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2 février 2010 2 02 /02 /février /2010 07:57

http://www.claude-ribbe.com/dotclear/index.php?2010/01/31/138-le-role-positif-de-regis-debray-en-bolivie-et-en-haiti-dixieme-et-derniere-partie#search


Le « rôle positif » de Régis Debray en Bolivie et en Haïti (dixième et dernière partie)

La France et les USA n’avaient pas ménagé leurs efforts pour que le bicentenaire de la création de l’Etat d’Haïti ne soit pas commémoré, le 1er janvier 2004. Il fallait à tout prix séparer Haïti des Africains, de peur que la petite république caraïbe ne devienne un jour l’axe de la renaissance africaine. Régis Debray, Dominique de Villepin et Édouard Glissant, profitant de son grand âge, étaient allés faire pression sur Césaire pour qu’il refuse d’assister à la cérémonie, et qu’il donne, de ce fait, sa bénédiction au coup d’État qui était programmé.

On lui avait dit qu’Aristide était un dictateur et il le crut. L’Afrique du Sud ne se laissa pas influencer par ces mensonges. Un porte-hélicoptères apparut dans la baie de Port-au-Prince une dizaine de jours avant les célébrations.. Ce n’est pas sans émotion que j’ai vu arriver les gros hélicoptères envoyés par Thabo Mbeki et qui ronronnaient au-dessus de la ville comme pour montrer que l’Afrique était venue au secours des descendants de ceux qui avaient été arrachés à leur terre par de monstrueux prédateurs.

C’était un jour de deuil pour Régis Debray et ses amis. Les Sud-Africains avaient expédié une équipe pour organiser l’intendance de la cérémonie. Ce sont eux qui établirent les laisser-passer et organisèrent le système de captation du spectacle qui fut monté à la hâte.

J’écrivis un petit texte de théâtre pour être joué ce soir là. Le 1er janvier 2004, les cérémonies commencèrent le matin, en présence de Thabo Mbeki, du premier ministre de la Jamaïque, de Maxine Waters, députée de Californie représentant le Black Caucus, de Danny Glover, de Randall Robinson, et surtout de plus de cent mille Haïtiens qui agitaient des drapeaux en chantant l’hymne national. Ils étaient si nombreux qu’ils s’étaient juchés sur les grilles entourant le jardin du palais national.

Elles plièrent soudain sous le poids de la foule ainsi agglutinée et les plus humbles purent se mêler aux invités officiels. Une courte cérémonie devait avoir lieu aux Gonaïves. Quant on sait que l’organisateur en était Gabriel Frédéric, celui-là même qui avait remis à l’ambassadeur Burkard, le 9 novembre, copie du dossier juridique sur la restitution de la dette de la France, on se doute qu’elle fut sabotée et avec l’aide de qui. Il y eut quelques tirs d’armes automatiques en direction du président Aristide et de Thabo Mbeki qui, heureusement, ne furent pas atteints. Le soir, un spectacle fut présenté au Palais national. Les violons de l’orchestre amateur Sainte-Trinité et le ballet national de Cuba furent mis à contribution. Le texte que j’avais écrit, Le rêve de Mandela, fut joué par Danny Glover et Jean-Michel Martial.

J’étais à peu près le seul français parmi les invités d’honneur en ce jour historique où l’ambassadeur Burkard grimaçait plus encore que de coutume. Christiane Taubira était très attendue, mais elle ne vint pas. Elle expliquera sans doute un jour pourquoi. Aucun de ceux qui, en France, ont fait depuis de l’esclavage leurs fonds de commerce n’étaient là. Aucun journaliste de la presse occidentale ne rendit compte de l’événement qui, officiellement, n’a jamais existé; pas plus que la bataille de Vertières qui entraîna la capitulation française , le 18 novembre 1803. Je quittai Port-au-Prince quelques jours après la cérémonie, non sans être allé saluer le président. Il pensait que ces événements seraient niés un jour et qu’il faudrait témoigner de ce qui s’était réellement passé.

Après mon départ, Burkard, Villepin frère et soeur, Debray et tous les autres continuèrent leur travail de sape, en liaison constante avec les Américains. De prétendus rebelles, commandés par un assassin notoire, entrèrent dans le pays pour faire diversion dans le nord. Une délégation fut envoyée à Paris par le président pour rencontrer Villepin et demander l’aide de la France contre ces mercenaires afin de sauver la démocratie haïtienne. Elle était composée du ministre des Affaires étrangères, de la ministre de la Culture et du directeur de cabinet du président Aristide. J’eus l’occasion de les voir tous trois avant leur rencontre avec Villepin, qui eut lieu dans l’après-midi du vendredi 27 février 2004.

Villepin les reçut entre deux portes et leur fit comprendre que le sort du président Aristide était scellé. Il avoua en avoir eu confirmation de son homologue Colin Powell en personne. « Il vaudrait mieux qu’il démissionne. C’est toujours mieux que d’être obligé de monter dans un hélicoptère, la nuit, au fond d’un jardin. » Telle fut la formule de celui qui, depuis, s’est retrouvé devant la justice pour son implication présumée dans une sordide affaire de listings trafiqués. Villepin était donc parfaitement informé, au moins dès le 27 février, de l’enlèvement, en fait activement préparé par la France et les USA depuis plusieurs mois. Trois témoins peuvent l’attester..

Dans la nuit du 28 au 29 février 2004, après une dernière réunion entre l’ambassadeur des USA, Foley, et son homologue français, Burkard, des troupes américaines (et probablement françaises aussi) pénétrèrent secrètement en Haïti. Au milieu de la nuit, Luis Moreno, chef de la CIA à Port-au-Prince, se présenta au domicile privé du président avec une vingtaine d’hommes des forces spéciales. Plusieurs dizaines de soldats, équipés d’armes à visée laser et de systèmes de vision de nuit, investirent la propriété. Les Américains obligèrent le président Aristide et sa femme à monter dans une voiture qui se dirigea vers l’aéroport. Ils n’avaient pas le choix, leurs deux filles se trouvant chez leurs grands-parents, aux USA, et servant d’otages. Un grand avion blanc attendait sur le tarmac. Il ne portait aucune marque d’immatriculation, sauf un drapeau américain peint sur la queue. Moreno obligea le couple à monter.

L’avion décolla immédiatement pour se poser à Antigua. Aristide restait très digne. Sa femme pleurait en silence. Ils n’avaient pas de vêtements pour se changer et se doutaient que leur maison était déjà livrée au pillage. Peut-être allaient-ils mourir sans revoir leurs enfants. L’avion resta cinq heures stationné à Antigua. On refusa aux passagers de dire où ils se trouvaient ni ce qu’on allait faire d’eux. L’avion redécolla et traversa l’Atlantique.

Dominique de Villepin avait négocié avec Bongo pour que ce dernier serve d’intermédiaire auprès de François Bozizé, lequel venait de faire, avec l’aide de la France, un coup d’Etat en Centrafrique. Les Américains avaient reçu l’assurance qu’Aristide serait mis en détention dans une « prison militaire française ». Cette prison militaire française était en fait le palais du "président" Bozizé, effectivement contrôlé par un important détachement français..

L’"ami" qui m’avait fait rencontrer Mme Rossillon était aussi (le monde étant petit) un ami de Bozizé. Apprenant par la presse l’arrivée d’Aristide en Centrafrique, je suppliai cet "ami" de me mettre en contact avec le dictateur de Bangui. Je n’obtins qu’un numéro de télécopie qui me permit de faxer une lettre pour que Bozizé m’autorise à joindre Aristide.

Après plusieurs jours d’efforts, je parvins à parler au lieutenant François, qui était le geôlier du président et finis par le convaincre de m’autoriser à lui parler. Aristide ne me dit que ces mots : « C’est le fort de Joux numéro 2 ! » C’était assez clair, puisque le fort de Joux était le lieu où les Français, après l’avoir enlevé, avaient mis en détention et exécuté Toussaint Louverture (officiellement mort de froid et de tristesse). Cette formule était un appel au secours. Je lui demandai s’il pouvait parler aux journalistes. Cela lui était impossible. Je donnai au président un rendez-vous téléphonique à 17 heures. Je me trouvais cette fois dans les studios de la radio RTL, dont il convient de saluer l’indépendance, et cette conversation fut enregistrée.

Le président Aristide déclarait avoir été enlevé avec la complicité de Dominique de Villepin, de sa sœur, Véronique de Villepin-Albanel, de Régis Debray et de l’ambassadeur Thierry Burlkard. La conversation que j’avais eue avec le président Aristide fut diffusée le lendemain matin, sans aucune censure, au journal de sept heures. Le soir, je récidivais, mais sur TF1 cette fois, grâce à l’amicale complicité de Patrick Poivre d’Arvor, que je dois lui aussi remercier pour son courage, puisqu'il réussit, non sans mal, on peut l'imaginer, à imposer le sujet au journal de 20 heures. Une troisième rencontre fut organisée par mon entremise, chez Marc-Olivier Fogiel cette fois. Fogiel avait tenu à faire lui-même l’interview. Elle serait diffusée sur le plateau de France 3 en ma présence. Je fis confirmer ces dispositions par écrit. J’établis le contact et Fogiel fit son interview. Ses collaborateurs avaient préparé des
questions du genre : « M. Aristide, vous êtes un dictateur, un trafiquant de drogue et un assassin, et vous avez pris la fuite pour échapper à la fureur du peuple que vous avez trahi, n’est-ce pas ? » Aristide répondit à Fogiel d’une manière si convaincante et avec un tel calme qu’il devenait évident qu’il avait été calomnié et enlevé.

L’interview du président Aristide et ma présence étaient annoncées dans toute la presse pour l’émission en direct du dimanche soir. On avait prévu un taxi pour que je m’y rende. Une heure avant le rendez-vous fixé, le journaliste qui avait monté le sujet m’appela pour me dire que la diffusion et l'entretien exclusif avec le président, de même que ma présence sur le plateau, étaient "déprogrammés". C'était un stagiaire qui avait encore des illusions. Il était écoeuré par ce qu'il appelait lui-même une censure, ayant travaillé tout le week-end.

Je ne reçus jamais d’explication de Fogiel, mais j’imagine que Villepin s’était opposé à cette diffusion en intervenant directement auprès de Marc Tessier, à l’époque président de France Télévisions. Néanmoins, en partie grâce aux interviews diffusées sur RTL et TF1, et qui firent beaucoup de bruit, Bozizé fut obligé de laisser Aristide repartir lorsqu’un avion affrété par les amis démocrates du président (et où se trouvaient notamment Maxine Waters et Randall Robinson) se rendit, quelques jours plus tard, à Bangui. Au grand dam des Américains et des Français, Aristide put repartir en Jamaïque et y retrouver ses deux filles.

Je devais apprendre plus tard qu’il avait été prévu que le président, comme je le pressentais, et comme il le pressentait sûrement lui-même, trouve la mort dans sa prison de Bangui. Il m’est impossible d’affirmer que Villepin était impliqué dans la préparation de cet assassinat, mais, dans la mesure où j’ai pu avoir la confirmation et la preuve irréfutable qu’il était bel et bien programmé, j’imagine qu’il n’était pas difficile au ministre des Affaires étrangères d’être au moins informé de ce qui allait se passer. Plusieurs semaines plus tard, je reçus un appel téléphonique de Jamaïque. C’était Aristide. Il me dit qu’un « grand oiseau » viendrait le prendre le soir même et qu’il allait retourner dans le pays originel sous la protection de l’homme que j’avais rencontré pour le bicentenaire. Cela voulait dire que Thabo Mbeki lui envoyait un avion à destination de Prétoria.

A la faveur de ces évènements, Aristide et moi nous liâmes d’amitié. Depuis six ans, il vit à Prétoria, sous la protection des Etats africains et de la Caricom (c'est à dire de tous les états nègres de la planète, ceux qu'on ne désigne jamais comme faisant partie de la "communauté internationale") avec, comme seul revenu, le salaire qui lui est versé pour les cours qu’il donne à l’université d’Afrique du sud. Je n'ai pu m'offrir qu'une fois le voyage pour aller le voir. J'en ai profité pour l'interviewer. Il ne s’est jamais écoulé un mois sans que nous nous téléphonions. Notre dernier entretien, c’était il y a trois jours.

Aristide a tout enduré, ne s'est jamais plaint, n'a jamais plié. Une fois le président Aristide renversé, Villepin et Bush, violant impunément la constitution du pays, mirent en place une nouvelle dictature sous l’égide d’un Américain, Gérard Latortue, une crapule nommée par les anciens pays esclavagistes «premier ministre de transition». La première mesure de Latortue fut d’annuler la demande faite à la France de restitution des 21 milliards de dollars extorqués à partir de 1825. Deux ans plus tard, les partisans d’Aristide élisaient René Préval à la présidence, dans l’espoir qu’il permette à Aristide de rentrer dans son pays. Le jour de cette élection, j’étais dans le bureau du ministre français du tourisme, Léon Bertrand. Il fut très étonné que je lui donne le nom nu président qui allait être élu, car ce n’était pas le candidat de la France.

Aujourd’hui, Léon Bertrand, ami intime de Chirac (l'homme qui ne se "commet" pas avec n'importe qui) est en prison pour corruption. Ainsi va le monde. René Préval, depuis quatre ans, n’a pas pu, n’a pas voulu ou n’a pas osé faire rentrer son ex-ami.. Les Haïtiens n’ont jamais cessé de manifester pour le retour de leur président, honteusement enlevé par les Américains et la France. Un jour peut être, qui n'est pas forcément éloigné, un nouvel « oiseau » venu d’Afrique reconduira dans son pays celui qui n’aurait jamais du le quitter.

Dans cet avion, le président Aristide sera accompagné de quelques amis américains : Danny Glover, Randall Robinson, Maxine Waters. Il y aura sûrement un Français aussi dans cet avion. Il se pourrait bien que ce soit moi. Régis Debray a écrit un livre sur la «fraternité». Il s’apprête certainement à faire campagne pour l’élection de Villepin en 2012 avec l’espoir d’être nommé ministre de la Culture. Quand il marche dans la rue, il n’y a plus de gendarmes pour l’escorter. Je ne lui ai jamais administré la paire de gifles qu’il mériterait certainement de recevoir. Je préfère le laisser avec sa conscience et le souvenir des milliers de morts, des dizaines de milliers peut-être, qui suivirent le coup d’État donc il fut l’artisan. Sous le régime de Latortue, on enfermait les partisans d’Aristide dans des containers qu’on aller jeter ensuite dans la mer.

Véronique de Villepin-Albanel continue d’animer l’aumônerie de Sciences po. Elle ne s’est jamais exprimée sur ces événements, mais comme c’est, paraît-il, une bonne chrétienne, je suppose qu’elle me pardonnera d’avoir dit la vérité et qu’elle priera pour le salut de mon âme.

Villepin, devenu ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre, envoya l’année même du bicentenaire, un corps expéditionnaire de 1000 soldats français. On n’avait pas vu de soldats français en Haïti depuis la capitulation de 1803. Les soldats de Villepin firent sécher leurs slips, non pas sur la ligne Siegfried, mais sur les grilles du palais présidentiel. Ils baptisèrent l’opération « Rochambeau », du nom du général qui se servit de chiens dressés pour dévorer les nègres et qui entreprit l’extermination de tous les Haïtiens de plus de douze ans, en les faisant gazer au soufre dans les cales des bateaux. Le jour de leur départ, Paris Match publia l’interview d’une Haïtienne prétendant qu’elle avait assisté à une « messe noire » où le président Aristide avait «probablement» sacrifié un nouveau né en le coupant en morceaux.

La seule accusation qui n’ait jamais été portée contre le président d’Haïti, c’est la pédophilie.. Je m’étonne qu’ils n’y aient pas pensé. Burkard a pris sa retraite avec le traitement d’ambassadeur. Il est retourné chez lui, en Alsace, là d’où il était venu, jeune homme, certainement avec des rêves plein la tête. C’est le temps qui l’a puni. Il a l’air d’un vieillard. Il se pique à présent d’écrire. Des romans policiers régionalistes. Il est venu me voir au stand au salon du livre de Paris en 2009, un peu penaud, comme pour faire la paix. J’ai brandi le livre que je signais, «Le nègre vous emmerde». Il a fait demi-tour.

Quant à Villepin, il m’a fait appeler par son secrétariat, en septembre 2005, alors qu’il était Premier ministre, pour me nommer membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du fait de mon engagement pour les droits de l’homme.

Comme j'étais notoirement l’ami de quelqu’un qu’il a accusé de violer ces mêmes droits de l’homme, cette nomination était bien étrange. Pour exprimer ma gratitude, j’ai publié, deux mois plus tard, un livre sur Haïti : Le crime de Napoléon. Je n’ai pas été renommé à la CNCDH au moment de son renouvellement. Au fait, l'aéroport de Cayenne s'appelle "Rochambeau". Je m'étonne que Christiane Taubira, députée de la Guyane, n'ait jamais demandé qu'on le débaptise. Un livre de Randall Robinson, relatant dans le détail tous ces événements, est sous presse pour être publié le 18 février 2009 sous le titre Haïti, l'insupportable souffrance. J'aurai eu l'honneur de le publier et de le préfacer. Telle sera ma modeste contribution, avec le témoignage publié quotidiennement depuis dix jours sur ce blog, à la reconstruction d'Haïti. Je n'ai écrit que la vérité. L'histoire jugera.

Claude Ribbe





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