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29 mars 2020 7 29 /03 /mars /2020 11:16

 

 

https://mobile.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/video-coronavirus-le-nombre-de-contaminations-lors-du-rassemblement-evangelique-de-mulhouse-a-ete-largement-sous-evalue_3889133.html

 

 

« La majorité des personnes étaient contaminées », de la Corse à l’Outre Mer, comment le rassemblement évangélique de Mulhouse a diffusé le coronavirus dans toute la France

 

Dimanche 29 Mars 2020

 

Contrairement aux premières estimations, ce ne sont pas une centaine mais un millier au moins de fidèles qui ont été contaminés après le rassemblement évangélique de Mulhouse au mois de février 2020. Un des principaux foyers du virus qui a contribué à propager la maladie sur tout le territoire, révèle l'enquête de la Cellule d’Investigation de Radio France.

 

L’ampleur du nombre de personnes contaminées par le coronavirus au sein des deux mille à deux mille cinq cent participants à une semaine de prière et de jeûne, qui s'est déroulée à Mulhouse du 17 au 24 février 2020, a été sous-évaluée. Selon l'enquête de la Cellule Investigation de Radio France, plus d’un millier de personnes ont contracté le virus à l’occasion de ce rassemblement religieux.

 

Une enquête qui révèle également la manière dont les autorités sanitaires ont essayé de gérer cette bombe atomique. Mulhouse est la principale porte d’entrée du coronavirus en France et a été le point de départ de nombreuses contaminations à travers le pays.

 

Comme chaque année depuis vingt cinq ans, les fidèles se pressent au rassemblement évangélique à Mulhouse, dans le quartier de Bourtzwiller. Cette année, l’événement a lieu du Lundi 17 Février au Vendredi 21 Février 2020 et il réunit près de deux mille cinq cent fidèles venus de la région mais aussi de toute la France dont des départements d’Outre Mer comme la Guyane. Cinq jours de prière et de jeûne organisés par l’une des plus grandes associations évangéliques de France, la Porte Ouverte Chrétienne (POC).

 

« Contrairement à ce que certains responsables politiques ont dit, nous n’avons pas ignoré les règles de sécurité de base, car à l’époque il n’y en avait pas encore », explique Nathalie Schnoebelen, la chargée de communication de la POC.

 

« Les gestes barrières n’étaient pas encore recommandés par les autorités sanitaires. Pendant ces cinq jours, les fidèles se sont donc salués, se sont fait la bise et ils se sont tenus par la main parfois en priant pendant les célébrations », dit-elle.

 

Les autorités sanitaires laissent penser que tout est sous contrôle. Vendredi 21 Février 2020, une note de la Direction Générale de la Santé (DGS) précise que la zone à risque est la Chine et Singapour. L’épidémie n’a pas encore ravagé le nord de l’Italie.

 

C’est dans ce contexte que le Mardi 18 Février 2020, le président de la république Emmanuel Macron vient passer plusieurs heures dans le quartier de Bourtzwiller, à quelques centaines de mètres du rassemblement de l’église de la POC. Les fidèles évangéliques sont en pleine célébration. Mais dehors il y a foule et le président prend son temps. « J’ai compté, il a mis une heure quarante pour faire cent mètres tellement il faisait de selfies et d’accolades », se souvient Patrick Genthon, le correspondant de Radio France à Mulhouse, présent sur les lieux.

 

Le problème, c’est qu’une femme du quartier, qui n'est pas une fidèle évangélique, se souvient avoir serré la main d'Emmanuel Macron, Mardi 18 Février 2020, la veille du jour où elle est tombée malade, Mercredi 19 Février 2020. Elle l’a expliqué par téléphone au docteur Patrick Vogt, médecin généraliste à Mulhouse, le 3 mars 2020, alors qu’il était en renfort au Service d’Aide Médicale Urgente (SAMU), « cette femme est présidente d’association à Mulhouse. Elle m’a dit qu’elle avait été dans le cortège avec Emmanuel Macron, qu’elle était à proximité d’Emmanuel Macron, qu’elle lui a serré la main, qu’elle était dans la salle de réunion et qu’elle est tombée malade Mercredi 19 Février 2020 et son fils aussi peu après ».

 

« Il y avait donc des personnes dans l’entourage proche d’Emmanuel Macron qui étaient en période d’incubation et qui sont tombés malades Mercredi 19 Février 2020 », dit Patrick Vogt, médecin généraliste à Mulhouse.

 

A partir du Jeudi 20 Février 2020, deux jours après la visite présidentielle, des participants du rassemblement vont consulter le docteur Patrick Vogt, « j’ai demandé à l’un d’eux si beaucoup de personnes toussaient au rassemblement et il m’a répondu oui, la plupart ».

 

Patrick Vogt lui-même tombe malade quelques jours plus tard. Dès le premier mars 2020, l’église évangélique est alertée par une fidèle qui est testée positive ainsi que ses fils. Le pasteur Jonathan Peterschmitt qui a organisé le rassemblement compte dix huit personnes testées positives au sein de sa famille. L’église alerte à son tour les autorités. S’en suit une enquête sanitaire difficile, car aucun registre n'a été tenu lors du rassemblement, c’est un événement gratuit et ouvert à tous. Il est donc très difficile d’avoir les coordonnées des participants et de savoir combien ont été contaminés.

 

A la fin de l’événement de Mulhouse, de nombreux fidèles contaminés par le coronavirus rentrent chez eux. Il se passe plusieurs jours avant l’apparition des premiers symptômes.

 

Pendant cette période d’incubation, ces personnes vont, sans le savoir, transmettre le virus à leur entourage. « Des femmes de ménage, des personnels des Etablissements d’Hébergement des Personnes Agées Dépendantes (EHPAD), des écoles et des ouvriers de chez Peugeot », se souvient le docteur Patrick Vogt. C’est ainsi qu’une infirmière des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS), présente au rassemblement, aurait été à l’origine de la contamination de deux cent cinquante collègues soignants, selon le directeur général de l’Agence Régionale de Santé (ARS) Grand-Est.

 

Il y a aussi le cas de ces trois retraitées corses présentes au rassemblement qui ont introduit le virus dans la région d’Ajaccio. Elles sont de retour le 24 février 2020 et elles ne vont être testées positives que le 5 mars 2020. C’est trop tard. Le 7 mars 2020, il y a onze cas à Ajaccio, puis douze nouveaux cas le 8 mars 2020 et dix nouveaux cas le 9 mars 2020. Au dernier comptage, le 27 mars 2020, l’ARS totalisait deux cent soixante trois personnes testées positives au coronavirus et vingt et un morts en milieu hospitalier, dans un contexte où les tests ne sont plus effectués systématiquement. Selon un cadre de l’ARS Grand Est, les retraitées de retour de Mulhouse sont à l’origine de l’essentiel des contaminations relevées en Corse.

 

Une situation identique aurait pu avoir lieu en Guyane. Une délégation de cinq personnes emmenée par le pasteur évangélique Gilles Sax rentre de Mulhouse le 25 février 2020. Dès son arrivée, il ne se sent pas bien. « Je tremblais comme une feuille », raconte-t-il aujourd’hui, guéri. Sur le moment, il ne fait pas le lien avec l’épidémie de coronavirus.

 

Après quelques jours, il se sent mieux et il participe à une messe puis à un repas. Lorsqu’il est diagnostiqué, l’ARS de Guyane effectue des tests sur quatre vingt personnes ayant été à son contact ainsi qu’à celui de ses quatre compagnons de voyage. Tous les tests sont négatifs. Seul un enfant a été contaminé, sans gravité.

 

« Ma plus grande joie c’est de ne pas avoir transmis cette maladie autour de moi, nous savons qu’il suffit d’une personne et cela part comme une traînée de poudre », dit Gilles Sax.

 

D’autres cas en lien avec Mulhouse ont essaimé partout en France à Orléans, Besançon, Saint-Lô, Belfort, Dijon, Mâcon, Agen, Briançon et Paris, provoquant des confinements et des fermetures d’écoles. Aux alentours du 8 mars 2020, lorsque les agences de santé communiquaient encore des détails sur les nouveaux cas de contaminations au coronavirus, on ne recensait pourtant qu’une centaine de cas liés au rassemblement de Mulhouse en dehors du Grand-Est.

 

Plusieurs médecins estiment que ces chiffres sont en fait très loin de la réalité. Parmi eux, le pasteur Jonathan Peterschmitt, médecin généraliste à Mulhouse et pasteur de la POC. Dès le Dimanche 2 Mars 2020, une semaine après la fin du rassemblement, il remarque que l’église, d’habitude pleine à craquer, est à moitié vide. Il fait alors le lien avec le coronavirus auquel plusieurs fidèles ont été dépistés positifs la veille. Lui-même sera également testé positif le lendemain. Il affirme aujourd’hui que ce ne sont pas une centaine de participants qui ont été contaminés au mois de février 2020, mais la quasi-totalité des fidèles présents, soit environ deux mille personnes sur deux mille cinq cent personnes.

 

« Nous pouvons parler largement de la majorité des personnes présentes sur le site qui étaient contaminées, à cause du nombre de personnes qui, après coup, se sont révélées malades ou positives dans la foulée », dit Jonathan Peterschmitt.

 

Un avis partagé par le docteur Patrick Vogt, le médecin généraliste de Mulhouse. Il est de garde au SAMU, le 3 mars 2020. Dans la journée, la préfecture et l’ARS Grand-Est ont publié un communiqué évoquant plusieurs cas contaminés lors du rassemblement et appelant les participants à se manifester auprès des autorités sanitaires. « Nous sommes passés de cinq cent appels habituellement à mille appels, c’était du jamais vu. Les personnes disaient tous la même chose, nous sommes évangéliques, nous étions à la cérémonie, nous sommes tombés malades et nous espérons que nous n’avons pas attrapé le coronavirus ». A minuit, il dit à la directrice de l’hôpital, « c’est incroyable, l’épidémie se déroule sous nos yeux », en lui montrant l’écran rouge d’appels.

 

Les jours suivants, le SAMU de Mulhouse reçoit mille cinq cent appels par jour, trois fois plus qu’en temps normal. Le médecin explique que les autorités ne prennent pas alors la mesure de la gravité de la situation, « la communication n’a pas bougé. Le préfet, droit dans ses bottes, déclarait que nous étions en deuxième phase, que la situation était maîtrisée et que nous avions dix huit cas ».

 

Le docteur lance alors l’alerte dans une interview au quotidien de l’Alsace où il déclare que Mulhouse est le plus grand foyer de coronavirus de France, « nous sommes passés en troisième phase. Ce ne sont pas une vingtaine de cas avérés mais sans doute des centaines qui ne sont pas testés ». Le jour-même, le DGS Jérôme Salomon reconnaît que le virus circule activement dans plusieurs territoires, dont le Haut-Rhin et le Bas-Rhin.

 

Le docteur Patrick Vogt n’a pas de mots assez forts pour qualifier la gestion de la crise après ce rassemblement évangélique, « ils n’ont mis aucun système de veille et d’anticipation. Le système de détection n’a pas fonctionné. C’est de l’insouciance et de l’incompétence ». Contactée, la préfecture n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

 

Le directeur général de l’ARS Grand-Est, Christophe Lannelongue, a accepté de son côté de revenir sur l’origine de l’épidémie à Mulhouse pour la Cellule Investigation de Radio France.

 

« C’est une espèce de bombe atomique qui nous est tombée dessus à la fin du mois de février 2020 et que nous n’avons pas vue. Après le 21 février 2020, date de la fin du rassemblement de Mulhouse, des centaines de malades s’ignorent car ils sont très peu symptomatiques », dit-il.

 

« Nous avons raté un point majeur le 29 février 2020 », reconnaît Christophe Lannelongue. Il évoque le cas d’une femme testée positive avec ses deux enfants à Strasbourg. Elle ne revient pas d’une zone à risque telle que la Chine ou l’Italie du nord. Déjà malade, la patiente alsacienne ne s’est pas rendue au rassemblement de Mulhouse. Mais ses deux enfants y ont participé avec leurs grands-parents. Cette information ne fait pas l’objet d’un approfondissement lors de l’enquête, qui reste centrée sur la mère et l’origine de sa contamination. Les enfants ont pu introduire le coronavirus au sein du rassemblement évangélique. Mais il est impossible d’être catégorique.

 

Les autorités du Grand-Est comprennent ce qui se passe deux jours plus tard, le 2 mars 2020, quand elles sont alertées par leurs collègues d’Occitanie. Un habitant de Nîmes, testé positif au coronavirus, explique qu’il revenait en voiture de la semaine de prière de Mulhouse.

 

Depuis le rassemblement, il n’a fréquenté quasiment personne. « Il ne s’est arrêté qu’une seule fois sur l’autoroute pour acheter un sandwich », dit le directeur de l’ARS Grand-Est, « il vit par ailleurs seul ».

 

C’est à ce moment-là que le lien se fait et que les enquêteurs du Grand-Est comprennent. « C’est le rassemblement de la POC de Mulhouse », s’exclame Christophe Lannelongue, « dans la journée, nous prenons contact avec la POC qui a organisé la semaine de prière. Ils nous disent qu’ils ne tiennent pas de listings. Donc nous décidons de communiquer largement auprès des personnes qui ont fréquenté l’église ».

 

Mais c’est déjà trop tard. « Des malades commencent à arriver dans un état grave. Dans un monde idéal, il aurait fallu aller vers un confinement de masse dès la réception de l’alerte d’Occitanie. A ce moment-là, le coronavirus est un problème asiatique et l’Italie n’est pas encore devenue un foyer de la maladie », dit-il.

 

Quant à savoir qui le premier a infecté les autres, comme en Lombardie, le directeur de l’ARS Grand-Est estime plausible qu’à Mulhouse, avant même l’événement évangélique, des personnes contaminées aient pu diffuser le coronavirus, et que le rassemblement ait ensuite amplifié sa propagation. Le docteur Jonathan Peterschmitt se souvient effectivement avoir reçu dès le mois de janvier 2020 un patient qui avait le symptôme-type du coronavirus, il avait perdu l’odorat et le goût.

 

Trois autres patients avaient une très grosse grippe. « Le 31 janvier 2020, j’ai fait hospitaliser une jeune femme qui avait les symptômes d’une pneumopathie. Elle n’était pas affiliée à l’église évangélique », raconte-t-il. « C’est tout à fait possible », confirme le docteur Patrick Vogt, « car nous sommes nombreux à avoir reçu des patients qui avaient des syndromes grippaux qui pouvaient être des cas de coronavirus. Mais ils ont dû passer au travers des mailles du filet car nous ne faisions pas de tests à l’époque ».

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