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20 avril 2008 7 20 /04 /avril /2008 19:04

Ballon d'oxygène pour le syndicalisme, par Michel

Noblecourt

 

LE MONDE | 19.04.08 | 13h25  •  Mis à jour le 19.04.08 | 13h26


  Quarante ans après l'instauration de la section syndicale d'entreprise, un des fruits de Mai 68, un nouveau séisme risque de chambouler le paysage syndical. La "position commune", arrêtée le 9 avril, sur "la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme", va profondément modifier, à moyen terme, les règles qui régissaient les relations sociales depuis 1950, donner un ballon d'oxygène à un syndicalisme encore léthargique et le forcer à une recomposition, esquissée par le pas de deux entre l'UNSA et la CFE-CGC. Nicolas Sarkozy a toutes les raisons de se réjouir de cette révolution douce qui, après l'accord du 11 janvier sur le contrat de travail, change potentiellement la donne sociale.

 

Dans cette négociation, au départ vouée à l'échec tant les positions patronales et syndicales étaient éloignées, l'habileté se niche dans les détails. Avec l'affaire des retraits suspects d'argent en liquide, l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), gardienne du statu quo au point de s'opposer à une réforme votée par le Conseil économique et social en 2006, a été mise totalement hors jeu. Laurence Parisot, la présidente du Medef, soucieuse d'améliorer l'image du patronat, a eu les coudées franches.

En préférant une "position commune" à un accord, le Medef et la CGPME d'un côté, la CGT et la CFDT de l'autre se sont prémunis contre les effets juridiques d'une opposition des réfractaires. Avec la loi Fillon de 2004, qui reconnaît un droit d'opposition à une majorité (en nombre) de syndicats, FO, la CFTC et la CFE-CGC, qui ont rejeté le compromis, auraient pu rendre caduc un accord national interprofessionnel. Les signataires - le Medef, la CGPME, la CGT et, demain, la CFDT - ont écarté les sujets qui fâchent, comme la place de la loi et du contrat social, qui avait été abordée dans la "position commune" du 16 juillet 2001, signée par tous les syndicats sauf la CGT. Mais ce compromis servira de "base" à un projet de loi.

A la Libération, dans un pays sous-syndicalisé, le législateur avait imaginé cinq critères pour établir la représentativité d'un syndicat. Le but était de contourner la domination de la CGT, alors inféodée au Parti communiste. La loi du 11 février 1950 a gravé ces critères dans le marbre. Les confédérations représentatives se sont vu conférer "une présomption irréfragable de représentativité" qui leur accordait des avantages exorbitants. Les cinq centrales retenues par l'arrêté du 31 mars 1966 - la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et, pour le personnel d'encadrement, la CFE-CGC - n'avaient pas besoin d'avoir le moindre syndiqué dans une entreprise pour présenter des candidats dès le premier tour des élections professionnelles, négocier des accords, être les interlocuteurs de l'Etat et du patronat. Sans avoir à prouver leur représentativité, elles étaient présumées légitimes.

Depuis près de soixante ans, le "club des cinq" vit dans le cocon protecteur tissé par le législateur. Le syndicalisme, minoritaire dès son origine chez les salariés, a subi de plein fouet la désyndicalisation. Entre 1973 et 2000, il a perdu les deux tiers de ses adhérents. Qu'importe ! Avec la "présomption irréfragable de représentativité", cette assurance tous risques, les confédérations restaient intouchables ! En 2005, selon le ministère du travail, le taux de syndicalisation était de 8,1 %, dont 5 % dans le secteur privé, ce qui fait de la France la lanterne rouge des pays industrialisés. Seule consolation, le pourcentage d'entreprises privées ayant une représentation syndicale est passé de 39,9 % en 2000 à 44 % en 2005.

La "position commune" consacre la "disparition de la présomption irréfragable". A l'issue d'une période transitoire de quatre ou cinq ans, les syndicats devront prouver leur représentativité à tous les niveaux - entreprise, branche professionnelle, national interprofessionnel -, et elle sera revérifiée tous les quatre ans. A l'assurance tous risques succède le risque sans assurances. La représentativité sera appréciée selon sept critères "cumulatifs", dont "l'audience établie à partir des élections professionnelles". Pour être représentatifs dans l'entreprise, les syndicats devront recueillir 10 % des suffrages au premier tour des élections professionnelles - où toutes les organisations "légalement constituées" pourront se présenter -, ce seuil étant ramené, "à titre transitoire", à 8 % dans les branches et au niveau national interprofessionnel.

UN "YALTA SYNDICATICIDE"

Les signataires ont choisi un cadre électoral étroit, celui des élections professionnelles, alors que plus d'un salarié sur deux en est privé. Malgré la pression légitime de l'UPA, ils n'ont pas retenu - ni formellement exclu - des instances territoriales permettant aux salariés employés par des artisans de voter. Elles ont été prévues par un accord signé par l'UPA, le 12 décembre 2001, avec tous les syndicats, mais qui, en raison du refus du Medef et de la CGPME, n'a jamais été homologué. Ils ont également écarté les élections prud'homales - les prochaines auront lieu le 3 décembre -, qui ont l'avantage d'offrir un collège de plus de 17 millions d'électeurs, mais où la participation bat des records à la baisse (32,7 % en 2002 !).

Le Medef a donc concocté, avec la CGT - qui signe ainsi son premier "accord" national depuis celui sur la formation, en 2003 - et la CFDT, un système qui consolide les forts et met les faibles à l'épreuve, qui n'élimine personne dans l'immédiat mais empêche à terme l'émiettement syndical, avec l'entrée de nouveaux acteurs, comme l'UNSA et Solidaires (qui regroupe les SUD). Jacques Voisin, président de la CFTC, parle même d'un "Yalta syndicaticide" ! Hormis ceux de la CGT et de la CFDT, aucun ticket d'entrée n'est garanti.

En 2005, dans les élections aux comités d'entreprise, la CFTC est, avec 6,8 %, nettement sous le seuil de 10 %, et la CFE-CGC ne se sauve que chez les cadres. Pour les branches, la représentativité sera subordonnée à "une présence territoriale équilibrée" et au niveau interprofessionnel à des preuves de représentativité à la fois dans "l'industrie, la construction, le commerce et les services", ce qui met l'UNSA, mais aussi FO, en difficulté.

Privé de parachute, le syndicalisme est obligé de se recomposer. L'UNSA et la CFE-CGC, qui se complètent et s'opposent, vont tenter de marier la carpe et le lapin. A moyen terme, FO devra s'interroger sur une réunification avec une CGT convertie au réformisme, et la CFTC sur la fin de son divorce avec la CFDT. Questions existentielles.

 

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