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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 18:40

 

 

Vous trouverez ci-dessous la deuxième partie de la biographie de Cyril Lionel Robert James.

 

La biographie est disponible en totalité à l’adresse ci dessous.

 

Bernard Fischer

 

http://www.entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2012/11/20/preface-sur-la-question-noire-aux-etats-unis-de-c-l-r-james

 

En 1935, alors que l'Italie fasciste envahit l'Abyssinie, il renoue avec George Padmore, son ami d'enfance qui vient de rompre avec l'internationale communiste et qui sera considéré comme le "père du panafricanisme". 

Il est doublement concerné par cette guerre, en tant que noir et en tant que socialiste internationaliste et milite alors avec l' "organisation noire" de George Padmore. Il devient le responsable éditorial du périodique de l'International African Service Bureau, qui regroupe dans les années 1930 et 1940 à Londres les radicaux noirs originaires des colonies britanniques d'Afrique et des Caraïbes. James ferraille alors contre la passivité complice de la société des nations, contre la duplicité de l'URSS de Staline qui livre du pétrole à l'Italie mussolinienne, contre les démocraties occidentales qui se préparent à dépecer l'Ethiopie pour mieux la "sauver". Il se rend à l'ambassade d'Ethiopie pour s'engager dans l'armée et aller combettre en Abyssinie. Il lance un appel :

"Travailleurs de Grande Bretagne, paysans et travailleurs d'Afrique, il faut que vous vous rapprochiez pour ce combat et pour les combats à venir. Tenez-vous à distance des impérialistes, de leurs sociétés, de leurs alliances et de leurs sanctions. Ne soyez pas la mouche pour leur araignée (...) Mobilisons nous pour une organisation indépendante et pour une action indépendante. Nous devons briser nos propres chaînes. Qui peut être assez fou pour attendre de son geôlier qu'il les brise ?"

 Les deux ouvrages qu'il publie en 1937 et 1938, "World revolution" et "Les jacobins noirs", témoignent de sa recherche d'une orientation nouvelle liant marxisme et identité noire. Selon Cedric J.robinson, la leçon d'Ethiopie avait provoqué une inflexion dans la pensée de James qui a alors franchi un pas décisif l'amenant au delà des orientations classiques de la gauche anti stalinienne sur la "question noire". "La puissance de la tradition radicale noire fusionna avec les besoins des masses noires en mouvement pour former un nouveau corpus théorique et idéologique dans (ses) écrits".

En 1936, alors que le pays a été conquis par les troupes italiennes, il publie "Abyssinia and the imperialists". James travaille alors comme rédacteur à l'International African Opinion qui avait notamment pour mission de relayer le programme de l’organisation pour l’indépendance de l’Afrique et des Caraïbes. Cette participation, qui dure jusqu’en 1938, constitue la marque de sa première période panafricaniste qui prend fin avec son départ pour les États-Unis. Il rédige en 1938 une brève histoire des révoltes noires dans laquelle il établit l’histoire des luttes noires, de leur logique et de leur temporalité propre. James y évoque la rébellion d’esclaves à Stono en 1739, en Caroline du Sud, au cours de laquelle des esclavagistes furent tués, une garnison occupée, des propriétés brûlées, ainsi que les grèves sud-africaines, les rébellions congolaises ou encore les grandes grèves de 1934-1939 dans les Caraïbes.

Dans la préface qu'il rédige pour l'édition de 1980 des Jacobins noirs, James résume en ces termes la génèse de son ouvrage, qui lui demanda une année de travail aux archives de la bibliothèque nationale à Paris :

"Je décidais d'écrire un livre dans lequel les africains, ou leurs descendants dans le nouveau monde, au lieu d'être constamment l'objet de l'exploitation et de la férocité d'autres peuples, se mettraient à agir sur une grande échelle, et façonneraient leur destin". 

Ce livre est une flamboyante contribution au corpus évoqué par Cedric J.Robinson. C'est aussi une démonstration de l'autonomie et de l'interdépendance des processus révolutionnaires de la révolution française et de la révolution haïtienne. "Les masses de Saint Domingue commencent" et "les masses parisiennes concluent", tels sont les titres des chapitres quatre et cinq. Anna Grimshaw précise que James donne un double sens à l'articulation entre "centres" et "périphéries" : " c'est une question qu' (il) a abordée de plusieurs manières au cours de son activité; parfois, il traitait des relations entre le prolétariat des nations impérialistes et les peuples indigènes; parfois, il traitait des liens entre les luttes des divers groupes composant la population d'un même pays". 

James explique que les ouvriers parisiens et les esclaves de Saint Domingue étaient soumis aux mêmes "lois historiques" et que c'est l'organisation même de la production sucrière qui a donné aux esclaves révoltés la capacité de mener une guerre révolutionnaire victorieuse contre le régime colonial :

" (les esclaves) vivaient et travaillaient par groupes de plusieurs centaines dans les grandes manufactures sucrières (...), et se rapprochaient par là du prolétariat moderne, beaucoup plus que toutes les autres catégories d'ouvriers de cette époque".

Commentant la thèse de James, Cedric J.Robinson note que le capitalisme a produit deux fois sa propre négation : l'accumulation capitaliste a donné naissance au prolétariat et l'accumulation primitive a produit les bases sociales de l'activité révolutionnaire des colonisés.

Les Jacobins noirs, ainsi qu’un autre ouvrage publié aux États-Unis deux ans auparavant, Black Recontruction de W. E. B. du Bois, marque un tournant dans l’historiographie, en abandonnant l’approche euro centriste jusqu’alors dominante (y compris dans la culture marxiste). Grâce à ces études pionnières, non seulement l’esclavage était-il reconnu comme une des sources fondamentales de la révolution industrielle et de l’accumulation capitaliste dans le monde occidental, mais la question noire était finalement posée dans sa dimension subjective, culturelle et nationale.

Les bateaux qui transportaient les esclaves de l’Afrique au Nouveau Monde contenaient sans doute de la force de travail, mais celle-ci était faite d’êtres humains porteurs de cultures, de valeurs et de visions du monde qui donnaient un contenu concret à leurs luttes de libération.

A partir de 1939, James s'implique dans la vie militante américaine dans les rangs du Socialist Workers Party (SWP) et tente de faire partager sa vision stratégique à ses amis trotskistes. En décembre, dans un article qui paraît dans New International, il résume la démarche qui est celle des Jacobins noirs et, tout en évoquant le rôle des noirs d'Amérique et d'Afrique dans les révolutions et les révoltes, il lance une sorte de défi à toute la gauche :

"Cette histoire révolutionnaire ne peut constituer une surprise que pour ceux qui, quelle que soit l'internationale à laquelle ils appartiennent, la seconde, la troisième ou la quatrième, n'ont pas encore rejeté de leur système de pensée les mensonges permanents du capitalisme anglo saxon".   

Invité par le SWP pour une tournée de conférences et de débats sur la situation politique en Europe alors que la guerre approche (elle est jugée inévitable par les trotskistes) et parce qu'on attend beaucoup de l'auteur des jacobins noirs, James arrive aux Etats Unis à la fin de 1938. Il restera quinze ans aux Etats Unis. Après une série d'apparitions publiques, il semble avoir "disparu de la surface de la terre". Il est en réalité plus actif que jamais. Il a seulement quitté la scène publique pour celle, imperceptible, de l'activité révolutionnaire. Le "noir anglais" fait aussi l'expérience dans sa chair de la condition de "nigger" au pays de Jim Crow, alors que, étranger sans permis de séjour, il milite dans un pays qui pratique la ségrégation, expulse les "agitateurs étrangers" et qui va bientôt entrer en guerre.  

Cyril Lionel Robert James s'appelle désormais J. R. Johnson, W. F. Carlton, A. A. B. J. Meyer ou bien G. F. Eckstein. Il publie d'innombrables articles, textes, projets de résolution, commentaires et s'implique dans tous les méandres des organisations se réclamant du trotskisme. Non content de plonger dans la vie d'un révolutionnaire professionnel, comme l'écrit Scott Mac Lemee, il s'immerge aussi avec délectation dans la société américaine, dont il apprécie "les détails de la vie quotidienne, la diversité sociale et la culture populaire".  

Il se fait à partir de 1939 le théoricien et l'agitateur du "travail nègre" dans le mouvement trotskiste américain. On peut penser, à le lire, qu'il entrevoit le "non encore advenu", le mouvement pour les droits civiques et celui du Black Power.  

En avril 1939, il entame un dialogue avec Léon Trotsky à Mexico, précisément sur la "question nègre". Le mouvement créé par le révolutionnaire en exil est alors, selon les mots de Martin Glaberman, englué dans le "bourbier" d'une conception aussi généreuse que stratégiquement inefficiente. Martin Glaberman ajoute que le positionnement "classique" revenait à subordonner la lutte des afro américains au mouvement ouvrier traditionnel.  

Les deux hommes s'accordent sur une autre orientation politiique : en aucun cas, la "question noire" n'est réductible à la "question de classe" et de ce fait il faut une organisation autonome pour les afro américains. Cette nécessité repose sur la place particulière qu'ils occupent dans le système capitaliste américain : surexploités, opprimés, lynchés. Plus tard, dans un texte paru en 1943, James insiste sur la dialectique entre l'intégration croissante des afro américains dans la production capitaliste et leur exclusion de l'exercice de la démocratie en tant que groupe ségrégué :  

"Ainsi, tout en étant de plus en plus intégré à la production, une intégration qui devient de plus en plus un processus social, le nègre est devenu plus conscient que jamais de son exclusion des privilèges démocratiques en tant que groupe racial séparé de la communauté. Ce phénomène dual est la clé de l'analyse marxiste de la question nègre aux Etats Unis".    

Cinq années plus tard, dans une résolution qu'il soumet au congrès du SWP, il nous livre le coeur de son appproche de la "question nègre", laquelle tranche nettement avec celle de l'essentiel de la gauche révolutionnaire de son temps. La lutte indépendante des afro américains a sa propre légitimité. Un mouvement noir indépendant aura une force incommensurable pour transformer la vie sociale et politique des Etats Unis, même s'il se développe "sous la bannière des droits démocratiques" et qu'il n'est pas "dirigé par le mouvement ouvrier".  

La simple existence de ce mouvement exerce une influence positive sur le mouvement ouvrier. De ce fait, la combinaison des deux est un élément essentiel de la lutte pour le socialisme. Il faut donc s’opposer à toute tentative de subordonner la lutte indépendante des Afro-Américains pour les droits démocratiques à tout autre objectif. On peut synthétiser cette problématique ainsi: la minorité doit dans un «mouvement dialectique» se séparer des organisations majoritaires pour former ses propres organisations et ainsi pouvoir s’unir avec elles et participer au mouvement général.

Ce faisant, James trace le cadre d’un bloc social et politique qui trouverait sa force dans la jonction entre les luttes des Afro-Américains pour leurs droits et celles du mouvement ouvrier dont eux-mêmes constituent une part importante et particulièrement active. Plus de soixante années nous séparent de cet écrit qui, sous des formes renouvelées et actualisées, nous semble garder toute sa valeur.  

Dans les pays multinationaux, dans ceux où des fractions de la population se revendiquent d’identités multiples et dans ceux façonnés par la domination raciale, y compris ceux qui sont dans cette situation et qui se refusent à le voir, l’alliance des forces sociales sera d’autant plus facile à construire et puissante que les groupes dominés seront en capacité de s’organiser en tant que tels sur leurs propres bases pour construire une alliance, un bloc social et politique. Cette attention à l’intrication de la domination raciale dans les rapports sociaux, cet attachement à l’auto-organisation et à l’autonomie stratégique des opprimés et des dominés sont de toute évidence riches d’enseignements pour nos propres combats.

En 1940, James rompt avec le SWP pour cause de divergences sur la "nature de l'union soviétique". Il milite désormais dans le Workers Party qui rejette la caractérisation trotskiste "officielle" de l'URSS comme un Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré, préférant l’analyser comme un capitalisme d’État. Il retournera avec sa tendance au SWP en 1948 avant de le quitter à nouveau quelques années plus tard. En publiant en 1948 ses « Notes on Dialectics », il marque une nouvelle distance, voire une rupture, avec la conception léniniste du parti d’avant-garde que sa perception du mouvement noir comme mouvement autonome avait inaugurée plusieurs années auparavant.

Dans les années 1940-1941, il entame une correspondance avec Constance Webb et fréquente Richard Wright, Ralph Ellison et Chester Himes tout en s’installant quelque temps dans le Missouri pour écrire sur la grève des métayers noirs. Il écrit sur l’art et l’esthétique, sur Hamlet et forme, en 1951, avec Raya Dunayevskaya et Martin Glaberman, une nouvelle organisation, le Correspondence Publishing Committee. 

 

 

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