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19 mars 2022 6 19 /03 /mars /2022 17:51

 

 

https://www.francetvinfo.fr/politique/affaire/agression-d-yvan-colonna-en-prison/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-la-corse-s-embrase-depuis-l-agression-d-yvan-colonna-en-prison_5017861.html

 

L'article à lire pour comprendre pourquoi la Corse s'est embrasée après l'agression d'Yvan Colonna en prison

Plus de deux semaines après la tentative d'assassinat du militant indépendantiste, les corses ne décolèrent pas. Le ministre de l’intérieur, arrivé Mercredi 16 Mars 2022 en Corse, espère apaiser les tensions en offrant la perspective d'une autonomie aux élus nationalistes.

Ces deux dernières semaines, le slogan « état assassin » a de nouveau résonné dans les rues de Corte, d’Ajaccio, de Bastia ou de Calvi, lors de violentes manifestations qui ont régulièrement dégénéré en émeutes. L'étincelle est venue de la violente agression du militant indépendantiste Yvan Colonna. Cette figure du commando Erignac se trouve, depuis, entre la vie et la mort, alors que ses soutiens réclamaient de longue date son rapprochement dans une prison corse. Jeudi 17 Mars 2022, la justice a finalement accordé une suspension de peine pour motif médical au militant, ont confirmé à France Télévision une source judiciaire et l'un de ses avocats, Sylvain Cormier.

Au-delà de la question juridique, c'est toute la frustration des indépendantistes qui ressurgit, alors qu'aucune de leurs revendications n'a été prise en compte par le gouvernement français. Face aux tensions, la venue de Gérald Darmanin, Mercredi 16 Mars et Jeudi 17 Mars 2022, pourrait s'avérer décisive. Le ministre de l’intérieur s'est notamment dit prêt à aller jusqu'à l'autonomie pour l'île. France Info fait le point complet sur l'affaire d’Yvan Colonna et sur le dossier corse.

Le 6 février 1998, Claude Erignac, préfet de Corse depuis deux ans, est assassiné en plein cœur d'Ajaccio, de plusieurs balles dans le dos. Sur l'île comme sur le continent, l'émotion est immense. « Il s'agit d'un acte barbare, d'une extrême gravité et sans précédent dans notre histoire », déclare le président de la république, Jacques Chirac.

L'enquête piétine jusqu’au mois de mai 1999, quand sont arrêtés les membres du groupe suspecté de cet assassinat et que les premières dénonciations interviennent. Lors des interrogatoires, l'un des six hommes qui sera condamné pour cet assassinat donne les noms de plusieurs complices, dont celui qu'il désigne comme étant le tireur, Yvan Colonna, militant d'A Cuncolta Naziunalista, l'organisation publique du Front de Libération Nationale Corse (FLNC).

Ce dernier disparaît alors dans le maquis et il entame une cavale de quatre ans. Sur la photo diffusée à l'époque, il apparaît les cheveux longs, avec une boucle d'oreille et un tee-shirt blanc, nourrissant l'image d'un homme qui s'est forgé une carapace durant sa fuite.

Pendant tout ce temps, l'homme était en réalité caché dans une bergerie près de Propriano, où il est arrêté au mois de juillet 2003. Suivra une longue saga judiciaire, marquée par trois procès, avant une condamnation définitive à la réclusion criminelle à perpétuité, sans période de sûreté, en 2011.

Mais Yvan Colonna a toujours nié. « Je n'ai jamais tué et je n'ai jamais pensé tuer personne », avait-il insisté lors de son dernier procès, assurant avoir quitté le militantisme en 1990, après la naissance de son premier fils, pour se consacrer à sa famille et à son élevage caprin.

Incarcéré à Fresnes, à Toulon et à Arles, entre autres, il a multiplié les demandes de rapprochement à la prison de Borgo, toutes refusées pour ce prisonnier placé sous le statut de Détenu Particulièrement Signalé (DPS), un statut qui implique une surveillance renforcée.

Yvan Colonna a été retrouvé inanimé à la prison d'Arles Mercredi 2 Mars 2022, après avoir été très violemment attaqué par un de ses codétenus. « L'agresseur a porté des coups violents à la victime, pendant plus de huit minutes, et il a mis en œuvre des techniques de strangulation et d'étouffement, y compris en utilisant des sacs poubelle et des serviettes », a détaillé le Procureur National Anti-Terroriste (PNAT), Jean-François Ricard, devant la presse, Dimanche 6 Mars 2022. Yvan Colonna a été immédiatement envoyé à l'hôpital d'Arles puis transféré le jour même vers un hôpital de Marseille dans un coma post-anoxique, consécutif à une privation d'oxygène dans le cerveau.

Son agresseur, Franck Elong Abe, est un détenu radicalisé de trente-six ans qui purge une peine de neuf ans de prison pour association de malfaiteur terroriste. L'homme affiche un parcours carcéral particulièrement chaotique et il est à l'origine de pas moins de quatorze incidents au cours de sa détention. En garde à vue, il a expliqué son geste aux enquêteurs en évoquant un blasphème d'Yvan Colonna qui aurait, selon lui, mal parlé du prophète. Une information judiciaire a été ouverte dans la foulée pour tentative d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteur terroriste.

Le militant indépendantiste se trouve, depuis, entre la vie et la mort dans un hôpital à Marseille. Son état de santé est toujours gravissime, il n'est jamais sorti du coma, a expliqué Patrice Spinosi, avocat de la famille d’Yvan Colonna, Mardi 15 Mars 2022, en confirmant qu'une demande de suspension de peine allait être déposée.

La tentative d'assassinat de cette figure du nationalisme a suscité une grande émotion sur l'île, qui a rapidement laissé place à la colère. Vendredi 4 Mars 2022, des marins du Syndicat des Travailleurs Corses (STC) ont bloqué l'arrivée d'un navire transportant des policiers d’une Compagnie Républicaine de Sécurité (CRS), envoyés en renfort, à la veille d'une manifestation à Corte organisée à l'initiative de syndicats étudiants.

La violence est montée d'un cran, Mercredi 9 Mars 2022, et des affrontements ont éclaté dans plusieurs villes de Corse. A Bastia, vingt-trois policiers et trois civils ont été blessés, dont un journaliste du quotidien Corse-Matin. A Ajaccio, un incendie a été allumé dans le palais de justice et des manifestants ont aussi attaqué une banque, à l'aide d'une tractopelle. A chaque fois, les forces de l'ordre font face à des manifestants particulièrement jeunes.

La guérilla urbaine a franchi un nouveau cap Dimanche 13 Mars 2022 à Bastia. Un rassemblement de sept mille participants selon les autorités, douze mille participants selon les organisateurs, a viré à l'émeute et pris un tour particulièrement violent devant la préfecture, avec des échauffourées entre les forces de l'ordre et trois cent manifestants cagoulés. Le bilan est de soixante-sept blessés, dont quarante-quatre membres des Forces De l’Ordre (FDO).

La Corse a connu des périodes de violence importantes, notamment jusqu'en 2014, lorsque le FLNC a déposé les armes. Mais le mode d'action du mouvement était surtout centré sur les attentats.

« Dans les années 1970 à 1990, des commandos mettaient des explosifs agricoles et faisaient sauter des villas. Ces derniers jours, nous observons une tout autre forme de violence, moins organisée et plus émeutière », constate Xavier Crettiez, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des violences politiques, « ce sont des modes d'action proche des Black Blocs, qui rompent avec le répertoire des actions violentes traditionnellement utilisées en Corse ».

Les experts sont également frappés par l'ampleur de la contestation, pilotée en grande partie par des étudiants, des lycéens et des collégiens. « C'était fou de voir dix mille personnes défiler à Corte, qui reste une petite ville. Mais c'est aussi là que se situe la seule université de Corse et nous voyons que le mouvement est vraiment porté par les étudiants. C'est une première, jusqu'ici, ils étaient souvent instrumentalisés par les partis politiques », dit Thierry Dominici, enseignant à l'université de Bordeaux.

Le mouvement, marqué par sa jeunesse, traverse les partis et les générations et il brasse bien plus large que les seuls nationalistes. « La tentative d'assassinat d'Yvan Colonna a été ressentie de façon très forte par la population. Son nom est devenu mythique pour des jeunes biberonnés au mythe du rebelle, très présent dans les récits familiaux. On enjolive énormément cette période du rebelle et du maquisard », dit Xavier Crettiez.

« Les murs sont couverts de graffitis à sa gloire. Yvan Colonna a toujours martelé son innocence, mais il est paradoxalement devenu un mythe de la lutte nationaliste corse », dit Thierry Dominici.

La famille d’Yvan Colonna avait d'ailleurs appelé Samedi 5 Mars 2022 à ce que la mobilisation soit relayée au-delà des cercles nationalistes à d'autres sensibilités associatives, politiques ou autres, que ses appels puissent être entendus, avait-elle écrit dans une lettre transmise par Christine Colonna, la sœur d’Yvan Colonna.

Les raisons de la mobilisation sont d'abord politiques et concernent en premier lieu les détenus corses, à commencer par les trois membres du commando Erignac. Pierre Alessandri, soixante-trois ans, et Alain Ferrandi, soixante-deux ans, ont été condamnés en 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité. Ils purgent leur peine à la maison centrale de Poissy, dans le département des Yvelines. Depuis des années, les militants nationalistes, qui les considèrent comme des prisonniers politiques, réclament leur rapprochement au centre pénitentiaire de Borgo.

Pour qu'un tel transfert soit effectué, les prisonniers doivent obtenir la levée du statut de DPS, car la prison de Borgo n'est pas habilitée à recevoir ce type de prisonniers. L'inscription d'un détenu au répertoire des DPS se base sur plusieurs critères, liés notamment au risque d'évasion et au comportement particulièrement violent en détention de certains détenus, écrit le ministère de la justice dans une circulaire. Or ces éléments ne s'appliquent pas, selon leurs soutiens, à Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna, dont la détention s'est déroulée sans incident majeur.

A la fin de l’année 2021, des présidents de groupes de l’assemblée nationale s'étaient associés à sept députés et à deux sénateurs en signant une tribune dans le Monde pour demander le rapprochement des trois hommes, en vain. Le premier ministre, qui a la main sur la levée de ce statut, avait jusqu'ici toujours refusé de franchir le pas et ce refus était perçu comme une réelle injustice.

Ce ressentiment s'agrège à une forme de mépris largement ressenti par la population depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir. Venu commémorer les vingt ans de l'assassinat du préfet Claude Erignac, au mois de février 2018, le chef de l’état a alors multiplié les affronts, se souvient Jean-Louis Fabiani, professeur de sociologie à la Central European University de Vienne et auteur en 2018 de Sociologie de la Corse, aux éditions de la Découverte. Lors de cette visite, Emmanuel Macron avait envoyé des signaux de fermeté envers les nationalistes, affirmant qu'il militait pour une justice sans complaisance, sans oubli et sans amnistie, pour les assassins du préfet. Cette formule a été très mal perçue, note Jean-Louis Fabiani, d'autant qu'il y a eu des amnisties auparavant, notamment sous la présidence de François Mitterrand en 1981 et en 1988.

Emmanuel Macron avait également demandé que les élus de la république soient soumis à une fouille corporelle, y compris Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, et Jean-Guy Talamoni, président de l'assemblée de Corse, les traitant comme des nationalistes violents, une véritable humiliation doublé d'une provocation pour le peuple corse.

Ce sentiment de mépris politique est alimenté par le manque de considération de Paris pour les élus nationalistes qui bénéficient pourtant d'une légitimité démocratique absolue et qui ont obtenu soixante pour cent des voix aux dernières élections régionales du mois de juin 2021, toutes listes confondues, souligne Xavier Crettiez. Or, l’état refusait jusqu'ici d'accéder à leurs demandes, que ce soit la demande d'autonomie, de reconnaissance du peuple corse ou du statut de résident.

A cela s'ajoute une impression très forte de déclassement, selon Jean-Louis Fabiani, « beaucoup de jeunes ne vivent que des emplois saisonniers, malgré des études et des diplômes de quatre ans ou de cinq ans après le baccalauréat. Des étudiants qui ont fait des études six ans après le baccalauréat en histoire sont conférenciers pour l'office du tourisme. Ils sont nombreux à penser que le système républicain devrait mieux fonctionner ».

Après un silence de plusieurs jours, Jean Castex s'est entretenu avec le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse, Jeudi 10 Mars 2022. Vendredi 11 Mars 2022, après neuf jours de manifestation, il a finalement levé le statut de DPS de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi, après l'avoir fait, Mardi 8 Mars 2022 pour Yvan Colonna, ouvrant la voie à leur rapprochement vers la prison de Borgo. Mais ce geste ne suffit pas à apaiser la colère et certains, comme le fils du détenu Alain Ferrandi, demandent la libération des prisonniers.

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a finalement annoncé Lundi 14 Mars 2022 qu'il allait se rendre sur place, Mercredi 16 Mars et Jeudi 17 Mars 2022, pour ouvrir un cycle de discussions avec l’ensemble des élus et des forces vives de l'île. « C’est un bon début, mais nous attendons des signes forts avant d'y croire », a dit Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l’assemblée de Corse.

Dont acte, le ministre de l’intérieur a annoncé être prêt à aller jusqu'à l'autonomie pour l'île. « La question est de savoir ce qu'est cette autonomie. Il faut en discuter », a dit Gérald Darmanin. Le sujet n'est pas nouveau, reportée une première fois à l'été 2018 en raison de l'affaire d’Alexandre Benalla, la réforme des institutions, qui devait entériner le statut particulier de la collectivité de Corse créée en 2015, avait de nouveau été présentée par le gouvernement un an plus tard sous une nouvelle mouture, mais sans jamais être examinée depuis.

Gérald Darmanin souhaite notamment s'inspirer de la Polynésie française, qui bénéficie d'une très large autonomie qui lui permet évidemment d'être totalement dans la république et d'avoir une spécificité particulière, notamment pour tout ce qui est économique et social, a-t-il dit à BFM Télévision, Mercredi 16 Mars 2022. Le statut de l'archipel, instauré par une loi organique en 2004, lui permet en effet de voter des lois du pays. Elle est compétente dans toutes les matières, à l'exception de celles expressément attribuées à l’état, selon le texte de loi.

Depuis l'agression à la prison d'Arles du militant indépendantiste Yvan Colonna, au début du mois de mars 2022, plusieurs villes corses ont été le théâtre de violentes manifestations. Son agression, requalifiée en tentative d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste, remet au centre des débats l'épineuse question du rapprochement des détenus corses.

Plus globalement, les nationalistes insulaires ont le sentiment, de longue date, de ne pas être entendus par l’état français, malgré une réelle légitimité démocratique. Dans un contexte très tendu, le gouvernement français a cherché une voie de sortie et il a envoyé un premier signe d'apaisement en levant le statut de DPS des trois prisonniers du commando Erignac, dont Yvan Colonna.

Mais cette décision n'a pas suffi à calmer les violentes contestations sur l'île. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a finalement annoncé qu'il se rendait sur place pour ouvrir un cycle sans précédent de discussions, qui pourrait aboutir à l'autonomie du territoire corse. Reste à savoir quels seront les contours et les modalités de cette autonomie.

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