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6 avril 2016 3 06 /04 /avril /2016 16:22

http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/04/06/nuit-debout-histoire-d-un-ovni-politique_4896808_823448.html

Nuit Debout, histoire d’un Objet Volant Non Identifié (OVNI) politique

Par Raphaëlle Besse Desmoulières

Il est 21 heures, place de la République à Paris, Mardi 5 Avril 2016, pardon, Mardi 36 Mars 2016, comme on dit ici. Le soir a commencé à envelopper la petite foule de la Nuit Debout.

L’assemblée générale, commencée trois heures plus tôt, se poursuit. François Ruffin, le réalisateur de Merci Patron, le documentaire à l’origine du mouvement, doit intervenir dans le cadre d’un débat mais il patiente depuis un moment.

Le rédacteur en chef du journal Fakir prend enfin le micro. Comme dans son documentaire, il arbore un tee-shirt « i love Bernard Arnault » avec une photo grand format du Président Directeur Général (PDG) de Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH). Il ne parlera que quelques minutes. Le temps d’expliquer que le but de son film est « de construire un langage qui permet de sortir de l’entre-soi et de rencontrer d’autres classes sociales. Tout l’enjeu, maintenant, ici aussi, c’est de sortir de l’entre-soi », martèle-t-il. Il ne sera guère entendu. Les participants à l’assemblée générale veulent poursuivre leurs discussions. La plupart ignorent que c’est en grande partie grâce à celui qui leur fait face qu’ils occupent la place de la République.

Raconter le mouvement de la Nuit Debout, c’est aussi relater le succès de Merci Patron. « Ce film, c’est une oasis de joie dans le désert de morosité de la gauche », résume son réalisateur, qui se définit comme un « compagnon de route du Front De Gauche (FDG) ». Rapidement, le documentaire dépasse le traditionnel public militant. Le philosophe et économiste critique Frédéric Lordon encourage l’équipe de Fakir à se saisir de cet élan de sympathie.

« Il y a un besoin très fort de s’exprimer »

François Ruffin et ses amis organisent, le 23 février 2016, une soirée à la bourse du travail de Paris. Le mot d’ordre, « leur faire peur », comprendre à « l’oligarchie ». La salle est pleine. En préambule, un petit discours du patron de Fakir. « Tant que nous y allons de manière séparée, nous avons de bonnes chances d’être foutus. L’une des leçons du film, c’est de se dire que si nous n'avons pas la jonction de la petite bourgeoisie que j’incarne et des classes populaires incarnées par les Klur dans le film, nous n'arrivons pas à perturber Bernard Arnault », explique François Ruffin. Le public décide de travailler à la « convergence des luttes » qui deviendra le nom du comité d’organisation de la Nuit Debout. Le contexte est jugé favorable avec la mobilisation contre la loi de Myriam el Khomri. Le choix est fait de ne pas rentrer chez soi à l’issue de la manifestation du Jeudi 31 Mars 2016 et d’occuper une place. Pour des raisons pratiques, ce sera la place de la République.

Après les débats, une quinzaine de personnes se retrouvent au bar d’à côté. Chacun arrive avec son savoir, son expérience ou simplement son envie de faire. Des jeunes et des moins jeunes, qui ont souvent un engagement et acceptent ou non d’apparaître publiquement. Il y a là Johanna, salariée chez Fakir, Loïc, un intermittent membre de la compagnie Jolie Môme, Leïla Chaïbi, militante à Jeudi Noir et membre du Parti de Gauche, Karine Monségu, syndicaliste chez Air France, également au Parti de Gauche, Camille, du collectif citoyen des Engraineurs, ou encore Arthur, étudiant à Sciences Politiques. Ils s’attellent à organiser la première soirée, celle du Jeudi 31 Mars 2016, mais refusent d’établir une plate-forme revendicative. Quelques lignes sont tout de même rédigées pour dénoncer des « réformes de plus en plus rétrogrades et un déni démocratique » et appeler à construire un « projet politique ambitieux, progressiste et émancipateur ». Une cagnotte est lancée sur internet, trois mille euros sont récoltés.

Présent le 23 février 2016 à la bourse du travail de Paris, mais à une réunion contre l’état d’urgence, Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit Au Logement (DAL), s’invite à la rencontre de Fakir.

Le DAL offre son aide en matière juridique, notamment pour les déclarations en préfecture. ATTAC et l'Union Syndicale Solidaire (USS) seront aussi de la partie. A l’approche du jour j, le pessimisme gagne. La météo annonce de la pluie. « Je pensais que cela allait foirer » , se souvient François Ruffin. « Etre de gauche, c’est être habitué à la défaite ». Les manifestants le font mentir et affluent place de la République. La Nuit Debout est lancée. Depuis le Jeudi 31 Mars 2016, elle continue à occuper les lieux. « Il y a un besoin très fort de s’exprimer » , note Karine Monségu, d’Air France. « Si notre objectif n’avait pas répondu à un besoin, nous aurions échoué ». Chacun le reconnaît, c’est devenu une usine à gaz. « Nous sommes dépassés », se réjouit Arthur, l’étudiant de Sciences Politiques.

« Les socialistes sont morts »

Après le 23 février 2016, François Ruffin se tient plus ou moins en retrait. Tout comme Frédéric Lordon, qui a tout de même pris la parole à la tribune, le Jeudi 31 Mars 2016, avant de repasser une tête Dimanche 3 Avril 2016. Sollicité par le Monde, ce dernier ne souhaite pas s’exprimer.

« Je n’ai nulle envie d’apparaître pour ce que je ne suis pas, le leader d’un mouvement qui n’a pas de leader », précise-t-il par mail. Place de la République, chacun parle pour soi. Le parallèle avec les indignés espagnols et Podemos a rapidement été établi, d’autant que les participants de la Nuit Debout ont adopté les mêmes codes. « Un mouvement horizontal devenu un parti hyper hiérarchisé, ce n’est pas l’idée ici », critique cependant Camille, du collectif des Engraineurs.

Le mouvement se méfie des politiques mais intrigue ces derniers, qui déboulent place de la République sans s’y attarder. Sur place, le Parti Socialiste n’a pas bonne presse. « Les socialistes sont morts, nous allons les enterrer bientôt », assure Karine Monségu. François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron ont dégoûté tout le monde durablement ». Par rapport aux élections présidentielles de 2017, « c’est justement parce qu’e nous n'attendons plus rien des élections présidentielles que nous faisons les choses nous-mêmes », lance Loïc, de la compagnie Jolie Môme.

Quel avenir, rester place de la République, en partir ou trouver un débouché politique ? « C'est trop tôt pour le dire », répond en chœur le petit groupe. Chacun a conscience de vivre un moment charnière. La province commence à s’organiser et la date de la prochaine manifestation contre la loi de Myriam el Khomri, Samedi 9 Avril 2016, fixe un horizon. Les initiateurs, eux, sont en train de passer la main mais demeurent vigilants. Tout cela reste fragile. Des tentatives de noyautage par l’extrême droite ont déjà eu lieu. « Cela peut être un feu de paille », reconnaît Johanna, de Fakir. Mais même si c’était le cas, cela prouve qu’il y a une sacrée énergie disponible ». Leïla Chaïbi s’interroge aussi sur « comment ne pas épuiser le mouvement et le faire grandir ». Une certitude habite cependant la jeune femme, « nous relevons enfin la tête ».

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