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24 mai 2016 2 24 /05 /mai /2016 19:50

http://www.lesinrocks.com/2016/05/21/actualite/recuperation-opportunisme-depolitisation-a-nuit-debout-guerre-activistes-declaree-11829830

Récupération et opportunisme, à Nuit Debout, la guerre des activistes est déclarée

Par Mathieu Dejean

Samedi 21 Mai 2016

Plusieurs personnes mobilisées depuis le début du mouvement des Nuits Debout dénoncent l’appropriation des réseaux sociaux par un groupe « d’entrepreneurs de la démocratie deux point zéro » et les velléités de certains d’utiliser le mouvement à des fins politiciennes.

Est-ce un effet de la fatigue, après quelques cinquante nuits passées debout depuis le Jeudi 31 Mars 2016 ? A l’enthousiasme de participer à un mouvement inédit de contestation de « la loi travail et de son monde » place de la République à Paris, a succédé le ressentiment entre certains activistes de la première heure. La polémique a éclaté au grand jour le Samedi 14 Mai 2016, lors de la lecture d’un texte collectif de plusieurs membres des commissions structurelles du mouvement des Nuits Debout devant l’assemblée populaire. En cause, la gestion des outils de communication en ligne du mouvement, site internet, twitter et facebook.

« Le relatif dépeuplement de la place depuis quelques jours peut être imputé en partie à la diffusion de messages apolitiques, inoffensifs et pour tout dire démobilisateurs. La révolution des likes n’aura jamais lieu », clament-ils. Et de jeter à la vindicte sans les nommer des « professionnels du marketing et du community management qui se sont accaparés » ces outils. Jeudi 19 Mai 2016, dans un nouveau texte collectif qui a circulé sur différentes listes du mouvement des Nuits Debout, les noms sont lâchés.

Noémie Tolédano et Baki Youssouphou, co-fondateurs de l’agence de communication Raiz, sont accusés d’avoir acheté le nom de domaine www.nuitdebout.fr, tandis que Benjamin Ball, hyper-militant et community organizer influencé par Saul Alinsky et Joseph Boussion, ancien porte-parole de Nouvelle Donne, dont il a démissionné au mois de juin 2015, sont accusés de monopoliser et de dépolitiser la communication en ligne du mouvement.

Pire encore, ils auraient l’intention de faire du mouvement des Nuits Debout « leur tremplin pour les élections » de 2017. En effet, Mardi 3 Mai 2016, une réunion à laquelle ont participé Benjamin Ball et Joseph Boussion portait sur l’articulation entre le processus de Vogüé Saillans et le mouvement des Nuits Debout. Le processus de Vogüé Saillans, du nom d’une petite commune de l’Ardèche, consiste en des rencontres d’une quarantaine de mouvements citoyens dont une partie travaillent à construire un label citoyen en vue des élections législatives de 2017.

Joseph Boussion est par ailleurs l’un des candidats déclarés sur le site de la primaire ouverte pour les élections présidentielles de 2017.

Les élections législatives en ligne de mire ?

Dans un compte-rendu de cette réunion qui a fuité, il apparaît que les participants réfléchissaient au moyen d’amener le mouvement des Nuits Debout à s’intéresser aux élections. On y lit par exemple cette série de questions, « comment faire pour que les élections législatives deviennent un objectif commun ? Comment aller aux élections législatives ? Quelle stratégie dans cette phase de politisation ». Et l’une des solutions évoquée, « en créant une commission sur le thème des élections législatives dans le mouvement des Nuits Debout ».

Contacté par www.lesinrocks.com, Benjamin Ball, membre du Media Center, qui s’est fendu d’une lettre ouverte en réponse à certaines de ces accusations, précise que ce compte-rendu ne reflète pas l’ensemble de ce qui a été dit et défend que leur intention n’était pas de manipuler le mouvement.

« Avant le mouvement, une partie des gens qui participent au Média Center avaient un passé militant. Joseph et moi sommes engagés dans le processus de Vogüe Saillans. Nous travaillons plus spécifiquement à la création d’un label citoyen pour qu’un mouvement fort, qui parte de la base, se constitue sans se transformer en un Podemos, trop vertical. Cette réunion a beaucoup porté sur le mouvement des Nuits Debout, car il est au cœur des débats à l’heure actuelle, pourquoi les gens viennent ? Y a-t-il eu des tentatives de récupération ? Est-ce que la question électorale est posée au sein du mouvement des Nuits Debout ? Comment aider à ce que cette question se pose ? C’est tout. Ma réponse a été de dire qu’il y a peu d’endroits où la question se pose, en tout cas pas place de la République ».

« Manœuvres politiciennes »

Qu’à cela ne tienne, la publication de cette information fait bouillonner le terreau militant du mouvement des Nuits Debout. Du côté du groupe des initiateurs proches ou membres du collectif pour la convergence des luttes, la découverte de ce compte-rendu a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

« Ce sont les premiers à reprocher aux membres du collectif pour la convergence des luttes d’être trop politisés, à nous suspecter de rouler pour Jean Luc Mélenchon par exemple, des soupçons de noyautage par le Parti de Gauche ont circulé au mois d’avril 2016, mais nous nous apercevons que sous les apparences, ce sont eux qui font des manœuvres politiciennes », plaide Leïla Chaibi, membre du collectif pour la convergence des luttes et par ailleurs encartée au Parti de Gauche, qui n’a toutefois pas participé à la rédaction du texte collectif. Le problème c’est qu’ils n’en débattent pas publiquement, c’est fait de manière cachée ».

Concernant le nom de domaine www.nuitdebout.fr, Benjamin Ball confirme qu’il a été déposé par Noémie Tolédano et Baki Youssouphou au nom de la société Raiz, « pour éviter que cela soit fait par des personnes mal intentionnées ». Les réseaux sociaux ont eux été créés collectivement, « l’un des principes du mouvement des Nuits Debout, c’est que celui qui propose fait et qu’il est ensuite responsable. Nous avons donc créé le Media Center. Au départ, nous étions entre huit et dix. Maintenant nous sommes vingt sept, dont certains ne sont pas forcément de Paris, il y a donc une forme de représentativité ».

Celle-ci ne satisfait pas certains de ses détracteurs, qui reprochent à certains animateurs du Media Center de prononcer des « arbitrages apolitiques, ou en tout cas peu représentatifs de la combativité du mouvement des Nuits Debout ». Camille, qui compte parmi les initiateurs du mouvement des Nuits Debout, et qui préfère garder l’anonymat, rapporte ainsi que « dès qu’on suggère des communiqués trop engagés, ils ne le diffusent pas, sous prétexte que cela nuit à une narration positive du mouvement. Le Média Center définit sa stratégie de communication de manière autonome. Quand on voit que ces gens disposent du seul outil qui permet au mouvement des Nuits Debout d’exister en dehors de la place, c’est problématique ».

Où va l’argent des t-shirt ?

Enfin, le texte collectif dénonce la commercialisation sur la place de la République de T-shirt à l’effigie du mouvement des Nuits Debout, pour le compte de la Boîte Militante, émanation de l’association des Désobéissants. Les profits, qui devaient être reversés au mouvement, sont soupçonnés d’être « entièrement privatisés ». Qu’en est-il vraiment ? Xavier Renou, meneur des Désobéissants, explique avoir vendu jusqu’à présent, grâce aux stands de l’association sur la place de la République et à la boutique en ligne, trente trois T-shirt, qui ont rapporté environ cent cinquante euros à l’association. Les Désobéissants auraient ainsi gagné davantage en vendant des crêpes sur la place, dont les bénéfices ont été reversés à la commission logistique. Il est vrai que le prix du T-shirt est dissuasif, dix neuf euros et cinquante centimes. « C’est du tissu écologique du label GOTS, le plus exigeant au monde, et nous les faisons confectionner dans un chantier d’insertion sociale en banlieue parisienne, la fabrication est donc locale », précise Xavier Renou.

Au départ, les bénéfices de la vente des T-shirt, ainsi que les ressources tirées de l’Alter Journal Télévisé (AJT), journal alternatif lancé il y a un an par les Désobéissants, devaient servir à financer la Télévision Debout. Mais la méfiance du mouvement vis-à-vis des étiquettes et autres drapeaux a eu raison de ce projet, « les gens ont finalement souhaité garder une totale indépendance, y compris vis-à-vis de l’AJT. Ils ont lancé un pot commun sur internet qui a bien fonctionné », relate Xavier Renou. L’argent de l’AJT et des T-shirt a donc servi à financer des stages de formation à la non-violence et à la désobéissance civile dans les villes qui ont répondu à l’appel « Nuits Debout cent pour cent non-violentes et désobéissantes ».

Si ces querelles internes témoignent de la vigilance de certains activistes qui ont à cœur que le mouvement ne soit pas récupéré, elles montrent aussi qu’il a en partie échoué à sortir du ghetto militant. Elles témoignent enfin d’un clivage politique profond entre deux camps, l’un dit citoyenniste, défendant une ligne « ni droite ni gauche », et souhaitant concilier convergence des luttes et convergence de ceux qui ne luttent pas encore, et l’autre qui souhaite surtout faire converger les collectifs en lutte et qui n’a pas peur de se revendiquer de l’anticapitalisme. Le mouvement des Nuits Debout n’a-t-il pas d’ailleurs failli s’appeler le mouvement des Nuits Rouges ?

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