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20 avril 2020 1 20 /04 /avril /2020 09:40

 

 

NOUS SOMMES LES EXPERTS DE NOS VIES

Alain Bertho écrivait récemment un très long message relatif à l’épidémie de coronavirus. Vous trouverez ci-dessous trois paragraphes de ce message. Il est disponible en totalité si vous consultez son blog Mediapart à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

 

https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/200420/ne-les-laissons-plus-decider-de-nos-vies

Ne les laissons plus décider de nos vies

Chaque jour qui passe, le pouvoir étale son incompétence dans la crise que nous vivons. Cette dramatique défaillance est structurelle. Elle s’enracine dans des transformations récentes de l’état. Elle met en danger nos vies. Elle n’a qu’un antidote, la mobilisation de l’intelligence populaire à l’œuvre aujourd’hui dans les hôpitaux et les quartiers. C’est à elle de construire le monde d’après.

Ce contexte permet peut-être d’éclairer la durée, la violence et l’opacité de la polémique déclenchée par la proposition thérapeutique de Didier Raoult associant hydroxychloroquine et azithromycine et mise en pratique à l'Institut Hospitalier Universitaire (IHU) de Marseille. Cette polémique qui a mobilisé grands médias, politiques, ministres, médecins, chercheurs et réseaux sociaux, a été à l’origine de plusieurs pétitions et de sondages. Cette polémique française nous apprend beaucoup sur le rapport entre science, politique, industrie et démocratie en temps de pandémie.

Le 25 février 2020, le professeur Didier Raoult publie une vidéo titrée « coronavirus, vers une sortie de crise » sur la base d’une étude chinoise sur les effets de la chloroquine, molécule bon marché utilisée depuis 1949, notamment dans la prophylaxie du paludisme. On compte alors treize cas en France et un seul mort.

Le 11 mars 2020, alors que Didier Raoult est nommé au conseil scientifique mis en place par le gouvernement, la chloroquine n’est pas retenue dans le dispositif Discorery d’évaluation de molécules contre le coronavirus. Le ministre de la santé explique le 14 mars 2020 que les résultats intéressants de l'IHU devaient être soumis aux processus de validation scientifique. On semble privilégier le remdesivir, lui aussi testé en Chine et produit par la firme américaine Gilead.

Le 16 mars 2020, Didier Raoult annonce des résultats prometteurs sur les vingt quatre patients avec une diminution significative de la charge virale et il propose une démarche, « diagnostiquons et traitons ». Le 17 mars 2020, il prépublie des résultats qui proposent l’association de l’hydroxychloroquine avec un antibiotique, l'azithromycine. La validité du protocole est contestée.

Le confinement commence le 18 mars 2020. On dénombre en France un total de six mille six cent trente trois cas et cent quarante huit morts, dont mille deux cent dix cas et vingt et un morts en vingt quatre heures.

Le 18 mars 2020, Sanofi se dit prête à offrir trois cent mille traitements de chloroquine au gouvernement français. Le Maroc achète les stocks de chloroquine produit par Sanofi dans une usine de Casablanca. Le 20 mars 2020, le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Caen utilise le traitement. Le 21 mars 2020, le laboratoire israélien Teva annonce qu’il va fournir dix millions de doses gratuites aux hôpitaux américains. Le 22 mars 2020, la chloroquine seule et non associée à l’azithromycine, intègre l’essai clinique européen Discovery. On compte alors seize mille huit cent quatre vingt neuf cas et six cent soixante quatorze morts en France.

Le 26 mars 2020, un décret autorise, dans un cadre hospitalier, donc pour les cas graves, un traitement à base d’ hydroxychloroquine, sans citer l'azithromycine, ainsi que l’association lopinavir/ritonavir, le Kaletra, autres molécules testées par Discovery et développées par  Abbott. Le 31 mars 2020, le CHU d’Angers annonce une étude sur mille trois cent patients et trente deux hôpitaux nommée Hycovid. Mais, comme dans l’étude Discovery, seule l’hydroxychloroquine est testée, sans association avec l'azithromycine. Le 10 avril 2020, le CHU de Montpellier lance une étude, Covidoc, sur la bithérapie hydroxychloroquine et azithromycine mais sur cent cinquante patients présentant une pneumonie justifiant une hospitalisation, c’est-à-dire à un stade où le traitement est trop tardif.

Le 10 avril 2020, on compte quatre vingt dix mille huit cent soixante seize cas et treize mille cent quatre vingt dix sept morts en France. « Qui est vraiment Didier Raoult », commence à s’interroger la presse.  Quelles sont les failles scientifiques de sa méthode d’essai clinique ? Est-ce vraiment scientifique ? Les effets secondaires de la chloroquine ne sont-ils pas inquiétants ? « Génie incompris ou faux prophète », titre le Figaro le 23 mars 2020. « Chloroquine, l'infectiologue Didier Raoult en roue libre », demande Libération le même jour.  « Génie ou charlatan », s’interroge le Courrier international le 24 mars 2020. « La communauté scientifique doute », selon Sciences et Avenir le 25 mars 2020.

L’IHU de Marseille continue sa stratégie de dépistage et traitement précoce, publie ses résultats. L’Inde premier producteur du composant de base adopte le traitement à la chloroquine. Le Brésil produit sa chloroquine avec la matière première indienne. Les Etats Unis développent une vingtaine d’essais cliniques.

En Afrique où la molécule est bien connue en raison du paludisme comme le rappelle la Dépêche de Kabylie, le Bénin, le Cameroun, le Sénégal, le Burkina Faso, l’Algérie, la Maroc et le Congo l’adoptent. Avec ou sans association antibiotique et en admettant les incertitudes sur les résultats, la molécule est utilisée en Chine, en Corée, en Iran, en Turquie, en Russie, en Suisse, aux Pays Bas, en Belgique, en République Tchèque et en Italie. Des tests sont faits à Barcelone et en République Tchèque. Le 11 avril 2020, Israël reçoit deux millions quatre cent mille doses. Bayer va reprendre sa production en Europe ainsi que Saidal en Algérie. Des essais sont faits pour son utilisation en prophylaxie pour les personnels soignants, en Chine mais aussi en France à l’Institut Pasteur.

En France, la polémique ne faiblit pas, alliant la condamnation sans appel de la méthode et les informations sur le passé du professeur Didier Raoult, les liens de l’IHU avec l’industrie pharmaceutique, le rapport du Haut Conseil de l'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (HCERES) de 2017 sur l'Unité de Recherche sur les Maladies Infectieuses et Tropicales Emergentes (URMITE), le laboratoire du professeur Didier Raoult, ses amitiés politiques, voire son look de gaulois réfractaire. Concentrons-nous sur les deux questions en débat, la validité scientifique des essais cliniques de l’IHU et l’opportunité de son usage immédiat.

Commençons par la méthodologie. Critique depuis le début, Karine Lacombe, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine de Paris, qui fut liée financièrement au laboratoire Gilead et qui  mène l’essai clinique Coviplasm sur la transfusion de plasma de patients guéris, n’en démord pas, « les études de l'IHU ont été construites à l’envers, car elles partent de l’idée préconçue que la chloroquine est efficace. Ce sont simplement des études observationnelles de personnes ayant été traitées à la chloroquine ». L’équipe de l’IHU n’a jamais prétendu le contraire et elle propose une observation précise de l’évolution de la charge virale arguant que, en recherche, l’administration de la preuve n’obéit pas à un modèle unique. Surtout, pourquoi n’a-t-on pas testé selon la méthodologie des essais randomisés le protocole proposé par l’équipe de Marseille ? Ni Discovery, ni Hycovid à Angers, ni Covidoc à Montpellier n’ont en vérité testé ce protocole, les deux premiers en isolant l’hydroxychloroquine, le troisième en ne testant pas le traitement en début d’infection.

Dans ces conditions, le message du comité d'éthique du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de  la mission à l'intégrité scientifique du CNRS du 7 avril 2020 rappelant les exigences de la démarche scientifique quelles que soient la situation d’urgence semble un peu hors-sol quand il affirme que « rien ne justifie que, au nom d’un pragmatisme de l’urgence, on contourne et les procédures usuelles » et que « face à une situation exceptionnelle à bien des égards, la communauté scientifique doit se rappeler que son rôle est de pratiquer, sans compromis, une recherche honnête et responsable ».

Cette prise de position permet néanmoins de poser la seconde question. Sommes-nous en situation de grande urgence ou dans le temps et le rythme des procédures usuelles de la recherche fondamentale ? L’urgence doit-elle se mettre au rythme de la recherche ? Quelle est donc cette situation exceptionnelle ? Le 7 avril 2020, on compte en France soixante dix huit mille cent soixante sept cas avérés et sérieux et dix mille trois cent vingt huit morts. le 18 avril 2020, on compte dix neuf mille trois cent vingt trois morts. Les services de soin intensifs des régions du Grand Est et d’Île de France sont débordés. Un drame se joue dans les Etablissements d’Hébergement des Personnes Agées Dépendantes (EHPAD).

La réponse de l’Association des Médecins Urgentistes de France (AMUF) dès le 25 mars 2020 est claire, « même si toutes les conditions modernes de validité d’étude ne sont pas remplies, l’urgence et le pragmatisme doivent nous inciter à évaluer le plus rapidement possible le traitement par l’hydroxychloroquine tout en le prescrivant pour sauver des malades ». C’est la réponse pragmatique de nombreux praticiens. Le 3 avril 2020, le tribunal administratif de Marseille siège en référé. Il a été saisi, comme les tribunaux de Bastia, de Paris et de Nancy, par des syndicats de médecins, le syndicat de médecins d'Aix et de sa région et le syndicat Infin Idels, qui demandent à l'Agence Régionale de Santé (ARS) de commander urgemment de la chloroquine au nom du droit à la vie avant que la demande mondiale ne crée la pénurie. Le recours est rejeté le 6 avril 2020, suivant en cela l’ordonnance du 28 mars 2020 du conseil d’état qui avait été lui-même saisi.

Le gouvernement et des autorités scientifiques ont fait un choix, celui d’entraver, de retarder l’évaluation et l’usage d’une proposition thérapeutique, de l’autoriser à contre sens dans le décret du 26 mars 2020 et de biaiser sa mise à l’essai dans Discovery. Peut-être l’association de l’hydroxychloroquine et d’un antibiotique s’avérera finalement décevante. Peut-être son usage précoce et systématique n’aurait pas empêché les milliers de morts et les milliers d’intubation qui laisseront des séquelles même en cas de guérison et l’engorgement dramatique des hôpitaux. Nous ne le saurons jamais. Mais surtout nous n’avons pas eu le choix.

Dans une épidémie aussi grave qui bouleverse la vie de dizaines de millions de personnes et qui sème la peur et l’angoisse en même temps que la mort, des décisions aussi essentielles ne peuvent être prises unilatéralement par un gouvernement qui a montré son incompétence et des savants qui se mobilisent sur d’autres exigences.

Si l’hydroxychloroquine a cristallisé la colère contre l’absence d’information et de débat public sur des choix vitaux et contre l’impuissance à laquelle nous avons été réduits, c’est effectivement parce que Didier Raoult a d’emblée mis la question sur la place publique. On lui a reproché son mode de communication. Mais ne devrions-nous pas nous insurger au contraire contre le manque d’information dans lequel nous avons été tenus sur les enjeux sanitaires et industriels des autres molécules testées par l’étude Discovery, le remdesivir, l’association lopinavir et ritonavir, l’association lopinavir, ritonavir et interféron bêta ? Dans le bruit des polémiques, il faut savoir entendre les silences.

La politique a horreur du vide. Cette négation brutale de la capacité de ces personnes qui ne sont rien à avoir une expertise sur de tels choix vitaux a produit l’ampleur et la tonalité des polémiques dans le pays. Dans ces conditions, chaque rappel des critères scientifiques pour justifier l’attente, chaque réitération de l’infaillibilité de la science a ajouté à la colère. Populisme et complotisme, si souvent dénoncés alors, sont les enfants de ce déni de compétence et d’intelligence collective.

Aurions-nous oublié notre histoire ? Comme nous le rappelle Edgar Morin, « sur la question de l’alternative entre urgence ou prudence, le monde scientifique avait déjà connu de fortes controverses au moment de l’apparition du sida, dans les années 1980 ». A cette époque, racontée par Robin Campillo dans « cent vingt battements par minute », les militants d’Act Up Paris avaient formidablement bataillé pour faire admettre l’expertise des malades au même titre que celle des laboratoires et imposer la nécessité d’une démocratie sanitaire articulant santé publique, droits humains et savoirs partagés. L’idée est simple. La santé est aussi l’affaire des malades. La mise en œuvre d’une telle idée est terriblement conflictuelle.

Ainsi en 1993, les militants d’Act Up se sont heurtés de front à la direction du laboratoire Roche à propos d’un essai thérapeutique terminé au mois de septembre 1992 dont les résultats ne sont pas encore publics au printemps 1993. L'essai concernait soixante quatre personnes en France et cent quarante autres patients en Italie et en Angleterre. Roche invoque alors la vérification des résultats entre les trois pays et la nécessité de ne pas donner de faux espoirs. Il s’agissait surtout d’attendre le 7 juin 1993 pour communiquer les résultats lors de la conférence internationale de Berlin. L’agenda scientifico industriel l’emportait sur l’urgence de la menace de mort. En 2008, le même laboratoire est mis en cause par l’association ainsi qu’une quarantaine d’autres dans le monde contre la rente financière du brevet sur le Fuzeon dont Roche a le monopole et le prix exorbitant du médicament.

Le 7 avril 2020, plusieurs anciens dirigeants d’Act Up mobilisent cette expérience fondatrice dans une lettre ouverte à Françoise Barré-Sinoussi et Jean-François Delfraissy. « La seule lutte efficace », rappellent-ils, est « celle qui lie de manière indissociable santé publique et droits humains, qui refuse de confier le pouvoir aux seuls scientifiques ou aux seuls politiques et qui fait de la participation des citoyens et de l’inclusion des populations minoritaires, démunies ou ostracisées, la clef du succès ». Il s’agit donc à partir d’aujourd’hui de « créer les conditions d’une réelle participation de la société aux décisions à venir ».

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