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22 mai 2016 7 22 /05 /mai /2016 16:37

INTERVIEW D HUGO MELCHIOR PAR YVES JUIN

Vous trouverez ci-dessous la première partie d’une longue interview d’Hugo Melchior par Yves Juin relative au mouvement social contre la loi travail.

L’interview est disponible en totalité si vous consultez le site internet d’Ensemble à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

https://www.ensemble-fdg.org/content/soyons-fiers-de-ce-que-nous-avons-fait-depuis-2-mois-et-demi

Soyons fiers de ce que nous avons fait depuis deux mois et demi

Notre camarade Hugo Melchior est l'un des animateurs en vue du mouvement sur Rennes. Il a été victime d'une mesure d'interdiction de manifestation. Il a bien voulu répondre longuement à nos questions et tirer un premier bilan de deux mois et demi de lutte, au moment où se met en place un comité de soutien à toutes les victimes de la répression.

Yves Juin. Peux-tu nous expliquer pourquoi le préfet t'a interdit l'accès au centre-ville de Rennes pendant quinze jours et comment as-tu réagi ?

Hugo Melchior. Mardi 17 Mai 2016 vers 9 heures 30, deux membres de la Brigade Anti Criminalité (BAC) et un brigadier chef de police sont venus chez moi pour me remettre en mains propres un procès-verbal signifiant mon interdiction de séjour de ce jour jusqu’au Lundi 30 Mai 2016 à 6 heures du matin dans le centre-ville de Rennes. Ils sont restés dix minutes à peine, le temps que je signe le procès-verbal. Il n’y a eu aucun problème de ce côté là. J’ai également reçu une carte signifiant les délimitations géographiques de cette interdiction. Concrètement, cela veut dire que je ne peux pas, par exemple, me rendre à la gare pour prendre le train, ni aller à la mairie pour effectuer des démarches administratives et bien entendu, et c’est cela qui est visé prioritairement par cette mesure d’interdiction de séjour dans une partie du territoire de la commune de Rennes, participer à des manifestations de rue avec mes camarades contre la loi travail. Comble de l’ironie, le tribunal administratif que j’ai saisi par la médiation de mon avocate Vendredi 20 Mai 2016 dans l’espoir de faire casser cet arrêté préfectoral se trouve, lui-même, dans la zone interdite.

Ainsi, ma liberté d’aller et venir, pourtant considérée dans la constitution française comme une liberté publique fondamentale, liberté consubstantielle de la citoyenneté, mais d’abord de l’humanité, comme le stipule le treizième article de la déclaration universelle des droits de l’homme, est désormais subordonnée à cette interdiction de territoire, et cela jusqu’au Lundi 30 Mai 2016. Cette remise en cause de cette liberté fondamentale, avec celle de pouvoir manifester librement, découle d’un arrêté de la préfecture, acte administratif, et par là-même d’une décision du ministère de l’intérieur qui instrumentalise sans vergogne le contexte d’état d’urgence et la « menace terroriste » pour tenter d’entraver la vie quotidienne des militants politiques un peu trop insolents et agitateurs à son goût. Cet acte administratif est scandaleux par nature car, en y recourant, l’autorité vous met devant le fait accompli. Contrairement à un procès au pénal, il n’y a pas la possibilité de contester en amont la décision, ni de demander l’organisation d’un débat contradictoire.

En ce qui me concerne, encore une fois, il ne s’agit pas simplement d’une simple interdiction de manifester, d’une interdiction ponctuelle, seulement le temps des manifestations de rue contre la loi travail, comme ce fut le cas pour les militants de Paris concernés par des arrêtés préfectoraux. Il s’agit d’une interdiction absolue, permanente, vingt quatre heures sur vingt quatre, qui concerne une zone spatiale étendue et qui s’étend sur une longue période, en l’occurrence quatorze jours. Si je devais contrevenir à l’arrêté et pénétrer dans la zone interdite pour aller manifester par exemple, je risque d’être appréhendé par la police, puis faire l’objet de poursuites sur le plan pénal avec la possibilité d’être condamné au maximum à six mois d’emprisonnement et sept mille cinq cent euros d’amendes, en application du treizième article de la loi du 3 avril 1955.

Pour justifier d’une telle mesure profondément liberticide et vexatoire à mon encontre, qui ne repose en réalité que sur des présomptions, le procès-verbal fait clairement référence à mon passé de militant révolutionnaire, puisqu’il est indiqué dans le procès-verbal que je suis « défavorablement connu pour des activités politiques passées ». En effet, j’ai commencé à militer en septembre 2005 au sein de la section jeune de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) à Rennes et j’ai été amené à jouer un rôle important dans tous les mouvements étudiants entre 2006 et 2010. Au cours des ces différentes mobilisations, je n’ai eu de cesse de vouloir me mettre au service du mouvement ouvrier et des luttes étudiantes et de proposer mes savoir-faire et mes ressources avec pour seul désir d’être utile à ma classe et à mon camp, celui des travailleurs, de tous les opprimés et de tous celles et ceux qui ne supportent plus la pourriture capitaliste et veulent rompre avec elle d’urgence. Actuellement doctorant en histoire, chargé de cours à la deuxième université de Rennes, j’ai de nouveau décidé d’assumer un engagement total au sein de mon université dans le cadre de la mobilisation contre la loi travail, qui constitue une nouvelle étape dans le processus de réorganisation néo libérale du travail en cours depuis les années 1980. En décidant d’entreprendre une telle réforme scélérate, que même la droite décomplexée au pouvoir n’avait pas osé mettre en œuvre, les décideurs socialistes ont démontré, une fois encore, qu’ils n’étaient rien d’autre que les gardiens intérimaires de l’ordre productif néo libéral.

De plus, il est souligné, dans ce procès-verbal, ma « participation à des manifestations ayant joué un rôle omniprésent dans l’organisation de manifestation ayant engendré un trouble à l’ordre public à Rennes ». Il est indéniable à nouveau que j’ai pris part à l’organisation, aux côtés d’autres militants du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), d’Ensemble et du Mouvement des Jeunes Communistes de France (MJCF), mais également d’étudiants non encartés, des nombreuses manifestations qui se sont succédées à Rennes, depuis le début du mois de mars 2016, contre la loi travail sur la ville de Rennes. Clairement, c’est cette activité militante quotidienne, débridée et intense qui a été visée par le ministère de l’intérieur cherchant, en s’attaquant à moi de la sorte, par cette mesure extra judiciaire, à faire un exemple et tenter de diffuser la peur au sein du secteur militant à Rennes. Le procès-verbal rappelle, enfin, mes déclarations sur les réseaux sociaux sur la question de la violence politique et par là-même le fait d’avoir assumé publiquement la nécessité de ne pas subordonner le répertoire d’actions au seul respect du cadre de la légalité et aux seules manifestations de masses, même si elles sont évidemment une condition nécessaire à l’inversion du rapport des forces en faveur du mouvement social. Il nous faut assumer le fait de recourir à des actions de blocage économique, à des grèves actives et prolongées, et de manière générale à tout ce qui peut contribuer, y compris les émeutes de rue, à rendre le climat intenable pour le gouvernement contre lequel nous nous battons depuis maintenant deux mois qui n’a de cesse de répéter qu’il ne cédera pas. C’est ce que j’appelle la « stratégie de la tension », c’est-à-dire la capacité d’articuler opportunément massification et radicalité. Si la violence seule et minoritaire est évidemment impuissante et peut-être même contre-productive, cette « stratégie de la tension » se caractérise d’abord par le refus du légalisme et du pacifisme intégral. En effet, je considère qu’en dernière instance l’état n’a pas le monopole de la violence physique légitime et que nous devons être prêts à nous défendre physiquement et collectivement contre nos ennemis que sont les décideurs et de manière générale tous les militants de l’économie politique. Car, une fois pour toute, la politique n’est pas un pique-nique, ni un dîner de gala, encore plus quand l’on prétend défendre un projet politique révolutionnaire.

Quand j’entends les déclarations du candidat Jean-Luc Mélenchon, qui reprend sans vergogne la même rhétorique policière du Parti Communiste Français (PCF) de l’année 1968, renvoyant dos à dos la violence politique dont font usage certains militants politiques et celle de ceux chargés de sauvegarder l’ordre établi et la propriété capitaliste, j’ai la nausée. Il est profondément choquant de l’entendre dire que les fameux « casseurs » seraient des alliés objectif du pouvoir et par là-même, si on va jusqu’au bout de la réflexion, des ennemis du mouvement en cours.

Ainsi, il est certain qu’à défaut de pouvoir me poursuivre sur le plan pénal, le ministère de l’intérieur est obligé pour m’atteindre de recourir à l’arme de la coercition administrative et ainsi me faire payer le prix de mon engagement en faveur de la défense des droits collectifs des travailleurs remis en cause par ce projet de loi inique. On limite la liberté de circulation d'un individu au nom de sa « dangerosité potentielle » en tant que militant révolutionnaire, sans qu'on n'ait rien à lui reproché à part ses idées subversives.

Mais être attaqué de la sorte par l’état, quelle plus belle reconnaissance de la justesse de son engagement politique. Au moins, cela prouve que l’état sait reconnaître ses vrais ennemis, celles et ceux qui veulent subvertir radicalement la société capitaliste. J’espère vraiment que, Lundi 23 Mai 2016, la préfecture et le ministère de l’intérieur connaîtront un camouflet mémorable. En effet, si l'arrêté liberticide devait être cassé ce jour là par le tribunal administratif, cela représenterait une défaite politique pour les décideurs qui comprendraient, alors, qu'on ne peut pas en toute impunité, sous couvert d’état d'urgence, user de méthodes exécutoires pour tenter d'entraver l’action des militants politiques.

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