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25 février 2021 4 25 /02 /février /2021 06:45

 

 

https://www.liberation.fr/politique/ali-rabeh-protections-rapprochees-20210223_WGN7QH7BGVARPGGFRAFZNXHKOU/

 

Ali Rabeh, protections rapprochées

Le maire de Trappes, menacé de mort depuis la polémique autour de sa ville, défend ses concitoyens sous le regard inquiet de ses parents.

Mardi 23 Février 2021

L’heure du déjeuner à la mairie, au bout d’un long couloir, une collaboratrice note les envies des uns et des autres sur un petit papier. Le maire passe également commande. Dans une salle à côté, autre ambiance, il y a deux policiers armés. Ali Rabeh, le bourgmestre trappiste, est menacé de mort. Il est désormais sous protection policière. Le parquet de Versailles a ouvert une enquête après un signalement sur la plateforme Pharos. L’édile fait les présentations avec ses anges gardiens. Il lâche des blagues. Ils se marrent en retour. On ne le découvre pas. Le trentenaire rôde en politique depuis des années dans l’ombre de Benoît Hamon. Il a pris la lumière cet été en raflant la commune des Yvelines. L’ancien socialiste ne s’attendait pas à la tempête survenue quelques mois plus tard. Un professeur de philosophie, Didier Lemaire, fait le tour des ondes pour dénoncer une ville perdue pour la république et sous influence islamiste. Il n’a pas oublié d’épingler le maire dans le camp des complices. La machine médiatique se met en route. Ali Rabeh, trente six ans, vit un étrange quart d’heure warholien.

Dans son bureau, le supporteur du Paris-Saint-Germain (PSG) retire sa veste, il s’installe sur un petit canapé et il revient sur les jours qui viennent de s’écouler. « Les habitants me connaissent, ils savent que je suis un vrai laïc, bien plus que ceux qui squattent les plateaux de télévision, et personne n’est venu à mon secours. Heureusement que le préfet a pris la parole pour rétablir la vérité », dit-il les jambes croisées.

Ali Rabeh ne met pas sous le tapis une autre réalité, le départ en Syrie et en Irak de soixante sept habitants, la violence entre les quartiers et les trafics. La colère monte d’un cran, « depuis mon élection, je travaille avec tous les services de l'état pour réparer notre ville, ce n’est pas rien, c’est de la broderie et il a suffi de quelques secondes pour tout envoyer en l’air ».

Les coups ont dépassé sa personne. Il s’enfonce dans le canapé et il baisse un peu la tête. Il a essayé de mentir à ses parents et à ses cinq frères sur la réalité de la menace. Ce n'est pas évident quand sa trombine devient le fond d’écran des chaînes d’information. Chez les Rabeh, les mots d’amour sont aussi rares qu’une canicule à Brest. Les vannes font office de signe d’affection. L’éleveur de poules, son côté bobo, a grandi à Poissy, autre commune des Yvelines. Ses parents vivent toujours dans le même appartement. Un bout de la famille s’est retrouvé un dimanche en pleine tempête. La voix change et elle faiblit, « ma mère est restée silencieuse et elle n’a rien mangé. Elle s’est installée à côté de moi sans un mot. Elle était à mon chevet comme lorsque j’étais petit et que je souffrais de la grippe. Cela m’a fait mal et, lorsque mes frères ont vu la voiture de police devant, ils sont devenus tout pâles ».

Les parents Rabeh n’ont jamais rêvé de cette vie pour leur marmot. Ils sont fiers mais la crainte des problèmes est plus forte que tout. Ils préfèrent la discrétion, celle de ses autres frangins qui turbinent à la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) et à la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP). Le daron espérait secrètement que son fils s’incline à la dernière municipale. Il était parfait à ses yeux lorsqu’il était directeur de cabinet d’une association pour adultes et jeunes handicapés. Le retraité ne sait pas que le virus vient de lui. L’ancien ouvrier de Peugeot était syndiqué. Il n'était pas le genre à prendre la parole devant les foules. Il accompagnait les luttes en silence. Il rentrait souvent à la maison avec des tracts. Ali Rabeh était le seul à les lire. Il tombe vite amoureux de la politique et d’Arlette Laguiller, figure de Lutte Ouvrière. Les années passent et le déclic sonne en 2002 avec Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles. Le bon élève cherche un engagement. Il ne connaît personne. A l'université de Versailles, il prend au hasard un tract de l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF).

Un soir, un dirigeant du syndicat étudiant le traîne à la Sorbonne pour écouter le discours du socialiste Henri Emmanuelli. Il entend un gars qui dit sans notes tout ce qu’il rêve d’entendre. Ses yeux pétillent. Ali Rabeh s’engage dans la foulée à l’UNEF, puis au Parti Socialiste. L’étudiant en mathématiques est à fond. Il défend ses idées et il apprend les combines. Le fils d’ouvrier est toujours partant pour une baston entre les différents courants et les différentes motions. Il n'est pas le dernier à glisser des peaux de banane. Il se fait remarquer par Benoît Hamon dont il deviendra un proche, comme on dit dans le jargon. Il sera de toutes les aventures, notamment la campagne pour les élections présidentielles et le départ du Parti Socialiste en 2017.

Au début de la polémique, Benoît Hamon a contacté plusieurs élus pour venir en aide à son poulain, « c'est dégueulasse, il s’est retrouvé accusé parce qu’il s’appelle Ali et qu’il est fils de marocains, alors qu’il fait du bien à sa ville et qu’il a un sens incroyable de la politique. Je n’arrive pas à comprendre comment ce pays cherche à détruire un de ses enfants ».

L’ancien ministre de l'éducation nationale a tenté de calmer un peu le colérique Ali Rabeh. Il l’a convaincu de ne pas porter plainte contre le professeur de philosophie. L’élu fulmine, « se rend-il compte du mal qu’il nous fait ? Il salit une ville et sa jeunesse. Comment peut-on dire que Trappes, ce n’est pas la France ? Je ne peux pas baisser la tête sans défendre les miens ».

Dans les couloirs de la mairie, on tombe sur Mohamed Sylla, un enfant du coin, qui a connu Ali Rabeh à l’université de Versailles. Ils n’ont plus coupé le contact. Après avoir fait l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et travaillé pour de grandes entreprises, Mohamed Sylla charbonne à la mairie, ingénieur chargé de missions techniques. Le salaire est moins gros qu’ailleurs mais le rôle est plus important, dit-il. Le trentenaire vit mal la situation, « c'est incroyable ce qui se passe autour de notre ville et du maire. Les habitants doivent s’habituer à nous, nous faisons notre travail consciencieusement et nous sommes l’avenir ». Des mots qui ne conviennent pas à tous. Le père du maire a appelé en cachette sa belle-fille, qui travaille dans la réinsertion professionnelle des handicapés, pour lui poser une question, « pourquoi ton mari ne démissionne pas afin de retrouver une vie paisible ». L’idée lui a traversé l’esprit. Puis, le maire s’est posé une autre question, « qu’est-ce que j’ai fait de mal ».

La lumière n’est pas encore sur le point de s’éteindre. Après un recours déposé par l’opposition, le tribunal administratif de Versailles vient d’annuler les élections municipales. Selon le jugement, Ali Rabeh a mené des actions de propagande entre les deux tours, en utilisant son association Cœurs de Trappes à des fins de propagande et de promotion personnelle. Le premier magistrat de la ville a fait appel devant le conseil d'état. Il se dit tranquille. Le trappiste a le sentiment que toute la ville fait bloc autour de lui. S’il dit vrai, c’est une mauvaise nouvelle pour ses parents.

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