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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 16:25

 

 

SUSPENSION DE JEREMY CORBIN

Dimanche 22 Novembre 2020

Vous trouverez ci dessous la première partie d'un très long message de Thierry Labica relatif à la suspension de Jeremy Corbin du parti travailliste britannique. Le message est disponible en totalité si vous consultez le site internet de la revue Contretemps à l'adresse ci dessous.

Bernard Fischer

 

http://www.contretemps.eu/suspension-corbyn-labour-angleterre-antisemitisme-liberalisme/

Tout doit disparaître, même le libéralisme politique. Sur la suspension de Jeremy Corbyn par le parti travailliste britannique

Par Thierry Labica

Samedi 21 Novembre 2020

Les instances du parti travailliste britannique ont décidé de suspendre l’ancien dirigeant de l’opposition, Jeremy Corbyn, Vendredi 29 Octobre 2020. Cette décision a été prise au prétexte d’une déclaration de Jeremy Corbyn en réaction à la parution du rapport d’enquête de l'Equality and Human Rights Commission (EHRC) portant sur l’antisémitisme à l'intérieur du parti travailliste. Cette mesure prise contre la figure emblématique de la gauche en Grande-Bretagne depuis 2015, en référence à des propos rapportés de manière inexacte, est en contravention directe au règlement interne du parti travailliste ainsi qu’à la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH).

Jeremy Corbyn a été finalement réadmis Mardi 17 Novembre 2020 sans toutefois se voir rendu son whip, c’est-à-dire le fait de pouvoir voter au parlement au nom du parti travailliste, ce qui fait qu’il est actuellement considéré comme député indépendant. Les dommages causés à l'intérieur du parti travailliste par ces trois semaines de péripéties et leurs suites désormais inévitables n’ont guère de chance d’être réversibles. Un rappel de l’épisode sera ici l’occasion d’observer un peu plus largement un contexte dont les confusions et les dangers ne se limitent pas aux seuls aléas interminables du Brexit.

« La démocratie représentative devrait, autant que possible, être abolie dans le parti travailliste », a dit David Evans, secrétaire général du parti travailliste depuis le mois de mai 2020.

« Le néolibéralisme retrouve ainsi la logique originaire du libéralisme qui a accompagné son émergence en refusant comme corporatisme archaïque la superposition du petit marché politique au grand marché économique et en se prémunissant de manière préventive du risque majeur de toute correction des mécanismes économiques en un sens égalitaire. En ce sens le néolibéralisme contemporain est prêt pour sauver son esprit animal libéraliste à sacrifier son âme libérale », écrivait André Tosel, dans Démocratie et Libéralisme, aux éditions Kimé, en 1995.

Vendredi 29 Octobre 2020, les instances du parti travailliste ont annoncé la suspension de Jeremy Corbyn. La mesure disciplinaire est intervenue suite à une déclaration de l’ancien dirigeant du parti travailliste en réponse à la parution d’un rapport d’enquête menée pendant plus d’un an par l'EHRC et consacrée à l’antisémitisme dans le parti travailliste.

Sans même que le nouveau secrétaire général du parti, David Evans, ait pu clarifier ce qui dans le propos de Jeremy Corbyn constituait une contravention au règlement du parti, le chœur politique et médiatique était déjà agenouillé dans une unisson fervente. Jeremy Corbyn rejette les conclusions du rapport en niant la réalité du problème de l’antisémitisme et de sa gravité et il continue de prétendre qu’il a été indûment exagéré à des fins purement politiques internes et externes.

Keir Starmer ayant décrété, quant à lui, que toute personne souhaitant contester le document et ses conclusions n’avait pas sa place dans le parti, on comprend, de fait, que l’ancien dirigeant ne saurait donc avoir sa place dans le parti.

Cette présentation des faits s’accompagne du contrepoint qui en assure la crédibilité. Dès l’annonce de la parution du rapport, trois motifs d’accablement ont immédiatement envahi le discours public et mis un terme préventif à toute tentative de discussion. Le rapport montre que le parti s’est rendu coupable du grave délit de harcèlement et d’intimidation. La direction politique du parti est intervenue de manière illégale dans le traitement de procédures disciplinaires et elle n’a pas mis en place les mesures adéquates pour lutter contre l’antisémitisme. Ces trois ingrédients mêlés forment le ciment, l’eau et le sable de la dalle de béton instantanément coulée sur le contenu même du rapport de l’EHRC qu’il s’avère maintenant urgent, semble-t-il, de ne pas lire et de ne pas utiliser afin d’éclairer le parti et l’opinion publique en général.

L’enquête de l’EHRC sur l’antisémitisme dans le labour était à divers titres une affaire entendue d’avance. Elle fut lancée à la demande de deux organisations, Campaign Against Antisemitism (CAA) et Jewish Labour Movement (JLM), agressivement pro-israéliennes et notoirement hostiles à la direction travailliste et à Jeremy Corbyn en particulier, connu de longue date pour ses positions pro-palestiniennes.  De son côté, proche des conservateurs, l'EHRC, dont Newsweek a révélé la mise à l’écart de ses directeurs noirs et musulmans, s’était empressé de faire bon accueil à la demande de ces organisations, jugeant les pièces du dossier sur l’antisémitisme dans le parti travailliste suffisantes pour déclencher une enquête.

En comparaison, lorsque des organisations musulmanes ont entrepris des démarches semblables pour que l’EHRC enquête sur l’islamophobie déclarée et omniprésente dans le parti conservateur, elles ne rencontrèrent pas le même succès. L’honorable EHRC, en réponse à ces demandes, a, dans sa grande sagesse, estimé que l’on pouvait compter sur le parti de Boris Johnson pour conduire sa propre enquête interne.

Pour ce qui est des préjugés contre les juifs, leur persistance est également et très distinctement plus élevée chez les tories que dans le parti travailliste, comme l’ont bien montré deux enquêtes de l’institut Yougov en 2015 et 2017. Ces deux poids et ces deux mesures sont donc très remarquables lorsque l’on pense que l’actuel premier ministre, connu il est vrai pour sa jovialité raciste, a pu écrire un roman dans lequel, sans éveiller d’émoi particulier au-delà des quelques expressions d’indignation de rigueur, des juifs utilisent leur pouvoir oligarchique pour truquer des élections et contrôler les médias. Il n'a provoqué aucun scandale et même, il a obtenu le soutien déclaré du grand rabbin britannique, Ephraim Mirvis, à la veille des élections du mois de décembre 2019.

Il paraissait entendu que le rapport avait d’emblée vocation à apporter la validation irréfutable du récit diffusé en masse depuis au moins trois ans sur l’antisémitisme institutionnel du parti, les aveuglements ou les complicités de Jeremy Corbyn et avec lui, de toute la gauche, incidemment, internationaliste et pro-palestinienne. Sur ces jugements rendus d’avance et sans appel possible, Pete O’Borne et Richard Sanders expliquent d’ailleurs, sur le site Middle East Eye, que, lors de la conférence de présentation du rapport en présence des auteurs, les questions de la trentaine de journalistes présents « visèrent majoritairement à comprendre pourquoi le rapport n’avait pas été plus dur, personnellement, contre Jeremy Corbyn. Pas un seul journaliste n’a cherché à interroger les incohérences ou les omissions du rapport ».

Comme le suggèrent Pete O’Borne et Richard Sanders, le document de l’EHRC ne paraît pas avoir vocation à être lu. Sa fonctionnalité a tenu avant tout à la dramatisation de son annonce et de son anticipation des mois durant.

Puis avec sa parution, l’occasion est donnée non seulement de mobiliser tous les acteurs de la panique morale créée autour de la gauche du parti travailliste, mais aussi et surtout, d’enclencher enfin le coup à forte charge symbolique prévu de longue date contre son représentant principal, Jeremy Corbyn. Par la même occasion, le nouveau dirigeant peut espérer ainsi endosser les habits du chef capable de fermeté et de prise de décision difficile.

La lecture du rapport reste cependant nécessaire et utile à divers titres. Il y a d’une part les faiblesses de sa rédaction, révélatrices de la pauvreté du matériau à la disposition des enquêteurs. Plusieurs omissions ou évasions laissent d’emblée perplexe. Faut-il accepter, par exemple, en l’absence de toute définition préalable, que le seul fait que des personnes se soient senties offensées par un commentaire polémique concernant l'état d’Israël relève d’un antisémitisme manifeste, caractérisé et formellement répréhensible ? Comment comprendre que le rapport ne propose aucune précision sur l’identité des plaignants, deux organisations partisanes de l’amalgame le plus strict entre les juifs et Israël, en outre réduit à sa seule extrême-droite politique au pouvoir ? Le seul fait de contester une accusation d’antisémitisme constitue-t-il par nature une preuve d’antisémitisme ?

Mais au cœur du rapport, on trouve surtout l’omission quasi-complète du dossier interne diffusé au mois d'avril 2020. Celui-ci documentait sur quatre vingt cinq pages de quelle manière le personnel au siège du parti travailliste, en charge des procédures disciplinaires notamment, s’était délibérément et activement employé à mettre la direction politique du parti en difficulté  jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle secrétaire générale, Jennie Formby, et d’une nouvelle équipe administrative, lenteur extrême ou mise à l’arrêt délibérée du traitement de plaintes dont les adversaires et les médias prenaient alors prétexte pour accuser Jeremy Corbyn de ne rien faire, de rester au mieux aveugle au problème et, au pire, d’en être complice, manipulations et blocages de la communication de la direction au parti et participation au harcèlement médiatique de certaines personnalités de la gauche du parti assorti de saillies racistes, le tout avec la caution bienveillante du secrétaire général alors encore en place, Iain Mac Nicol.

L’impasse faite par les enquêteurs sur ce changement d’équipe dans les instances centrales du parti au mois de mars et au mois d'avril 2018 est propre à induire une confusion fatale consistant à attribuer à la direction politique du parti les conséquences du sabotage dont elle était elle-même la cible pendant les deux tiers de la période couverte par l’enquête.

Cet ensemble de pièces consubstantielles à l’objet de l’enquête ne laisse aucun doute quant à l’instrumentalisation des accusations d’antisémitisme dans le cadre de luttes internes. Il confirme en outre que les interférences illégales politiques, tant réclamées à l’époque, et dont beaucoup feignent aujourd’hui de s’émouvoir, visèrent à accélérer le traitement des plaintes et non à les ralentir ou les empêcher.

Cette absence ne reste toutefois pas entièrement sans trace. Le document de l’EHRC reconnaît les changements intervenus au printemps 2018, donc à l’arrivée de la nouvelle secrétaire générale, et à la prise en compte beaucoup plus rapide des plaintes dans le cadre de procédures renforcées, mais sans tenir compte de la conjoncture interne antérieure, ses protagonistes et ses effets.

Autre point remarquable, le rapport relève en outre que les dysfonctionnements des procédures disciplinaires internes concernèrent pendant une longue période l’ensemble des plaintes et non seulement celles relatives à d’éventuels propos antisémites. Il en résulte que nombre de personnes ayant fait l’objet d’une plainte furent elles-mêmes traitées de manière déplorable, aucune information quant aux allégations les concernant, anonymat du plaignant, des délais  interminables de traitement des plaintes, mettant notamment des  candidates de la gauche du parti, juives dans certains cas notoires, en difficulté administrative pour se présenter à des scrutins pour d’importantes  responsabilités internes.

Le rapport donne ainsi l’exemple d’un « membre supposé avoir émis des commentaires antisémites au cours du processus de sélection d’un candidat parlementaire et dans des mails échangés avec d’autres membres de leur même branche de circonscription. Le membre ne reçut aucun détail des allégations en dépit de ses demandes répétées au cours de l’enquête pendant l’année 2018. Le membre démissionna avant le terme de l’examen de la plainte ». L’EHRC a ainsi « identifié des problèmes d’équité à l’égard des personnes visées par des plaintes pour quarante deux des soixante dix dossiers de l’échantillon ».

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