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24 février 2021 3 24 /02 /février /2021 12:51

 

 

https://www.elwatan.com/a-la-une/lalgerie-gronde-23-02-2021

 

Des centaines de milliers d'algériens dans les rues, l'Algérie gronde

Lundi 22 Février 2021, c'est le deuxième anniversaire du hirak. Il est moins de 10 heures du matin et Alger est bleue et grise. Un impressionnant dispositif de police quadrille la capitale. Un hélicoptère fait un boucan dans le ciel. Une pluie ininterrompue tombe depuis le matin. Avec le p comme police et le p comme pluie, on se dit que ce n’est pas un jour pour sortir. Pourtant, on parle avec insistance d’un retour du hirak.

En traversant la rue Didouche Mourad, jusqu’à la place Maurice Audin et la Grande-Poste, il n’y a pas la moindre velléité d’attroupement non armé, comme dit la formule judiciaire. Il y a des fourgons de police partout. Des agents, en uniforme ou en civil, sont disséminés dans les moindres recoins. Des grésillements de talkies-walkies et des sirènes des voitures de police qui filent à tombeau ouvert confortent cette impression de ville assiégée. Alger est comme en état de siège.

Nous coupons par l’hôpital Mustapha pour gagner le Premier Mai. Chemin faisant, nous croisons Mustapha Atoui, président de l’Association Nationale de Lutte contre la Corruption, accompagné d’un autre militant.

Les deux activistes revenaient du Ruisseau où ils avaient pris part à l’une des premières manifestations de la journée. « Nous étions à peu près deux cent personnes. Cela fait trois mois que nous préparons cette action. Nous avons préféré éviter le centre-ville et lancer notre marche à partir du Ruisseau. Nous avons réussi à faire entendre notre voix. Il y avait des automobilistes qui klaxonnaient. Mais la police est intervenue et il y a eu pas mal d’interpellations », témoigne Mustapha Atoui. Sur les réseaux sociaux, on alertait sur des arrestations du côté du Hamma. Nous apprendrons également que Fethi Gheres du Mouvement Démocratique et Social (MDS) a été interpellé à la Grande-Poste.

D’autres informations parlaient de groupes de manifestants qui venaient de Bab El Oued et de la place des Martyrs. Nous rebroussons chemin en direction de la Grande-Poste. Nous coupons par le marché Réda Houhou pour gagner la place Maurice Audin. L’horloge qui trône sur la place indique exactement 12 heures 10. Des clameurs montent à ce moment précis.

Des cordons des forces antiémeutes se déploient dare-dare, tandis que des cris fusent. A notre immense surprise, des jeunes, environ une centaine au départ, qui étaient arrivés de Bab El Oued, ont réussi à occuper un tronçon de la place Maurice Audin, à la hauteur du café des Capucines.

La foule commence à grossir et à occuper la chaussée, un scénario totalement imprévu au vu de la répression constatée plus tôt. Cela rappelle de façon troublante le scénario du Vendredi 22 Février 2019. Ce jour-là aussi, le matin, toutes les rues étaient bouclées et les premiers manifestants étaient arrêtés, mais l’après-midi, devant la marée fulminante des frondeurs, les digues coercitives ont fini par céder. On voyait ainsi Lundi 22 Février 2021 le périmètre de la place Maurice Audin se remplir rapidement.

La foule en furie scandait « pour un état civil, non au régime militaire », « indépendance », « ce pays est le nôtre et nous ferons ce qui nous plaît », « nous ne sommes pas venus pour faire la fête, nous sommes venus pour vous chasser » et « il n’y a ni islamiste ni laïc, il y a juste une bande de voleurs ».

Nous remarquons la présence de Mohamed Tadjadit, le fougueux poète de la Casbah, parmi les manifestants. Nous en profitons pour recueillir ses impressions, « le pouvoir prétend fêter le deuxième anniversaire du hirak. Il veut le récupérer. Mais nous ne sommes pas venus pour festoyer, nous sommes venus pour leur demander de partir ». Pour l’ancien détenu d’opinion, il ne fait aucun doute que « le hirak est toujours vivant, il n’a jamais abdiqué. Ce deuxième anniversaire est pour nous l’occasion d’affirmer notre détermination à les dégager. Ecoutez les slogans, ce ne sont pas des slogans de fête. Le peuple est en colère ». Mohamed Tadjadit se dit favorable à l’organisation du mouvement. Toutefois, il récuse le statut de représentant du hirak, sauf si le peuple le décide. « Je me soumets à la volonté du peuple. Le dernier mot lui revient. Moi je suis un homme de terrain, je ne suis pas fait pour organiser les marches. Mais l’organisation est forcément une bonne chose », dit-il.

Bientôt, la place Maurice Audin est noire de monde. Une marée humaine déferle rue Didouche Mourad jusqu’à buter contre un autre cordon de sécurité, plus hermétique, formé à hauteur du cinéma Algéria. Les manifestants scandent tout le répertoire des chants et des slogans du hirak, « vous avez pillé le pays bande de voleurs », « Ali, mon pays est en danger, nous poursuivrons la Bataille d’Alger », « nous sommes les enfants d'Amirouche, nous ne faisons pas de marche arrière » et « nous continuerons notre combat pacifiquement et nous bouterons les militaires du palais d’El Mouradia ».

On pouvait entendre dans la foulée l’incontournable Casa d’El Mouradia. Sur l’une des pancartes brandies, il y avait un message cinglant, « des mains intérieures veulent le changement. Le hirak ne complote pas contre son pays ». Sur une autre pancarte, il y avait un autre message, « la feuille de route du système est dans l’impasse ».

Une femme résume ainsi les revendications du mouvement, « les objectifs du hirak, ce sont un état de droit, la démocratie et l’indépendance de la justice ». L’admirable Amina Haddad proclame pour sa part que « ceci est un hirak, ce n’est pas un talahoum. ENTV, ne mentez pas, non à la falsification de l’histoire ».

La foule est transfigurée. La magie du hirak est revenue. Même la pluie s’est arrêtée. Une forte émotion se lit sur les visages, exaltés par ces retrouvailles tant attendues. Il y a des accolades fraternelles. Certains fondaient en larmes. « J’attendais ce moment sur des charbons ardents. Cela m’a tellement manqué », lâche un hirakiste chevronné.

« Je suis aux anges. C’est extraordinaire », disait Lyès, un jeune de trente ans, avant de nous confier que « 2019 reste la plus belle année de ma vie ».  D’aucuns se donnaient déjà rendez-vous pour Mardi 23 Février 2021, en répétant le mot d’ordre « demain avec les étudiants ».

Dans l’esprit des manifestants rencontrés Lundi 22 Février 2021, le retour du hirak est désormais acté, se donnant d’emblée rendez-vous pour Vendredi 26 Février 2021. « Bien sûr que je sortirai vendredi. Il était temps », dit Abdelkader, la soixantaine, cadre dans les télécommunications, avant d’ajouter que « le pouvoir a fait ce qu’il voulait. Il faut que le hirak reprenne. C’est notre seul espace d’expression ».

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