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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 20:37

 

http://www.liberation.fr/monde/01012396566-le-politburo-chinois-ne-peut-plus-sentir-bo

 

Samedi 17 Mars 2012

 

Le politburo chinois ne peut plus sentir Bo

 

Sur fond de luttes de succession, la destitution de cette étoile montante du parti communiste était programmée

 

Par Philippe Grangereau, correspondant de Libération à Pékin

 

«Beaucoup de gens ont jeté de l’eau sale sur moi et ma famille. On a même dit que mon fils étudiait à l’étranger et conduisait une Ferrari rouge… Quelles balivernes ! Je suis outré d’entendre de telles calomnies.» Bo Xilai, le puissant chef du Parti de la municipalité de Chongqing, tentait ainsi de se défendre la semaine dernière, lors d’une conférence de presse hâtivement convoquée dans une salle de l’Assemblée nationale populaire. C’était un chant du cygne. La chute de ce fils d’un vétéran de la Longue Marche, qui fut garde rouge, puis ministre du Commerce, avant d’entrer au politburo, le cercle très fermé des vingt cinq hommes qui dirigent la Chine, était en fait déjà programmée.

 

Jeudi, le couperet est tombé sous la forme d’une dépêche de l’agence Chine nouvelle : «Bo Xilai est limogé de son poste de chef du Parti communiste de Chongqing.» Par voie de conséquence, cet homme de 62 ans ne conservera plus longtemps sa haute fonction au politburo. Pékin n’a donné aucun motif à la révocation de Bo. Sa destitution n’a toutefois certainement rien à voir avec le fait que son fils roule bel et bien en Ferrari dans les rues de Pékin et suive des études à Harvard. Dans un pays où le mot d’ordre est «stabilité» et où «l’unité du Parti» est un principe sacro-saint, cette purge brutale est un séisme.

 

Torture. «C’est la première fois depuis le massacre de Tiananmen [en 1989, ndlr] que les luttes de clans au sein du Parti sortent au si grand jour», constate Tao, un journaliste basé à Chongqing. A la tête de cette municipalité géante de trente millions d’habitants qu’il comptait utiliser comme marchepied vers le pouvoir suprême, le flamboyant Bo Xilai avait inauguré un style de gestion alliant nostalgie maoïste, politique sociale, populisme et répression anticriminelle. Sorti de «l’aristocratie rouge», il a toutefois surestimé sa marge de manœuvre.

 

Pour donner une couleur à son programme politique, il a obligé ses administrés à chanter des chansons maoïstes aux relents de Révolution culturelle (1966-1976), sans se soucier du fait que ses pairs du politburo ont presque tous été persécutés durant cette période. C’est ce qu’a souligné le Premier ministre Wen Jiabao, dans une pique lancée mercredi contre Bo Xilai : «Le peuple chinois tout entier a compris […] qu’il faut tirer les leçons de l’histoire.» Durant la Révolution culturelle, alors même que sa propre mère était torturée à mort par les gardes rouges, Bo Xilai en dirigeait l’une des plus violentes factions…

 

Mais cet homme arrogant a commis une erreur plus grave encore aux yeux du Parti. En 2009, il a lancé à Chongqing une campagne tonitruante contre les «sociétés noires» (la mafia) appelée «da hei» (abattre les mafias). Des enquêtes sont alors menées sur plus de  neuf mille personnes, dont bon nombre de hauts fonctionnaires, des policiers, des magistrats. Treize personnes, dont le numéro deux de la police, sont condamnées à mort, le plus souvent sur la base d’aveux soutirés sous la torture. La répression, applaudie par la population, est menée tambour battant, dans un mépris presque total du droit. Un avocat va être condamné pour avoir plaidé que son client avait été torturé... Pékin s’offusquera pour sa part que cette vaste campagne anti crime dévoile sans fard la collusion entre pouvoir et mafias.

 

Surtout, elle sous-entend que les deux prédécesseurs de Bo à la tête de la ville étaient eux-mêmes corrompus. Or tous deux sont des protégés du président chinois, Hu Jintao. L’un d’eux est Wang Yang, l’actuel chef du Parti dans la province du Guangdong ; l’autre, He Guoqiang, dirige la toute puissante commission de la discipline chargée de réprimer la corruption des cadres.

 

En Chine, où le pouvoir est des plus opaques, il est difficile de connaître les tenants et aboutissants d’une affaire comme celle-ci. Certaines informations, certes impossibles à corroborer, filtrent toutefois. Pour «régler son compte» à Bo Xilai, He Guoqiang a lancé une enquête anticorruption visant son bras droit, le chef de la police et vice maire de Chongqing, Wang Lijun, exécutant de la campagne anti crime, rapporte un journaliste basé dans cette ville : «Comme les cadres, à tous les niveaux, sont presque tous corrompus, ce n’est jamais très compliqué de trouver quelque chose. C’est comme ça que les politiques règlent leurs comptes en Chine.»

 

Consulat. «L’objectif initial était d’arrêter Wang Lijun et, par contrecoup, de discréditer Bo Xilai afin de l’obliger à prendre sa retraite sans faire trop de bruit», pense Tao, le journaliste. Se sachant perdu, Wang Lijun a agi de manière inattendue. Il s’est réfugié le 6 février dans le consulat des Etats-Unis, où il est resté vingt quatre heures.

 

A-t-il remis aux Américains des documents compromettants sur Bo Xilai ? Les diplomates états-uniens n’ont rien dit, et cette incertitude avait déjà réduit à néant toute chance de promotion pour Bo Xilai. Des officiels invités dans le consulat ont convaincu Wang Lijun de se rendre. Il a depuis été qualifié de «traître» par le président chinois, Hu Jintao, qui semble avoir aussi scellé le sort de Bo Xilai. Ce dernier a eu le tort de vouloir faire carrière aux dépens de ses pairs plus puissants que lui.

 

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