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28 mars 2020 6 28 /03 /mars /2020 12:09

 

 

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Qui est Didier Raoult, la star mondiale de la microbiologie qui assure avoir trouvé le remède contre le coronavirus ?

Par Mathilde Goupil

Samedi 28 Mars 2020

Ce scientifique de renommée mondiale assure avoir guéri des patients grâce à un dérivé de la chloroquine. Le personnage et ses méthodes attirent toutefois doutes et critiques.

La France comptait déjà plus de soixante millions de sélectionneurs pour son équipe de football, la voilà dotée d'autant d'épidémiologistes. Le débat qui les agite est de déterminer si le professeur Didier Raoult, à la tête de l'Institut Hospitalo Universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille, est un sauveur ou un irresponsable. Ce médecin et chercheur de soixante huit ans, au curriculum vitae aussi prestigieux que sa réputation est controversée, assure avoir trouvé un traitement efficace contre le coronavirus.

Deux mois plus tôt, pourtant, le même chercheur estimait que l'inquiétude concernant l'épidémie qui émergeait en Chine était délirante. Des propos qu'il a maintenus jusqu'au mois de février 2020.

« Il y a trois chinois qui meurent et cela fait une alerte mondiale, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s'en mêle et on en parle à la télévision et à la radio », disait Didier Raoult dans une vidéo du 21 janvier 2020.

Didier Raoult fonde ses espoirs sur l'hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine utilisée contre le paludisme, associée à l'azithromycine, un antibiotique. Dans son étude publiée à toute vitesse, Vendredi 20 Mars 2020, après seulement quinze jours de tests sur une poignée de patients, le patron de l'IHU affirme que soixante quinze pour cent des malades étudiés ne sont plus porteurs du virus après six jours.

Un essai clinique européen, lancé Dimanche 22 Mars 2020 dans au moins sept pays et mené par l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), teste aussi la molécule, parmi d'autres. En attentant ses conclusions, l'hydroxychloroquine peut être administrée aux malades souffrant de formes graves du coronavirus, mais pas pour des formes moins sévères, selon un décret paru au Journal Officiel.

Pourtant, la démonstration de Didier Raoult n'a pas convaincu ses pairs. Sur Pub Peer, plateforme où les scientifiques commentent les études de leurs confrères, ils sont nombreux à pointer des biais, un échantillon très réduit et mal défini, la disparition de plusieurs patients des résultats finaux, morts, transférés en soins intensifs ou sortis de l'hôpital, et un conflit d'intérêt très clair. L'un des co-auteurs de l'étude, Jean-Marc Rolain, est aussi le rédacteur en chef de la revue International Journal of Antimicrobial Agents, où est paru l'article.

Il n’y a pas de quoi déstabiliser l'intéressé, qui se décrit dans la Provence comme la star mondiale de sa discipline. « Je me fous de ce que pensent les autres », ajoute-t-il, avant de rappeler sa connaissance de la chloroquine, administrée à plus de quatre mille de ses patients en vingt ans.

« Je ne suis pas un outsider, je suis celui qui est le plus en avance », a dit Didier Raoult à la Provence.

« Quand vous avez un traitement qui marche contre zéro autre traitement disponible, c'est ce traitement qui devrait devenir la référence », réplique-t-il aussi dans le Parisien, tout en dénonçant, dans une tribune au Monde, la méthode scientifique qui a pris le dessus sur le fond. Contacté à plusieurs reprises, Didier Raoult n'a pas répondu aux sollicitations de France Info.

Ce savant à la langue bien pendue a derrière lui une solide carrière. Né en 1952 à Dakar, au Sénégal, d'un père médecin militaire et d'une mère infirmière, Didier Raoult s'installe avec sa famille à Marseille en 1961. Mauvais élève, il interrompt ses études à dix huit ans pour rejoindre la marine marchande. Il passe finalement son bac littéraire deux ans plus tard en candidat libre avant de prendre un virage serré en direction de la faculté de médecine.

Après cet étonnant parcours, Didier Raoult se spécialise et devient le pionnier d'une nouvelle discipline nommée paléo microbiologie, qui consiste à diagnostiquer des maladies infectieuses anciennes. Dans les années 1980, son travail sur les rickettsies, des bactéries à l'origine notamment du typhus, fait sa renommée, tout comme l'identification en 2003 du virus géant Mimivirus. Il est aussi à l'origine de la découverte de dizaines de bactéries pathogènes, dont deux baptisées d'après lui, Raoultella planticola et Rickettsia raoultii.

Marié à une psychiatre et père de trois enfants, Didier Raoult dirige l'université Aix-Marseille entre 1994 et 1999, avant de proposer au ministre de la santé Jean-François Mattei, au début des années 2000, de créer sept infectiopôles contre les maladies infectieuses. Dix ans plus tard, six IHU sont lancés en France, chacun sur un thème différent. Celui de Marseille, qu'il dirige depuis 2011, est spécialisé dans les maladies infectieuses. Lauréat de multiples récompenses, il a notamment reçu en 2010 le grand prix de l'INSERM pour l'ensemble de sa carrière.

A Marseille, sa renommée mondiale lui vaut d'être salué en héros, même s'il avance parfois à contre-courant. Il défend les dépistages massifs, il propose un traitement et il claque la porte du conseil scientifique, auquel il n'avait de toute manière jamais assisté, souffle l'un de ses membres à France Info. Depuis, la file d'attente de locaux masqués espérant être testés, voire traités, s'allonge devant son IHU. Sur les réseaux sociaux, les groupes de soutien et les comptes à son effigie se multiplient pour le défendre, rappelant que Donald Trump a salué la chloroquine comme un don du ciel ou que le Maroc l'a adoptée comme traitement officiel.

Ses plus ardents défenseurs restent les élus de la droite locale, qu'il a su convaincre il y a dix ans de financer en partie son IHU. « Ceux qui le critiquent ne font que des commentaires et ils n'ont pas de solution. Lui, il apporte une solution qui est travaillée, même si elle entraîne forcément un débat », souligne le président des Républicains de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier, son ami depuis la faculté de médecine.

« A tort ou à raison, on se dit qu'il est rejeté parce qu'il est marseillais, qu'il n'appartient pas à l'intelligentsia parisienne et que c'est un rebelle aux cheveux longs », a dit Guy Teissier, député des Bouches-du-Rhône, à France Info.

« Ici, il est moqué, alors qu'il a le soutien de grands dirigeants étrangers », se désole encore l'élu des Républicains, rétabli après dix jours passé à l'IHU de Didier Raoult.

Didier Raoult est-il victime de son image ? Le microbiologiste, qui porte les cheveux longs, une barbe fournie et une chevalière en forme de tête de mort, n'a pas besoin de ce look pour diviser. Tout au long de sa carrière, ses prises de position contre la théorie de l'évolution dans Dépasser Darwin, aux éditions Plon en 2010, et ses chroniques aux tonalités climato sceptiques dans le Figaro, le Point et les Echos, lui ont mis à dos une partie de la communauté scientifique.

Le nombre pléthorique de ses publications interroge aussi. Il cumule plus de trois mille articles, selon la base de données Scopus, consultée par le Monde. « Comment croire qu'un scientifique puisse participer réellement à des recherches débouchant sur quasi une publication par semaine », interroge le docteur en biologie, historien et journaliste scientifique Nicolas Chevassus-au-Louis, dans « mal science, de la fraude dans les laboratoires », aux éditions du Seuil en 2016.

« Il teste beaucoup de pistes, si c'est intéressant, il publie très vite, pas forcément des choses de haut niveau, sinon il abandonne », justifie auprès de France Info Christophe Rogier, qui a travaillé avec Didier Raoult entre 2007 et 2011. Il salue aussi ses intuitions que nul autre ne partage.

« Didier Raoult est un chasseur de pépites, ce n’est pas un laboureur qui décortique pendant vingt ans un même sujet », dit Christophe Rogier, médecin et ancien collègue, à France Info.

En 2006, cette course à la publication a joué un mauvais tour au professeur Didier Raoult. Après avoir découvert deux jeux de données similaires alors qu'ils devaient être récoltés dans deux expériences différentes, l'American Society for Microbiology (ASM) lui interdit de publier dans ses revues scientifiques pendant un an. L'affaire, révélée par le magazine scientifique Science en 2012, suscite l'ire du chercheur. Dans un droit de réponse, il assure que la sanction était collective et il précise que l'un de ses co-auteurs s'est désigné comme responsable de cette erreur. « Quand on est prolifique comme lui, on peut commettre des erreurs, mais il avance, il fonce et il aimerait que tout le monde fasse comme lui », justifie son ami Jérôme Etienne, microbiologiste avec qui il a cosigné plusieurs travaux dans les années 1990.

Le style de Didier Raoult, c'est aussi une passion de la recherche qui le fait venir au laboratoire tous les dimanches et un charisme digne d’un général sur un champ de bataille, à croire anciens étudiants et collègues, interrogés par France Info. « C'est un chef de bande », décrit le député Guy Teissier, qui l'a rencontré plusieurs fois. « Il a à ses côtés des chercheurs qui ont fait toute leur route avec lui et qui sont comme ses apôtres et de jeunes professeurs qui ont une espèce de foi dans leur patron et dans leur engagement », poursuit l'élu.

La forte personnalité du chercheur, qui admire les grands hommes autoritaires, de Napoléon à Vladimir Poutine, selon l'un de ses amis, a une face plus sombre. L'un de ses anciens collaborateurs, qui a préféré garder l'anonymat, décrit à France Info « un homme autoritaire, pouvant avoir un comportement extrêmement méprisant et humiliant vis-à-vis des personnes sous sa direction ». Contactée, une ancienne salariée décline tout net, par peur des représailles.

Au mois de mars 2017, douze ingénieurs de recherche et techniciens de l'IHU publient une lettre anonyme, révélée par le site d'investigation Marsactu, qui dénonce « des conditions de travail en dehors de toutes règles, des altercations verbales violentes, voire des menaces de la part de la hiérarchie ».

« Certains d'entre nous sont fréquemment rabaissés, moqués, humiliés et soumis à des propos machistes », écrivent des membres de l'IHU de Marseille dans une lettre anonyme.

Dans un compte-rendu d'une visite de l'unité de Didier Raoult effectuée au mois de juillet 2017, les quatre Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) des salariés rattachés à l'IHU, le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS), l’INSERM, l’Université d'Aix-Marseille et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), qui étaient destinataires de la lettre anonyme, font aussi état de témoignages alarmants. Des membres et anciens membres de l'IHU font, à visage découvert, mention de comportements méprisants et de menaces. Plus grave encore, dans ce domaine, certains témoignent de falsification de résultats d'expérience à la demande d'un chercheur, détaille le document consulté par France Info.

« Ce n'est pas l'avis de sept personnes qui prime sur celui des sept cent que compte le bâtiment », répond dans Marsactu Didier Raoult. « Il met la barre très haut, et ceux qui travaillent pour lui trouvent les moyens et l'énergie pour l'atteindre. On ne fait pas de grandes choses en proposant aux personnes de jouer à la marelle », justifie Christophe Rogier, son ancien collègue qui lui conserve toute son estime.

La visite des CHSCT met aussi au jour une affaire de harcèlement et d'agressions sexuelles au sein de l'IHU. Deux femmes ont porté plainte à l'été 2017 contre un chercheur de l’IHU. Celui-ci, qui attend son procès, est révoqué de la fonction publique au mois de novembre 2017. Dans cette affaire, les syndicats de l'IHU reprochent au directeur, informé dès 2015, de ne pas avoir saisi la justice, alors qu'il s'agit d'une obligation, selon l'article quarante du code pénal. « J'ignorais tout des obligations de l'article quarante jusqu'à une date récente », se défend à l'époque Didier Raoult, dans Marsactu.

Les remarques très sévères concernant le mode de management de laboratoire conduisent néanmoins l'INSERM et le CNRS à retirer leurs tutelles à l'IHU. « C'est un excellent scientifique, on ne peut pas lui enlever cela », reconnaît un directeur de recherche de l'INSERM consulté pour cette décision, « la direction d'une unité de recherche demande d'autres qualités que l'excellence scientifique et j'ai la conviction personnelle que Didier Raoult ne les a pas ».

Reste que Didier Raoult, en prenant le pari de l'hydroxychloroquine, a secoué la recherche et il a contribué, à sa façon, à muscler la lutte contre le coronavirus. Les premiers résultats de l'étude européenne, attendus ces prochaines semaines, permettront peut-être de trancher qui, du précurseur ou de l'apprenti sorcier, l'histoire retiendra.

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