale éco-socialiste, pluraliste, luttant contre tous les rapports d’oppression et tirant toutes les leçons du passé et du présent.

Nous pouvons partager avec toi cette conclusion tout en considérant que nos faibles forces peuvent être un outil précieux pour cette tâche et sans recette sur le comment la réaliser.

Ta mémoire, tes écrits nous restent précieux, au revoir Michel, Ramos, Hofmann.

Martine et Delphine, à vos côtés, avec tristesse mais en gardant dans nos têtes le rire de Michel.

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