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5 juin 2023 1 05 /06 /juin /2023 19:51

 

 

https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/seine-saint-denis/chez-nous-en-afrique-tout-le-monde-connait-bara-le-foyer-historique-a-montreuil-fait-peau-neuve-et-rouvre-ses-portes-2786290.html

 

« Chez nous, en Afrique, tout le monde connaît Bara », le foyer historique à Montreuil fait peau neuve et rouvre ses portes.

Après un long combat politico-judiciaire, des années d'attente, des retards et des relogements, la reconstruction de l'ancien foyer Bara de Montreuil vient de s’achever. Ses habitants, des travailleurs étrangers, majoritairement maliens, connaissent enfin le bonheur d’être relogés dignement, eux qui y vivaient dans des conditions insalubres avant sa destruction en 2018. Bréhima Diarra, le porte-parole des résidents nous raconte l'histoire de ce petit bout d'Afrique.

Bréhima Diarra est un homme heureux. Depuis le 24 avril 2023, il est revenu au foyer Bara, sa maison, ses terres, qu’il affectionne par-dessus tout et dans un nouveau logement tout neuf. « Je suis deux fois heureux, heureux de rentrer à la maison et heureux d’être dans ce studio magnifique. C’est le grand luxe, j’ai l’impression d’être dans un hôtel cinq étoiles », dit-il en tapant dans ses mains et en affichant un très large sourire.

Bréhima Diarra est plombier. Le foyer de la Rue Bara, c’est sa maison depuis toujours. Il y est venu en 1997, rejoindre son oncle et son frère qui y vivent aussi, « chez nous, en Afrique, tout le monde connaît Bara. Nous le connaissons, avant de connaître la Tour Eiffel, à Bamako ».

Installé dans son studio, Bréhima Diarra croit rêver, « j’ai tout pour moi tout seul. J’ai ma chambre, ma cuisine et ma salle de bains. C’est magnifique et je vais pouvoir me reposer quand je rentre du travail, car avant, nous étions six, parfois huit dans une chambre ».

Mais avant d’obtenir cette nouvelle quiétude, Bréhima Diarra a connu l’insoutenable, voir l’inimaginable, des conditions insupportables de promiscuité dans des locaux dangereux, vétustes et plus qu’insalubres. En vingt-six ans, il a vu le foyer Bara se délabrer petit à petit, jusqu’à devenir invivable. Quand il est arrivé, c’était un paradis pour lui, « nous avions une vie magnifique faite d’échange et de partage, comme dans nos villages là-bas. Nous pouvions tout faire sur place, tout était moins cher et toutes les familles se connaissaient ».

Depuis sa création, le lieu était devenu une terre d’accueil et un refuge réconfortant où il était possible de louer un lit à moindres frais, quitte à dormir à plus à huit dans une pièce.

« Bara, c’était le symbole de ces générations de travailleurs maliens qui s’y sont succédé pendant cinquante ans et certains sont encore là », dit Mamadou Diarra, directeur territorial de la Seine-Saint-Denis chez Coallia.

« C’était déjà très détérioré quand je suis arrivé en 1997. Je dormais beaucoup dehors pendant l’été, dans la cour, pour avoir plus d’espace », se souvient Bréhima Diarra. Que s’est-il passé, pour que la situation se dégrade à ce point ?

C’est au mois de mars 1968, au numéro 18 de la Rue Bara, dans l’ancienne manufacture des pianos Klein, que se sont installés ces travailleurs migrants, majoritairement des maliens. Dès 1969, les capacités d’accueil du foyer sont doublées avec l'installation de lits superposés. Dans les étages, deux cent quarante résidents occupent officiellement les dortoirs, en réalité, plus du double voire le triple.

Les arrivées se poursuivent de plus en plus. À la fin des années 1980, l'occupation réelle atteignait le millier de résidents. Les conditions de logement ne pouvaient que très rapidement se dégrader mais, parallèlement, une vie propre au foyer commence à s’organiser.

Les commerces se développent. Des couturiers, des coiffeurs, un café et des femmes étrangères au foyer viennent cuisiner. Mafé, tiep ou yassa étaient servis, à des petits prix, aux résidents, mais aussi aux visiteurs extérieurs, membres de la diaspora malienne, sénégalaise, d’Afrique Noire, ou travailleurs du quartier. Par jour, des centaines de repas sont servies. Sur place, on pouvait presque tout trouver, grâce à la diversité des vendeurs du maïs grillé, des bijoux en argent ou des cigarettes. Une salle de prière est aménagée dans une salle du sous-sol. C’était une ville dans la ville, où les communautés venues d’Afrique retrouvaient beaucoup de solidarité.

À partir des années 1990, la suroccupation devient dangereuse. Faute d'entretien et de rénovation, due au retrait progressif des aides publiques, le foyer se détériore de plus en plus. Des conditions indignes d’hébergement sont dénoncées par les résidents. Bréhima Diarra alerte et se mobilise, rejoint par des riverains ulcérés de voir dans quelles conditions vivent les résidents. « Il y avait des cafards partout. Je les mettais dans des sacs en plastique », dit Bréhima Diarra.

À Bara, l’humidité dans les chambres et l’omniprésence des cafards, des puces de lit et des rats, était devenue banale. À cela s’ajoutaient les bassines et les seaux qu’il fallait vider, à chaque fois qu’il pleuvait à cause des nombreuses fuites du toit. Il y avait aussi le risque d’incendie en raison des installations électriques devenues dangereuses. Les escaliers et les issues de secours étaient encombrés de sacs des résidents. Il y avait urgence à agir.

Le foyer Bara menaçait de s'effondrer à tout moment à cause de l'état insalubre et les nombreuses fuites partout dans l'immeuble.

Les résidents s'organisent, ils protestent et ils se font entendre. Bréhima Diarra sera leur porte-parole. Les plus âgés sont les plus vulnérables. À Bara, les résidents sont âgés de dix-huit à quatre-vingt ans. Brahima Diarra et les résidents sont soutenus par les riverains. Le collectif n’est plus actif, mais le maire de Montreuil a reçu énormément de lettres des habitants. « Depuis que nous avons annoncé la construction au même endroit du foyer Bara, nous n’avons eu que des remerciements de la part de nos riverains. Montreuil est une ville de partage, multiculturelle et ouverte sur les autres et c’est cet amour que j’ai pour eux qui m’anime », dit le maire du Parti Communiste Français (PCF) de Montreuil, Philippe Bessac, « ces indispensables de notre société, ceux qui se lèvent tôt, alors que la capitale et toutes les villes sont encore endormies, subissent leur sort et leurs conditions atroces d’hébergement dans le silence et la dignité ».

La municipalité de Montreuil ne baisse pas les bras et elle décide de dénoncer ces conditions inhumaines. Pour alerter l’opinion, le maire Philippe Bessac vient dormir au foyer Bara. Bréhima Diarra s’en souvient, « j’avais peur pour lui, tellement c’était devenu dangereux de dormir dans ce lieu. J’ai dit aux frères que je passais la nuit près de lui pour qu’il ne se fasse pas attaquer par un rat ou qu’il se sente mal, car nous aurions des problèmes. Je me souviens que c’était la période du maïs, alors nous avons partagé ensemble ce repas très emblématique chez nous et nous avons bu beaucoup de thé aussi ».

Philippe Bessac s’en souvient très bien, « nous étions dans la salle commune et cela a été une expérience déterminante parce que cela nous a permis, un instant uniquement, mais un instant quand même, de vie commune. Cela a été aussi ressenti par les résidents comme le symbole que j’étais bien leur maire ».

À la suite de cette nuitée, le maire relaye et dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles vivent ces indispensables, comme ils aiment les appeler, car, sans eux, rien ne serait prêt pour accueillir toute la société dans des conditions dignes et propres, que ce soit au travail, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les rues, dans les centres commerciaux et dans les grands magasins.

« J’ai vu des matières fécales suinter d’un étage à l’autre, des rats et des moisissures », dira l’élu après cette nuit, « la situation à Bara fait penser aux pratiques des pires marchands de sommeil ». Sauf que, cette fois, c'est l’état qui est responsable. Le lendemain de sa visite, le maire prend un arrêté municipal d’extrême urgence pour risque grave de sécurité et il le met en ligne sur son compte Twitter.

Le 26 septembre 2018, le maire prend ses responsabilités et il réquisitionne les anciens bureaux de l'Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA), un bâtiment vide, propriété de l’état, pour mettre à l'abri plus de deux cent résidents du foyer Bara.

Les deux mois suivants, une bataille judiciaire s’engage et, le 29 novembre 2018, la justice donne raison au maire sur l'inhabitabilité du foyer Bara et la nécessité d'une installation temporaire dans les anciens bureaux de l'AFPA. Le foyer Bara est fermé et c’est le début de sa démolition.

Au total, cinq cent vingt-six travailleurs migrants de l'ancien foyer Bara vont être relogés sur cinq autres sites.

En 2015 et en 2016, la municipalité de Montreuil a inauguré deux résidences sociales permettant de reloger une partie des résidents du foyer Bara. La résidence de la Rue Hayeps, dans laquelle il y a quarante-deux places, et la résidence de la Rue Voltaire, dans laquelle il y a cent quinze places. Au mois d’octobre 2020, c’est l’ouverture de la troisième résidence de la Rue Étienne Marcel, dans laquelle il y a cent vingt places.

Le 11 octobre 2021, avec la pose de la première pierre, commence la reconstruction du foyer qui compte cent soixante logements neufs. Le nouveau foyer vient tout juste d'être inauguré, Samedi 3 Juin 2023.

Ce sont des studios d’une superficie de seize à vingt-sept mètres carrés, tous équipés d’une kitchenette et d’une salle d’eau. En rez-de-chaussée, il y a un local commercial de quarante mètres carrés qui donne sur la Rue Robespierre avec des bureaux, les locaux du gestionnaire, une laverie, une lingerie, un local à vélos et une salle polyvalente dédiée aux résidents, où ils peuvent se réunir et partager des moments festifs, le tout aux certifications environnementales avec une chaufferie collective gaz, sans oublier des panneaux solaires en toiture.

« Nous avons suivi tous les travaux. Nous venions tous les soirs se retrouver devant la rue et nous discutions », se souvient Bréhima Diarra. Le standing différent inquiète un peu le quinquagénaire qui se demande si le prix du loyer ne va pas augmenter au fil du temps.

« Tout est neuf et sécurisé. Sans badge, personne ne peut rentrer et certains se demandent si tout ce nouveau confort ne va pas faire augmenter les prix », dit Bréhima Diarra. Actuellement, les loyers varient entre quatre cent cinquante et cinq cent quarante-cinq euros sans les aides. « Les prix des loyers seront forcément plus chers que les prix de l’ancien foyer Bara, mais tous les prix sont annexés sur les revenus », dit Mamadou Diarra chez Coallia.

Depuis son installation, Bréhima Diarra sait qu’il a des mécontents et cela le chagrine. Parmi le millier de mal-logés, tous n’ont pas pu retourner à Bara ou dans les autres résidences. Beaucoup étaient sans-papiers. Que sont-ils devenus et dans quelles conditions vivent-ils ? Le collectif des riverains de la Rue Bara et de la Rue Stalingrad s'est déplacé.

Ils seraient trois cent, sans-papiers pour la majorité d’entre eux, qui, après avoir été évacués des anciens locaux de l'AFPA à Montreuil au mois d’octobre 2019, attendent leur sort.

La mobilisation continue pour eux, comme le montrent des affiches collées sur des abribus ces derniers jours, rappelant la situation des anciens occupants qui squattent un hangar au 138 Rue de Stalingrad à Montreuil, un entrepôt appartenant à l’établissement public foncier d'Ile-de-France.

« Nous faisons ce que nous pouvons. Par rapport à notre protocole initial, cent soixante résidents supplémentaires ont pu être relogés, mais c’est vrai que tout le monde n’a pas été relogé. Cela renvoie à la question de la responsabilité et de l’histoire nationale, car dans notre région parisienne, il y a des dizaines de milliers de mal-logés au minimum si je m’arrête à l’échelle des foyers. Il faudrait pouvoir accueillir les résidents comme nous l’avons fait dans les années 1960, quand des vagues migratoires se sont installées, en leur proposant des logements dignes pour l’époque, sinon nous allons avoir de plus en plus de bidonvilles à l’entrée des villes qui encerclent Paris », dit le maire de Montreuil.

Pour l’heure, ces oubliés de la Rue Stalingrad sont accompagnés par la municipalité, qui a apporté des lits superposés et qui a installé des douches et des sanitaires, mais d’autres vont venir les rejoindre. « À Orly, dès que tu atterris, que tu montes dans un taxi et que tu dis Bara, le chauffeur met Montreuil dans le GPS », dit Bréhima Diarra, « peut-être, iront-ils Rue Stalingrad. C’est impossible pour ces mal-logés de quitter Montreuil, car ce serait quitter la communauté. Est-ce la constitution d’un nouveau Bara-Stalingrad ? Dans le nouveau foyer, la vie a repris. Certains résidents ont ouvert des restaurants à côté de Bara. Les plats à emporter sont toujours là, mais au lieu de deux euros, ils sont à trois euros, ce qui n’est toujours pas cher pour un vrai plat. D’autres ont ouvert des magasins de vente de bijoux ou un salon de coiffure. La mosquée est aussi à quelques mètres, dans la même rue. Le nouveau Bara est sorti de terre et ses occupants sont intégrés à la vie du quartier ».

Enfin, d’autres anciens résidents sont rentrés chez eux. Bréhima Diarra a souvent de leurs nouvelles, « certains sont retournés au pays et ils espèrent pouvoir bénéficier d’une place à Bara. Parce que je le répète Bara, c’était un village africain. Personne ne connaît Montreuil en Afrique, mais dès que nous associons la ville au foyer, tout le pays veut venir à Montreuil, sauf que c’est différent et que c’est difficile d’expliquer cela, sans passer pour un privilégié. Je me sens gêné par rapport à ceux qui sont partis ». Bréhima Diarra aura attendu trente ans pour bénéficier d'intimité, un chez-lui où il fait bon de rentrer s’y reposer. « Maintenant, c’est trop calme, quand nous rentrons du travail. D’un côté, c’est bien d’avoir son intimité, surtout si nous voulons inviter une amie, c’est même très bien. Avant, nous ne pouvions pas. Mais, c’est plus comme avant et cela ne sera jamais plus pareil. Maintenant à Bara, tu fermes ta porte et tu es tout seul », dit Bréhima Diarra, avec une voix empreinte de nostalgie et d’inquiétude à la fois.

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