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26 février 2014 3 26 /02 /février /2014 19:00

 

http://www.lacommune.org/spip.php?article872

 

La révolution ukrainienne et ses adversaires

 

Lundi 24 Février 2014

 

Le peuple ukrainien vient de mettre à terre le régime de Ianoukovitch après trois mois de lutte contre le pouvoir tyrannique du poulain de Poutine, appuyé par les oligarques jusqu’au dernier moment (ou l’avant-dernier) et en dépit de toutes les manœuvres pour empêcher cette chute.

 

C’est le peuple ukrainien qui s’est mobilisé et montre qu’une fois de plus les lois de l’histoire sont plus fortes que tous les appareils bureaucratiques. Certes, d’aucuns objecteront qu’il y a une profonde coupure entre l’ouest et l’est de l’Ukraine, le premier nationaliste, le second pro-russe. Les choses ne sont pas si schématiques, loin de là.

 

Spécificités de l’Ukraine, quelques rappels historiques

 

L’origine du terme même d’Ukraine désigne « nos confins », expression employée par les impérialistes russes des siècles passés pour désigner les marges de l’empire. Le peuple d’Ukraine n’a pratiquement jamais connu d’état indépendant si on excepte le duché de Kiev au haut moyen-âge et le court épisode révolutionnaire entre 1919 et 1920 récupéré par les réactionnaires de l’armée blanche. Les ukrainiens ont été divisés tantôt sous hégémonie polonaise (seizième siècle) tantôt russe, tantôt autrichienne, ou dans ces deux situations à la fois. La polonisation des dignitaires ukrainiens visait à faire perdre au peuple l’usage de sa langue puis lorsque la Pologne orientale a basculé dans l’empire russe à la fin du dix huitième siècle, le tsar jouait la carte des paysans ukrainiens contre les aristocrates fonciers polonais pour son plus grand profit. Seules la Ruthénie subcarpathique et la Galicie, sous la domination des Habsbourg, ont pu bénéficier de l’autorisation administrative de parler ukrainien et d’employer la langue ukrainienne dans certains documents.

 

En 1921, l’Ukraine entière (sauf la Ruthénie intégrée à la Tchécoslovaquie naissante) est soviétique. Staline y applique dans les années qui suivent la mort de Lénine sa pratique en matière de droit des nationalités, chauvinisme grand-russe et extermination de trois à quatre millions d’ukrainiens lors de la grande famine entre 1932 et 1933 (Holodomor) planifiée par le « petit père des peuples ». Dès lors, à l’intérieur même de l’Ukraine se développe un sentiment de rejet du stalinisme, malheureusement et frauduleusement assimilé au communisme, et une résurgence du nationalisme qui va conduire certains ukrainiens, mais certains seulement à collaborer avec l’agresseur nazi en 1941 qui leur fait miroiter un état ukrainien indépendant.

 

Et là, chez les contemporains, des assimilations et amalgames faciles ont fleuri, les ukrainiens seraient antisémites et fascistes dès lors qu’ils sont nationalistes. C’est oublier un peu vite, volontairement pour certains, que l’armée rouge dressée contre les nazis était assez largement composée d’ukrainiens et de biélorusses, c’est à dire des habitants de la partie de l’URSS occupée par les nazis, soit cinq à six pour cent du territoire soviétique. Et que ce sont des troupes ukrainiennes de cette armée rouge qui ont libéré Auschwitz le 27 janvier 1945.

 

Bien sûr il y a des fascistes en Ukraine, ( mais où n’y en a-t-il pas ?) mais leur nombre est très délibérément surévalué, en particulier par Poutine et par les gouvernements occidentaux, chacun cautionnant l’usurpation de l’héroïsme des peuples de l’URSS au profit de « Moscou », c’est à dire en fait du chauvinisme grand -russe (un peu comme la lutte anti nazie en Yougoslavie est attribuée aux seuls serbes). L’Ukraine est composite parce que non seulement il y a eu arrivée massive de russes dans les districts métallurgiques et miniers du Donbass, mais parce que la Crimée entièrement russophone, a été attribuée par Khrouchtchev à l’Ukraine alors qu’elle était russe de très longue date. Dès lors et compte-tenu de l’influence très forte du « grand voisin russe », chaque partie du territoire ukrainien est comme une terre irrédente et la position géographique de l’Ukraine, aux confins de la Russie et du reste de l’Europe la prédispose aux conflits les plus violents (guerre civile entre 1918 et 1921, combats entre 1941 et 1944).

 

Les masses et leurs prétendus représentants

 

Aspirer aux libertés démocratiques dans un état spécifiquement ukrainien tout en garantissant l’emploi et des salaires décents, voilà qui motive l’immense majorité des ukrainiens, russophones, ou pas. Ceci ne peut aller que contre les intérêts de Poutine, cette décalcomanie du despote oriental décrit par Marx. Poutine veut une Russie dominatrice, avec main basse sur « l’étranger proche comme au bon vieux temps », et ces théoriciens nationalistes grand-russes veulent constituer un état eurasien anti occidental (mais surtout pas anti capitaliste) et fortement teinté d’idéologies racistes anti-caucasiennes et anti-homosexuelles, ce que certains appellent « national bolchévisme », bien que rien de bolchévique ne figure dans ce programme.

 

Le discours poutinien sur les « nazis d’Ukraine » fait litière des professions de foi anti sémites de ses sbires comme Kiselyov, l’homme qui a déclaré aussi qu’il fallait « brûler le corps des homos morts dans les accidents de la route » et autres perles du même acabit.

 

Poutine est réputé aussi admirateur d’Ivan Iline, chantre très réactionnaire d’une dictature nationaliste russe (au début du vingtième siècle). Accuser son ennemi de nazisme quand on est soi-même entouré d’anti sémites vaut son pesant de cacahuètes.

 

L’ennemi pour Poutine, ce n’est pas la fraction d’extrême-droite ukrainienne de Pravy Sektor ou de Svoboda qui s’est mêlée avec quelques centaines de gros bras aux manifestants de Maïdan, c’est le peuple ukrainien lui-même. Quant aux impérialistes occidentaux, leurs yeux doux pour l’Ukraine ne signifient rien d’autre que d’appliquer à ce « partenaire » spécial les mêmes méthodes cauchemardesques du FMI que la potion qu’ils veulent faire avaler au peuple grec.

 

En effet, il suffit de lire la presse occidentale aux ordres pour y voir que « les bassins industriels d’Ukraine sont obsolètes » et qu’il va bien falloir en fermer la plus grande partie.

 

En somme ils proposent aux travailleurs ukrainiens le sort de ceux de Florange. Et la défiance des métallos et mineurs de Donetsk tient aussi à cela, ce qui n’en fait pas pour autant ni des admirateurs de Poutine ni d’Ianoukovitch.

 

Les partis officiels d’opposition sont tous favorables à l’économie de marché, les nationalistes fascisants de Pravy Sektor et Svoboda de manière plus nationale, les suppôts de Ioula Timochenko et ceux de Vitaly Klitschko de manière plus mondialisée (et même « merkelisée » pour ce dernier). Qu’ils aient eu de l’influence sur les manifestants de Maïdan certes, certes, mais ceux-ci viennent de les huer pour avoir cautionné le calendrier proposé par les bons offices de Fabius et consorts, à savoir le maintien d’Ianoukovitch jusqu’en décembre et le retour à la constitution de 2004 sous quarante huit heures.

Tout l’édifice de sauvegarde de l’Etat policier vient de voler en éclats car justement les manifestants ne se sont pas laissé abuser par la camelote pro occidentale et qu’ils occupent les édifices gouvernementaux y compris le « palais d’hiver » d’Ianoukovitch visité par le peuple comme celui de Nicolas II en février 1917 (une autre ambiance que les journées du patrimoine à l’élysée).

 

Et à Lviv et dans tout l’ouest, c’est une occupation sans faille des bâtiments officiels, y compris casernes de l’armée et de la police, celles-ci se ralliant au « pouvoir de la rue » (à transmettre à nos pantins de Paris et au petit ministre de l’intérieur pour qui « ce n’est pas à la rue de gouverner »).

 

Une authentique révolution en marche

 

Rien n’est réglé, tout commence. Oui, il y a une menace très sérieuse de division de l’Ukraine avec un est russophone et adossé à la Russie, c’est en Crimée qu’Ianoukovitch s’est réfugié (dernière nouvelle, il semble que le dictateur et toutou de Poutine rejoigne sa niche en Russie, protégé par les navires de guerre de l’ancien agent du KGB) et la partition peut être une carte dans le jeu de Poutine. Que les occidentaux manipulent les dirigeants de l’opposition officielle, certes. Mais ceci n’enlève rien aux qualités de la révolution et il est ridicule de voir derrière celle-ci « la main des occidentaux », aussi ridicule que le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin qui voyait dans la grève de mai et de juin 1968 la main de la « tricontinentale » et de Cuba.

 

Vouloir focaliser l’attention des masses d’ici sur l’aspect manipulateur de Washington et de Paris ou sur le fascisme ukrainien, sans piper mot sur la position et les manœuvres de Poutine (le même qui œuvre au maintien d’Assad le boucher en Syrie), c’est ne pas comprendre la complexité et en même temps la simplicité d’une explosion révolutionnaire dans laquelle aspirations nationales, aspirations démocratiques et défense des acquis sociaux sont étroitement imbriqués.

 

Et il est déplorable que la direction d’un parti comme le NPA qui se veut d’avant-garde et anticapitaliste ne soit pas en mesure d’évaluer la situation réelle, à savoir la combinaison sous nos yeux de la révolution et de la contre-révolution et tombe lamentablement dans tous les clichés et pièges des médias et des ennemis jurés des peuples en mouvement, dont les dirigeants du Front De Gauche. (« Le jeu trouble du gouvernement corrompu ukrainien dépassé par la situation et la violence incontrôlée de groupes extrémistes néo-nazis qui débordent les manifestants pacifiques, légitimes » (Alexis Corbière, Mercredi 19 février 2014. En d’autres termes, les massacres sont la faute des masses manipulées par l’extrême-droite).

 

Comment ne pas être à même de savoir distinguer, dans ces événements, entre le mouvement réel, profond des masses pour leur liberté et leur émancipation sociale et par ailleurs, les actuels dirigeants de ce mouvement, qui tentent de le chevaucher pour mieux l’étouffer ?

 

Comment ne pas comprendre la dynamique propre de ce processus révolutionnaire qui, comme tout processus révolutionnaire, est confronté aux contradictions et aux ennemis à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement ?

 

Quel aveuglement que ce communiqué national du NPA pour qui « l’extrême droite dévoie la révolte populaire ». Quel vision pessimiste et fausse de la situation. Notons que les masses ukrainiennes, qui viennent de jeter dehors le dictateur et ses séides corrompus jusqu’ à la moelle se sont chargées de démentir ce communiqué, et de belle manière. Et la contre-révolution, c’est autant Poutine qu’Obama, Merkel et Hollande ou l’extrême-droite, qu’on se le dise. Et le peuple ukrainien n’est pas tombé dans une impasse, les derniers évènements viennent de le montrer.

 

En Ukraine, tout commence, tout est possible. Vive la classe ouvrière d’Ukraine, Vive le peuple ukrainien ! Vive sa révolution !

 

Paul Rauschert ; Jean-Paul Cros ; Pedro Carrasquedo, (Comité Politique National du NPA) ; Francis Charpentier ; Daniel Petri ; Wladimir Susanj, (Comité Politique National du NPA) ; Isabelle Foucher, militants du courant anticapitalisme et révolution du NPA

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