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11 avril 2024 4 11 /04 /avril /2024 11:57

 

 

https://www.cahiersdusocialisme.org/sil-est-minuit-dans-le-siecle/

 

S’il est minuit dans le siècle

Par Carole Yerochewski

Mardi 9 Avril 2024

Malgré les nombreuses protestations dans le monde entier et dans leur propre pays, émanant de divers groupes, y compris d’organisations juives, plusieurs gouvernements occidentaux continuent de soutenir le gouvernement israélien. Pourtant, ils ont, et les États-Unis en particulier, les moyens de faire pression afin de faire cesser immédiatement le génocide en cours du peuple palestinien. Ce génocide accompagne les volontés de recolonisation de Gaza par l’extrême droite israélienne qui a pris le prétexte des représailles des crimes inhumains du Hamas du Samedi 7 Octobre 2023 pour la mettre en œuvre à grande échelle.

Ce constat sur l’attitude de puissances occidentales en dit long sur l’époque que nous vivons, alors que les classes dirigeantes gagnées par le néolibéralisme ont perdu le sens de l’intérêt collectif et qu’elles préfèrent continuer leurs calculs stratégiques en défense de leurs intérêts à court terme. Qui peut ignorer que la haine et la violence alimentent le désespoir, la haine et la violence ? D’une certaine façon, Israël en est l’illustration, avec sa population prise en tenaille par un gouvernement sioniste d’extrême droite, qui instrumentalise la Shoah et qui prétend parler au nom des juifs du monde entier.

Les élites néolibérales, y compris lorsqu’elles flirtent avec l’extrême droite et lorsqu’elles mettent en œuvre des politiques autoritaires, n’ignorent pas qu’une part de consentement de certaines couches de la société est nécessaire pour gouverner. Comme disait Charles Maurice de Talleyrand à Napoléon Bonaparte, « nous pouvons tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus ». Les refus de certains pays, dont le Canada et le Québec, de voter une résolution appelant au cessez-le-feu à l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) est un non-sens criminel, mais le soutien inconditionnel à Israël est sans doute une façon d’alléger la culpabilité de l’Europe et des États-Unis. Dès 1942, Franklin Roosevelt, Winston Churchill et d’autres, savaient ce qui se passait dans les camps d’extermination, mais ils n’ont rien fait pour arrêter la Shoah. Depuis, les gouvernements laissent le sionisme développer son récit de l’histoire sur le thème selon lequel seul Israël peut assurer la sécurité des juifs, ce qui ressemble à une gigantesque tartufferie, quand nous voyons la montée de l’antisémitisme un peu partout dans le monde depuis le début des représailles génocidaires.

Les classes dirigeantes n’ont jamais eu une vision du bien commun quand les populations du sud global sont en jeu. Plus de cinq cents ans d’histoire faite de génocide des autochtones, de traite des noirs africains, d’esclavage, de colonialisme, de racisme et d’antisémitisme, nous ont démontré le contraire.

Quand nous faisons la comparaison entre, d’une part, les réponses occidentales à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et, d’autre part, les réponses occidentales à la destruction en cours de Gaza et de ses habitants par Israël, nous constatons qu’il n’y a aucun soutien gouvernemental digne de ce nom aux palestiniens. Pire, plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, les États-Unis, l’Italie et la Grande-Bretagne, ont immédiatement coupé le financement de l’United Nations Relief and Works Agency (UNRWA), sur les seules allégations d’Israël au sujet d’une participation d’employés de cet organisme aux attaques du Hamas du Samedi 7 Octobre 2023. Pourtant, dans d’autres situations dans lesquelles des employés d’agences de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou des casques bleus étaient accusés de viols et d’autres atrocités lors d’interventions, les sanctions n’ont pas été dirigées contre les agences de l’ONU, au nom de l’argument selon lequel il ne fallait pas confondre leur raison d’être avec le personnel employé ou mobilisé. En outre, ces allégations sont intervenues juste après qu’ait été confirmé, le 26 janvier 2024, le risque de génocide des palestiniens par la Cour Internationale de Justice (CIJ), qui avait été saisie par des avocats de l’Afrique du Sud, ce pays où la population noire a mis fin à l’apartheid. L’arrêt du financement de l’UNRWA va transformer le risque de génocide des palestiniens en réalité.

L’UNRWA joue en effet un rôle essentiel dans la survie des palestiniens de Gaza qui, en plus des bombardements, subissent la soif, la famine et les épidémies en raison du blocus en eau, nourriture, électricité et essence imposé par Israël, qui contrôle tout à Gaza. C’est son gouvernement, son administration, ses services secrets et son armée, qui décident de tout ce qui se passe à Gaza et même de qui peut travailler pour l’UNRWA ou bénéficier d’une autorisation pour rejoindre sa famille en France ou au Canada.

Pour les gouvernements occidentaux qui ont choisi de refuser de réclamer un cessez-le-feu immédiat, toutes les vies n’ont pas la même valeur. C’est ce que nous retenons au-delà des calculs stratégiques de Joseph Biden et de ses conseillers qui ne veulent pas donner l’impression qu’ils ne soutiennent plus Israël, ce qui risque par ailleurs de saper les chances d’élection du candidat du Parti Démocrate contre Donald Trump. Les États-Unis ont, il est vrai, durci leur discours, puis ils ont annoncé des sanctions contre les colons israéliens qui, profitant du chaos régnant, sévissent brutalement et souvent mortellement en Cisjordanie. Selon cette stratégie des petits pas diplomatiques, qui demande du temps, les palestiniens sont des dommages collatéraux. C’est inadmissible, même si Joseph Biden et son administration prennent soin de ne pas confondre la population israélienne et le gouvernement israélien et s’ils préfèrent attendre que Benjamin Netanyahou soit obligé de partir pour mettre en œuvre un cessez-le-feu et la solution à deux États prévue par l’ONU depuis 1947 et prémisse des accords d’Oslo en 1993. Si tant est que cette solution soit encore viable, alors que c’est Benjamin Netanyahou lui-même et sa clique d’extrême droite qui ont aidé le développement du Hamas, dont nous ne pouvons pas ignorer les méthodes de gestion à Gaza, parce qu’ils misaient sur le fait que le Hamas, qui était comme eux opposé à ces accords, les fasse échouer. Ces accords représentaient pourtant d’importants reculs par rapport aux aspirations des palestiniens à reconquérir leur territoire de 1967. Ils résultaient notamment du soutien inconditionnel des États-Unis et d’autres puissances occidentales à Israël, du manque de vision politique de Yasser Arafat, leader de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), majoritaire à l’époque parmi les palestiniens, et de l’absence d’un réel appui des gouvernements des pays arabes. Malgré de grandes déclarations, les gouvernements des pays arabes ont plus souvent laissé les palestiniens à leur sort, quand ils ne les ont pas réprimés, préférant normaliser leurs relations avec Israël et avec l’occident.

Combien de temps encore avant que les israéliens ne mettent Benjamin Netanyahou à la porte ? La majorité des israéliens enrage contre leur premier ministre depuis leur mobilisation massive contre un projet de réforme judiciaire antidémocratique, bien avant le Samedi 7 Octobre 2023, mais critiquer les politiques n’était plus dans les priorités depuis le Samedi 7 Octobre 2023, sauf pour ceux qui risquent leur propre vie pour documenter et pour défendre les palestiniens de Cisjordanie contre les crimes des colons israéliens.

En partie sous l’emprise de Benjamin Netanyahou qui gouverne par la peur, la population israélienne est surtout focalisée sur les otages encore détenus par le Hamas et ses satellites et sur les crimes commis le Samedi 7 Octobre 2023, que certains vont jusqu’à qualifier de nouvelle Shoah, pratiquant aussi du coup une autre forme de révisionnisme, comme l’écrit Laurel Leff dans Haaretz, le seul journal israélien qui maintient une volonté critique d’information, mais, dans leur majorité, les israéliens semblent indifférents au sort des palestiniens.

Quelques centaines ont manifesté le 18 janvier 2024 à Tel-Aviv pour réclamer un cessez-le-feu, expliquant notamment que « la guerre est mauvaise pour les israéliens et pour les palestiniens, mais elle est bonne pour le Hamas et pour Benjamin Netanyahou ». Nous sommes loin cependant des dizaines de milliers de manifestants qui défilaient au cours d’époques précédentes pour la paix avec les palestiniens. Selon un manifestant, le 18 janvier 2024, la majorité des israéliens ne veulent pas comprendre ce qui se passe à Gaza, ou bien ils préfèrent détourner les yeux. Cela changera-t-il avec la reprise, au début du mois de février 2024, des manifestations contre le gouvernement de Benjamin Netanyahou, dont les prises de position reposent sur les mêmes soubassements racistes, xénophobes et colonialistes, que les discours et les lois contre les migrants portés par une partie de l’extrême droite européenne ?

Un message qui circulait sur Facebook en ce début d’année 2024 écrivait que « ce qui est mort à Gaza, c’est l’idée que l’occident incarnait l’humanité et la démocratie ». Historiquement parlant, cette idée est morte avant, en 1942, et encore avant, pendant les siècles de domination coloniale qui ont précédé. La différence, maintenant, est que le génocide se déroule en direct, documenté par des journalistes palestiniens qui perdent la vie, les uns après les autres, dans ce combat destiné à informer et à restituer un nom, une voix et une histoire, à ces dizaines de milliers d’êtres humains, femmes et enfants en premier lieu, qui sont morts ou mutilés.

La différence tient aussi dans le fait que les peuples du sud et du nord sont plus sensibles aux enjeux. Les aspirations à l’égalité et à la démocratie se sont élargies pour intégrer une vision intersectionnelle des dominations et une conscience des rapports de pouvoir entre le nord et le sud, en témoigne l’ampleur des manifestations pour le cessez-le-feu, notamment dans ces pays occidentaux conduits par un néolibéralisme ravageur pour les pauvres, les minorités et les femmes. Dès lors, nous pouvons croire dans la capacité des êtres humains à se saisir de cette relativisation de l’héritage occidental pour poursuivre et mettre en pratique d’autres visions du monde.

En attendant, nous sommes dans ce moment dont parlait Antonio Gramsci lorsque l’Italie était dirigée par Benito Mussolini et que le fascisme faisait des émules, « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

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