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4 avril 2023 2 04 /04 /avril /2023 17:24

 

 

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/04/04/la-russie-au-miroir-de-macha/

 

La Russie au miroir de Macha Moskaliova

Par André Markowicz

Le monde entier a entendu parler de l’histoire de Macha Moskaliova qui, pour un dessin, a été enfermée dans un orphelinat, alors que son père était condamné à deux ans de prison. Cette histoire a été révélée en France, une fois encore, j’allais dire comme toujours, par Jean-Marc Adolphe.

Quand nous regardons la façon dont les choses se sont passées, nous voyons un concentré de ce qu’est la Russie, et pas seulement la Russie, il faut bien le dire, mais, nous dirons cela comme cela, de ce que sont beaucoup de russes.

Au mois d’avril 2022, pendant une leçon de dessin, une enfant, qui a douze ans en 2022, fait un dessin dans lequel il y a, d’un côté, l’Ukraine et le drapeau ukrainien, avec l’inscription Slava Ukraïni, dans lequel il y a, de l’autre côté, un drapeau russe, avec le slogan Non à la Guerre, dans lequel il y a, au milieu, une mère et sa petite fille, habillées aux couleurs de l’Ukraine, et dans lequel il y a deux fusées qui volent dans le ciel. L’enfant qui a fait ce dessin s’appelle Macha Moskaliova, elle habite une petite ville de province de la région de Toula, Efremov. Toula, ce n’est pas le bout du monde, c’est à deux cent kilomètres de Moscou.

L’enseignante de l’enfant, Nina Vorobiova, il faudrait garder ce nom en mémoire, voit ce dessin, nous sommes, faut-il le rappeler, en pleine guerre, immédiatement après la découverte de Boutcha, et elle se précipite chez la directrice, Larissa Trofimova, ce nom aussi doit rester. La directrice regarde le dessin et elle appelle immédiatement la police. C’est la première chose, deux enseignantes dénoncent leur propre élève à la police, parce qu’elle est mal éduquée. L’éducation qu’elle reçoit à la maison est mauvaise, parce qu’elle est contre la guerre et qu’elle écrit Gloire à l’Ukraine.

La police arrive et, par un concours de circonstances, Macha Moskaliova s’enfuit de l’école et court chez elle, où elle vit avec son père. La mère, c’est une chose importante dans l’histoire, a renoncé à ses droits parentaux depuis des années. La mère ne vit pas loin, mais avec une autre famille, et Macha Moskaliova a une sœur aînée, âgée de dix-sept ans. La mère n’a pas vu sa fille depuis le cours préparatoire ou le cours élémentaire, elle ne se souvient plus très bien. Le père et la fille vivent seuls. Le lendemain, Macha Moskaliova retourne à l’école conduite par son père et, dès que la directrice les voit, elle appelle la police une nouvelle fois. Cette fois, la police arrive avec les services de l’enfance et ils sont amenés au poste, ou ils sont interrogés, séparément et longuement. Le père est interrogé pendant plus de trois heures et l’essentiel de l’interrogatoire tient dans le fait que l’enfant a été mal éduquée.

Le père est condamné à payer une amende pour discrédit de l’armée. Le soulignement rouge de ce mot par la correction automatique de Facebook montre que ce mot n’existe pas, mais le fait est là. Le discrédit, pour les autorités, de l’armée tout entière et donc de tout le pays, est jeté par un dessin d’enfant. Tout l’appareil étatique de la Russie est, de l’aveu même de cet appareil tout entier, mis en danger par un dessin fait dans une classe d’une école de province et personne dans l’appareil de l’état, aucune des enseignantes en cause dans cette affaire, ne met en doute ce qui nous paraît comme une absurdité. Comment un dessin peut-il discréditer une armée ? N’est-ce pas plutôt l’armée elle-même qui se discrédite et le pays tout entier, en faisant ce qu’elle fait en Ukraine et en faisant venir la police dans une école pour un dessin. Que dire du rôle de la délation, qui est la réaction première des deux enseignantes.

Je parle des deux enseignantes parce que, dès ce jour-là, Macha Moskaliova n’a pas pu retourner à l’école. Elle a été victime de violences et de harcèlements, ce qui, visiblement, ne s’étaient jamais produits auparavant, de la part de ses camarades de classe et, si ces harcèlements se sont déclenchés, c’est évidemment parce que l’enseignante a désigné son élève comme traître, agent de l’étranger ou dieu sait quoi, et que les élèves, visiblement, ont suivi. Les violences ont été telles que Macha Moskaliova n’a pas pu tenir deux jours.

Son père l’a gardée chez lui, car sa fille le suppliait de ne pas l’envoyer à l’école. Il a été condamné à une amende de trente mille roubles, ce qui correspond à un mois de son salaire de misère. L’affaire ne s’est pas arrêtée là.

Au mois de décembre 2022, ils ont été perquisitionnés par une douzaine de policiers, d’hommes du FSB et de pompiers, qui avaient apporté une machine à scier les portes, parce que les étincelles pouvaient provoquer un incendie. Cette perquisition a été d’une grande violence, sous les yeux de l’enfant. Les policiers ont tout détruit. Ils ont ouvert les meubles, pour voir, sans doute, s’il n’y avait rien de caché de dedans, ils ont jeté les habits par terre, ils ont marché dessus avec leurs bottes, nous étions en plein hiver au mois de décembre 2022, ils ont cassé les tableaux, ils ont pris les lacets des chaussures et ils ont confisqué l’argent, cent vingt-cinq mille roubles et trois mille cent dollars d’économies. Ils ont demandé à Serge Moskaliov où il avait pris ses dollars et qui était son patron. Macha Moskaliova, en larmes, les suppliait d’arrêter, mais les policiers continuaient sans simplement la regarder. L’appartement s’est transformé en champ de ruines.

Une fois que tout a été cassé, Macha Moskaliova, sans avoir le temps de rien prendre avec elle, en l’espace de deux minutes, a été arrachée à son père et elle a été emmenée dans un orphelinat, alors que Serge Moskaliov était amené au poste, où il a été torturé, où il a été battu à coups de pieds et de poings et où sa tête a été cognée contre le mur. Il a été laissé inconscient dans une pièce avec, pendant plus de deux heures, une radio qui jouait l’hymne russe à pleine puissance. L’hymne russe peut devenir une torture en soi mais, ce qui est inouï, est le fait que cette torture soit imaginée. Il ne s’agit pas de la torture par le bruit, qui est connue et qui a été utilisée, en particulier, par les américains à Guantanamo et ailleurs. Il s’agit d’un acte symbolique. C’est le pays tout entier qui, à travers son hymne, est censé punir le mauvais père, lequel est mauvais parce qu’il a inculqué à sa fille l’idée que la guerre est une chose mauvaise. Je le note, parce qu’Ivan Dmitriev, avant la guerre, avait été accusé de pédophilie et qu’il est en train de purger une très longue peine de prison pour cela. Ce n’est pas du tout cela. La mauvaise éducation consiste dans le fait que le père et la fille discréditent l’armée.

Le père réussit à rentrer et à récupérer sa fille une première fois et ils décident de quitter la ville, d’aller chez une amie, dans une autre ville de la région. Ils sont arrêtés une deuxième fois. La police se présente à nouveau, elle emmène le père, elle laisse Macha Moskaliova seule et, le temps que Macha Moskaliova ait le temps de téléphoner, les services de l’enfance reviennent et l’emmènent.

Le père est assigné à résidence chez lui et il est jugé pour double discrédit de l’armée, parce qu’il a posté une phrase dans le réseau social russe Vkontakte. Il n’a pas le droit de sortir de chez lui, mais il n’a pas d’argent et il n’a pas le droit de faire les courses. Ce sont des amis qui l’aident, comme ils peuvent, mais il n’a rien du tout et sa fille est dans un orphelinat.

Les services de l’enfance veulent priver le père de ses droits parentaux, pour mauvaise éducation. Rappelons qu’il l’a élevée seule, depuis sa petite enfance, et que sa fille l’adore. Serge Moskaliov est jugé et le procureur demande deux ans de prison.

La veille du jugement, il s’enfuit et il est retrouvé, le 28 mars 2023, à Minsk, d’où il est extradé en Russie. Il risque donc une peine encore plus importante.

Sa fille lui avait écrit une lettre, de son orphelinat, dans lequel les conditions doivent être celles d’une prison, il y a beaucoup d’orphelinats dans toute la Russie, une lettre bouleversante, qui a fait le tour du monde, « je te demande vraiment de ne pas tomber malade et de ne pas t’inquiéter. Tout va bien pour moi. Je t’aime beaucoup et je sais que tu n’es responsable de rien, je serai toujours de ton côté. Tout ce que tu fais est juste.  Je crois que tout ira bien et que nous serons de nouveau ensemble. Tu es mon père, le plus intelligent, le plus beau et le meilleur père du monde. Il n’y a pas mieux que toi. Je sais que tu ne céderas pas, tu es fort et nous sommes forts. Je vais prier pour toi et pour nous. Je t’aime, tu es un héros, mon héros ».

Pourtant, depuis le premier mars 2023, personne d’extérieur aux services de l’enfance n’a eu le droit de voir Macha Moskaliova et, à bout de forces, elle a fini par écrire à sa mère, pour qu’elle vienne la prendre.

La mère a dit qu’elle la prendrait chez elle. Elle vit dans un village. Elle travaille, de temps en temps, comme gardienne mais, avec sa fille, il faudra qu’elle reste chez elle, parce que la ville est à vingt-cinq kilomètres, il y a un car un jour sur deux et elle ne peut pas trouver de travail permanent à la ville. Imaginez ce que signifie cette situation sur la situation réelle de la Russie, en dehors de la guerre en Ukraine. À deux cent kilomètres de Moscou, il y a un seul car un jour sur deux.

La mère dit d’autre part qu’elle ne se souvient pas quand elle a revu sa fille, mais qu’elle ne va pas se fourrer dans la politique et qu’elle ne comprend pas pourquoi le père a bourré la tête à sa fille avec toutes ces salades. Ces salades, le fait de considérer que l’Ukraine et la Russie doivent vivre en paix, elle va les lui enlever de sa cervelle, même si, bien sûr, elle ne lui interdira pas d’être en contact avec son père, c’est-à-dire de lui écrire, parce qu’il sera en prison.

Telle est la situation au moment où j’écris. Pour l’instant, Macha Moskaliova est toujours dans l’orphelinat et Serge Moskaliov va être déchu de ses droits parentaux.

L’image de la misère morale, les délations, la peur pour un dessin, la misère physique, la misère des provinces et la violence, cette affaire, qui discrédite évidemment le régime de Vladimir Poutine tout entier, est le résultat d’un engrenage lié au comportement de quelques fonctionnaires de province, mais pas seulement, et de loin. Elle est remontée jusqu’à Vladimir Poutine et Dmitri Peskov en a parlé, pour justifier ce qui s’est fait.

Cette affaire sert à faire peur à tous les parents qui voudraient dire à leurs enfants que c’est mal de bombarder des enfants. Elle existe parce qu’elle les oblige, comme au temps de Joseph Staline, à vivre dans un mensonge permanent et à trembler, parce que la délation peut venir de n’importe qui et que, pour l’extérieur comme pour l’intérieur, Vladimir Poutine n’a plus rien à faire de son image.

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