Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 17:51

 

http://www.liberation.fr/societe/2012/10/08/le-cote-trop-obscur-des-forces-de-l-ordre_851841

 

Le côté trop obscur des forces de l’ordre

 

Lundi 8 Octobre 2012

 

Après le cas Neyret, l’affaire de la BAC de Marseille révèle l’ampleur de pratiques policières condamnables. Une conséquence de la politique du chiffre poursuivie depuis 2002 ?

 

Par Patricia Tourancheau

 

Plusieurs affaires de «ripoux» de grande ampleur en un an : de quoi se demander si la police n’est pas gangrenée, la hiérarchie trop éloignée de sa base et le système dévoyé sous la pression du résultat imposée par Nicolas Sarkozy.

 

La série a commencé le 29 septembre 2011 avec la chute du commissaire Neyret, numéro deux de la Police Judiciaire de Lyon mis en examen pour corruption et trafic de stupéfiants, soupçonné d’avoir renseigné des voyous contre des «faveurs» (cadeaux et voyages) et détourné de la drogue pour rémunérer des «indics».

 

Le 13 septembre dernier, sept policiers du commissariat de Vénissieux (Rhône) ont plongé pour avoir tuyauté et protégé une famille impliquée dans des trafics, en échange d’argent, de téléphones et d’électroménager à bas prix. Le directeur départemental de la sécurité publique du Rhône, Albert Doutre, qui a supervisé l’enquête menée en interne par un groupe de la Sûreté, et non pas de Vénissieux, a expliqué qu’«il est rare qu’un service qui recèle ses propres corrompus traite ses propres problèmes».

 

A Marseille, c’est le préfet délégué à la sécurité, Alain Gardère, qui aurait déclenché les investigations sur des policiers de la BAC de jour des quartiers Nord parce qu’il a cru, lui, des habitants lui ayant rapporté lors d’un couscous les rackets de ces flics dévoyés.

 

Jamais vu. Les rumeurs de corruption circulaient depuis longtemps mais la parole d’un dealer ou d’un voleur qui se plaint d’avoir été dépouillé ne pèse pas lourd face à la parole de policiers. La mise en examen de douze gardiens et gradés vendredi a été aussitôt suivie de la décision de Manuel Valls de dissoudre cette BAC. Du jamais-vu depuis vingt-cinq ans. «Pour qu’un ministre de l’Intérieur en arrive à dissoudre une unité de police, il faut vraiment que les faits soient graves», souligne Yannick Danio du syndicat majoritaire de gardiens de la paix Unité SGP police FO. Le précédent remonte à fin 1986, sous Charles Pasqua, pourtant prompt à couvrir ses troupes : le Peloton des voltigeurs motocyclistes, qui réprimait les lycéens manifestants à coups de matraque, avait frappé à mort le jeune Malik Oussekine.

 

Outre les douze mis en examen, le ministre de l’Intérieur a décidé d’en retirer dix-huit autres (entendus ou mis en cause) du service. Au grand dam de Jean-Claude Delage, leader du second syndicat de gardiens de la paix Alliance (plutôt à droite) qui ne veut en aucun cas présager de la culpabilité des policiers incriminés à Marseille, a fortiori des dix-huit non poursuivis par la justice : «Alors qu’on manque d’effectifs pour protéger la population, cette décision jette le discrédit sur nos collègues. A Marseille, les dealers et voyous ont crié victoire, et ne se cachent même plus derrière des choufs [guetteurs, ndlr] pour vendre leur drogue.» Il entend «différencier les dérapages de ceux qui ont pris de l’argent ou revendu de la drogue à des fins personnelles de ceux qui l’ont fait pour obtenir des renseignements, même si ce n’est pas blanc-bleu».

 

« Lessive ». De son côté, Yannick Danio, pour Unité SGP police, trouve «impressionnant, mais pas fréquent, l’ampleur du phénomène à Marseille » : «On peut supposer que tout le service était gangrené.» Il y voit une responsabilité de la hiérarchie : «Du brigadier au commissaire, dans un service, on ne peut pas ignorer un tel trafic, mais ce n’est pas pour autant que toutes les BAC sont pourries.» Si la révélation de ces affaires de racket et de corruption en série témoigne à ses yeux de la «capacité de la police à faire sa lessive en interne», les causes profondes sont peut-être à chercher du côté du management et «de la politique du chiffre» : «Il y a sûrement eu des façons de faire sur lesquelles on a fermé les yeux dans certains commissariats parce qu’il fallait à tout prix des résultats.» Or, les trois mille cinq cent gardiens de la paix des BAC - sur les soixante huit mille sept cent policiers de la sécurité publique du pays - sont en première ligne pour arrêter les délinquants en flagrant délit.

 

Lancées fin 1991 sous le ministre de l’Intérieur socialiste Philippe Marchand, les BAC (de nuit à l’origine) ont été généralisées et musclées à compter de 2002 par Nicolas Sarkozy pour faire du «saute-dessus» à outrance et multiplier les interpellations en «flag». Souvent traités de «cow-boy», les policiers en civil ou en tenue des deux cent trente cinq brigades anti criminalité existent dans les quatre vingt dix neuf directions départementales de la sécurité publique et ramènent dans les commissariats les délinquants qu’ils attrapent sur la voie publique.

 

Les BAC détiennent la palme des meilleurs résultats, quantitatifs, réalisés sous la droite depuis dix ans. Mais pas qualitatifs. Avec le sabordage de la police de proximité par le même Sarkozy, et les difficultés des patrouilles de Police-Secours à entrer dans les cités, les habitants de certains quartiers ne voient plus comme policiers que des BAC et des CRS. Des forces d’intervention mobiles qui ne favorisent pas le rapprochement voulu par Manuel Valls entre police et population. Le ministre de l’Intérieur n’a pas pour autant opté pour la dissolution de l’ensemble des BAC en reversant ces gardiens de la paix dans des patrouilles plus pacifiques, de crainte de recréer des zones de non-droit que les flics en tenue lambda ont peur de pénétrer.

 

« Déshumanisé ». Pascal Garibian, porte-parole de la direction générale de la police nationale, précise que «les gardiens des BAC sont des volontaires, ayant déjà une expérience de terrain, et triés sur le volet», et qu’il faut «mettre en perspective les dérapages de Marseille, exceptionnels et rares, avec les cent quarante cinq mille fonctionnaires qui font bien leur métier et les cinq millions d’intervention par an».

 

Le conseil de discipline interne à la police a sanctionné l’an passé trois mille policiers dont quatre vingt cinq pour cent par des avertissements et blâmes, et cent un policiers (trois pour cent) par des révocations et mises à la retraite d’office, comme le commissaire Neyret. Avant les contrôles par «les inspections» (IGPN et IGS) et par le défenseur des droits, les garde-fous au sein de la police sont incarnés par les chefs. Or, si l’on en croit Frédéric Lagache d’Alliance, «on a déshumanisé la police nationale» : «Les chefs ne connaissent plus les flicards de terrain, les commissaires ne mettent plus les mains dans le cambouis et on a voulu transformer les gardiens de la paix en soldats de plomb.» Du coup, la police a du plomb dans l’aile.

Partager cet article
Repost0

commentaires