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20 août 2023 7 20 /08 /août /2023 17:15

 

 

https://jacobin.com/2023/08/azat-miftakhov-russian-left-persecution-putin-repression-ukraine-war-political-prisoners

 

La persécution d'Azat Miftakhov vise à réduire au silence la gauche russe

Par Kirill Medvedev

Mercredi 2 Août 2023

L'anarchiste russe Azat Miftakhov passe sa cinquième année en prison pour hooliganisme et il risque maintenant d'être accusé de terrorisme. Sa persécution s'inscrit dans le cadre de la campagne de l’état russe pour intimider la gauche et pour réduire au silence l'opposition à la guerre.

Le 12 juillet 2023, nous apprenions que le prisonnier politique russe Azat Miftakhov, mathématicien et anarchiste, avait été transféré dans une cellule d'isolement punitif. La raison est son refus de rédiger une note explicative sur l'écart entre le contenu de ses effets personnels et l'inventaire fourni. Au mois de juin 2023, sa prétendue infraction avait été de garder du déodorant sur sa table de nuit. Dans la cellule d'isolement, il était obligé de s'asseoir sur un banc sans dossier toute la journée, jusqu'à l'heure du coucher. Cela lui a causé une douleur considérable, mais il a ensuite été condamné à un mois d'isolement pour avoir enfreint la règle interdisant de s'allonger pendant la journée. Kirill Medvedev nous explique pourquoi Azat Miftakhov est maintenu en prison pour une cinquième année et comment cela est lié à la guerre et à la dictature de Vladimir Poutine.

Il semble qu'une nouvelle affaire soit en train d'être montée contre la jeunesse de gauche en Russie, l'affaire de la soi-disant cellule moscovite de l'organisation Network. Pendant cinq ans, l'affaire contre les supposées cellules de l’organisation Network à Penza et à Saint-Pétersbourg a été l'affaire la plus médiatisée utilisée pour intimider les antifascistes en Russie. Elle s'inscrit dans le cadre d'une campagne d'intimidation de la société russe contre la guerre.

Malgré l’accusation, il n'y a pas de jeunes militants de gauche dans cette cellule et cette cellule n'existe d'ailleurs pas du tout. Les rapports officiels ne mentionnent que le nom d'Azat Miftakhov.

Azat Miftakhov est un mathématicien et anarchiste russe d'origine tatare âgé de trente ans. Il est diplômé de la faculté de mécanique et de mathématiques de l'université d’état de Moscou. Il s'est engagé dans la science, il a pris part à des actions politiques et il a participé à des campagnes anarchistes contre les employeurs sans scrupules et les entreprises qui chassent les locataires de leurs appartements et de leurs dortoirs. Lauréat de l’olympiade russe de mathématiques, il était sur le point de soutenir sa thèse de doctorat au moment de son arrestation.

Dans la nuit du 30 janvier 2018, des inconnus ont brisé une fenêtre du siège du district de Moscou du parti Russie Unie, en jetant une bombe fumigène à l'intérieur. Il n'y avait personne dans le siège et, par conséquent, personne n'a été blessé. Il s'agissait d'une action de protestation contre la simulation de l'élection présidentielle. Les anarchistes ont assumé la responsabilité de l'action.

Azat Miftakhov sera traduit devant les tribunaux un an plus tard. En dehors de cette affaire, douze personnes ont été arrêtées le premier février 2018, le FSB les reliant au mouvement anarchiste Autodéfense du Peuple. Azat Miftakhov en faisait partie. Le premier février 2018, tous, sauf lui, ont été relâchés. Refusant de témoigner contre lui-même et les autres, les forces de sécurité ont rouvert l'ancienne affaire et elles lui ont imputé le bris de verre du siège de Russie Unie. Sur la base de témoignages anonymes fabriqués de toutes pièces, Azat Miftakhov a été condamné à six ans de prison. La peine a été réduite en raison des deux années passées dans le centre de détention, une année passée à l'intérieur compte pour dix-huit mois de prison.

Nous soupçonnons fortement les forces de sécurité de ne pas vouloir libérer Azat Miftakhov à l'issue de sa peine. Le FSB tente apparemment de prouver qu’Azat Miftakhov appartient à la cellule moscovite de la communauté terroriste Network. En 2020, sur la base d'aveux obtenus par des officiers à force de coups et d'utilisation de tasers, un tribunal a condamné dix antifascistes de Penza et de Saint-Pétersbourg à des peines allant de trois ans à dix-huit ans de prison. Les siloviki, ou services spéciaux, estiment que le réseau préparait des attaques terroristes avant l'élection présidentielle russe et la coupe du monde de football 2018, afin de déstabiliser le pays et de prendre le pouvoir par les armes.

Les forces de l'ordre ont récemment décidé d'ajouter un nouveau chapitre à l'affaire de la soi-disant organisation terroriste, l'affaire montée de toutes pièces de la cellule de Moscou. Le risque est grand que sa figure de proue soit présentée comme étant Azat Miftakhov. Cela peut être dû aux vieux comptes à régler avec lui, qui n'a pas conclu d'accord avec les enquêteurs, mais peut-être est-il tout simplement plus facile d'accuser un criminel déjà connu que d'en chercher un nouveau.

Le témoignage contre Azat Miftakhov qui pourrait constituer la base d'une nouvelle affaire a été donné par Igor Shishkin, l'un des accusés dans l'affaire Network. Après sa libération et l'obtention de l'asile politique en France, Igor Shishkin a raconté comment le FSB l'avait forcé à témoigner contre ses camarades en recourant à de terribles tortures. En outre, selon l'agence de presse officielle TASS, certaines des personnes condamnées dans l'affaire Network ont désigné Azat Miftakhov comme l'un des membres de la cellule moscovite. Si Azat Miftakhov est condamné, il risque encore de nombreuses années de prison.

La campagne de défense d'Azat Miftakhov a été soutenue dès le départ par le groupe d'initiative de l'université d’état de Moscou, dont fait partie l'activiste socialiste et politicien Mikhaïl Lobanov, le magazine étudiant DOXA et des mathématiciens russes.

Au mois de décembre 2020, des mathématiciens des États-Unis, du Canada et d'Europe, ont soutenu Azat Miftakhov, exhortant leurs collègues à ne pas participer au congrès international des mathématiciens à Saint-Pétersbourg.

La persécution et la condamnation d’Azat Miftakhov ont été condamnées par Human Rights Watch (HRW), la London Mathematical Society et l'Union Mathématique Internationale. Parmi les intellectuels et les hommes politiques qui se sont élevés contre la persécution d’Azat Miftakhov ces dernières années, il y a Slavoj Zizek, Noam Chomsky, Jean-Luc Mélenchon, le regretté David Graeber et bien d'autres.

Il existe un groupe de soutien Free Azat Miftakhov en Russie. Sa branche internationale Solidarité Free Azat Miftakhov recueille actuellement des signatures en sa faveur.

L’affaire d’Azat Miftakhov est l'un des nombreux montages juridiques actuels contre la jeunesse d'opposition, de gauche et antifasciste dans la Fédération de Russie.

De jeunes antifascistes de la ville de Tioumen ont été torturés pour obtenir leur témoignage. Ils ont été battus, étranglés avec un sac, électrocutés et menacés de viol avec une serpillière. Ils ont été accusés d'avoir créé une association terroriste, d'avoir préparé un acte terroriste et d'avoir eu l'intention de faire exploser des postes militaires et de police et de saboter les voies ferrées qui acheminent des trains de matériel militaire russe vers l'Ukraine. Ils risquent de quinze à trente ans de prison ou la réclusion à perpétuité.

Des adolescents de la ville de Kansk ont été arrêtés en 2020 pour avoir affiché des tracts en faveur d’Azat Miftakhov. Ils ont été accusés de préparer des attaques terroristes. Nikita Uvarov, âgé de seize ans, a été condamné à cinq ans de colonie éducative.

Deux anarchistes de Tcheliabinsk ont été condamnés à un an et neuf mois de colonie pénitentiaire pour avoir accroché à la clôture du bâtiment du FSB une banderole portant l'inscription que le FSB est le principal terroriste.

La répression pour cause de terrorisme supposé frappe non seulement les jeunes anarchistes et antifascistes, mais aussi les communistes. Dmitry Chuvilin, député du parlement du Bashkortostan et ancien militant du parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), a été accusé avec ses camarades d'organisation terroriste simplement pour avoir participé à un groupe de lecture marxiste. En fait, les forces de l'ordre locales réagissaient à leur participation active à des manifestations écologiques, contre les promoteurs immobiliers et à d'autres manifestations locales.

Kirill Ukraintsev, un leader du syndicat des livreurs Courier, a passé un an en prison. L'un des chefs d'accusation était la publication sur les réseaux sociaux d'un appel à assister au procès d’Azat Miftakhov. Cette action a été qualifiée d’organisation d'un rassemblement en dehors du tribunal.

Les rédacteurs du magazine étudiant DOXA, qui est devenu le principal porte-parole des protestations des étudiants radicaux, ont passé un an en résidence surveillée et ils ont été reconnus coupables et condamnés au travail obligatoire pour avoir appelé des mineurs à participer à des rassemblements. Au mois d’avril 2023, Darya Trepova, une militante féministe âgée de vingt-six ans, a été arrêtée pour son implication présumée dans le meurtre du propagandiste d'extrême droite Vladlen Tatarsky. Dans ce contexte, une nouvelle campagne contre les militantes féministes a été lancée. Une loi assimilant le féminisme à une idéologie extrémiste a été sérieusement discutée au parlement fédéral.

Le 25 juillet 2023, Boris Kagarlitsky, sociologue et théoricien marxiste de renommée mondiale, a été arrêté à Moscou. Il est accusé de justifier le terrorisme pour ses déclarations contre l'agression de Vladimir Poutine en Ukraine et il risque jusqu'à sept ans de prison.

Depuis l'invasion de l'Ukraine, le rôle des combattants non étatiques en Russie s'est accru, à la fois dans les opérations militaires et dans le renforcement de la terreur à l'intérieur du pays. L'extrémisme fictif, dont la société civile est accusée, a été remplacé par l'extrémisme réel d'hommes masqués, parmi lesquels il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre les agents de sécurité de l’état et les paramilitaires.

La récente prévention du simulacre de coup d’état d’Eugène Prigojine et le démantèlement partiel de sa Société Militaire Privée (SMP) connue pour ses exécutions brutales de déserteurs ne signifient pas que les structures de pouvoir dominantes reviennent dans le cadre de la loi et de la transparence. Au contraire, elles sont encore plus susceptibles de prendre des mesures démontrant leur propre extrémisme, qui devient de plus en plus légitime.

La concurrence entre les groupes d'extrême droite, liés d'une manière ou d'une autre au gouvernement et au FSB, s'accroît également. Certains comptent encore sur l'apathie de la population, tandis que d'autres espèrent une mobilisation politisée de type fasciste, seul moyen, selon eux, d'assurer la victoire de la Russie dans la guerre.

Plus cette compétition sera féroce, plus la demande d'un programme populaire démocratique contre la guerre, y compris de gauche, sera forte. Les militants de gauche, les antifascistes, les féministes, les militants de groupes socialistes et les sympathisants du KPRF constituent en grande partie les cadres actuels de la protestation de la société civile et ils forment un grand nombre de liens visibles et invisibles. En même temps, ils n'ont pas la visibilité caractéristique de nombreux politiciens libéraux. « La demande massive d'une alternative démocratique de gauche dans la société se combine avec la prédominance des militants de droite parmi les orateurs de l'opposition », a commenté Mikhaïl Lobanov dans une interview.

Mikhail Lobanov, politicien socialiste démocratique et professeur à l’université d’état de Moscou, a de nouveau vu son domicile perquisitionné par les forces de l'ordre le 18 mai 2023 dans le cadre d'une autre affaire montée de toutes pièces. Après de nouvelles menaces et la privation de facto de son droit d'enseigner en Russie, Mikhail Lobanov est parti au mois de juillet 2023 pour ce qu'il appelle un voyage d'affaires à long terme à l'étranger. Il considère que son objectif est de participer à la formation d'une force politique de masse axée sur la participation directe à la transformation du régime russe et sur le soutien aux mouvements sociaux à l'intérieur du pays. Pour lui, cela signifie également travailler avec des forces politiques progressistes dans d'autres pays pour former un ensemble de propositions et de garanties pour les personnes ordinaires en Russie et en Ukraine.

Malheureusement, l'opinion publique mondiale continue de s'appuyer sur le stéréotype selon lequel seule l'opposition libérale en Russie lutte contre Vladimir Poutine. Cette perception est souvent partagée par les propres opposants et sympathisants de Vladimir Poutine au niveau international, y compris les militants de gauche qui croient que Vladimir Poutine construit un monde multipolaire et qu’il est donc une sorte d'allié tactique de la gauche. La multipolarité de Vladimir Poutine signifie, entre autres, le droit de déclarer l'homophobie au nom des soi-disant valeurs russes traditionnelles. Imposer ces valeurs d'en haut est l'un des outils d'un contrôle répressif brutal.

Elena Gorban, l'épouse d’Azat Miftakhov, a récemment révélé que ce dernier s'était vu attribuer un statut inférieur dans la hiérarchie informelle des prisonniers en raison de sa bisexualité, après que le FSB eut distribué à d'autres détenus d'anciennes photographies de lui datant d'avant son incarcération. Elena Gorban pense que, par cette action, les responsables du FSB ont voulu faire pression contre Azat Miftakhov.

Azat Miftakhov est déjà connu comme un prisonnier politique et un mathématicien soutenu par de nombreuses personnes dans le monde entier, nous avons donc une réelle chance d'obtenir sa libération. C'est pourquoi nous devons nous concentrer sur son cas, car en défendant Azat Miftakhov, nous défendons également d'autres camarades moins connus. Mais le soutien aux militants susmentionnés n'a pas seulement une signification humanitaire ou de droits humains. Comme le disait Vladimir Lénine il y a un siècle, la Russie est maintenant le maillon faible du capitalisme mondial. Les militants de gauche en Russie se battent et risquent leur vie pour un projet qui remet en question non seulement les autorités actuelles en Russie, mais aussi l'ensemble de l'ordre néolibéral. Plus ils recevront de soutien et de publicité, plus il est probable que leur projet de réorganisation de la Russie sera en tête de l'ordre du jour après l'effondrement de l'administration actuelle.

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