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30 septembre 2017 6 30 /09 /septembre /2017 15:49

 

 

Un mésusage de l’histoire récente

 

Par Hugo Melchior

 

Depuis le commencement de la mobilisation sociale contre la réforme du code du travail, rebaptisée en deuxième loi travail, comme pour souligner le fait qu’elle parachèverait la première loi travail qui avait constitué une nouvelle étape dans le processus de réorganisation néolibérale du marché du travail en France, ses opposants syndicaux et politiques n’ont eu de cesse de convoquer le passé récent. Ils l’ont fait dès que les journalistes les ont interrogés sur l’opportunité de continuer à mobiliser leurs forces militantes et, de façon générale, sur leurs réelles chances de succès au regard de l’objectif qu’ils se sont eux-mêmes fixés, à savoir le retrait de la réforme, alors même que les cinq ordonnances ont été signées par le président Emmanuel Macron, Vendredi 22 Septembre 2017, et qu'elles ont été publiées, Samedi 23 Septembre 2017, au Journal Officiel pour une entrée en vigueur immédiate. En faisant un usage politique de l’histoire, les opposants déclarés à la deuxième loi travail entendaient démontrer qu’on ne serait nullement dans l’irréversible, malgré le calendrier extrêmement serré et une mobilisation qui s’est caractérisée, jusqu’à présent du moins, par sa petitesse. Autrement dit, le mouvement social serait parfaitement capable de défaire ce qui venait d’être accompli par le président de la république avec le soutien unanime de sa majorité parlementaire. A les entendre, il serait donc encore possible de revenir à la situation antérieure à l’inscription de cette énième réforme structurelle du marché du travail dans le droit positif. Les batailles décisives resteraient à venir. L’histoire resterait ouverte. Rien ne serait joué.

Un passé récent manipulé opportunément par les opposants à la deuxième loi travail pour légitimer politiquement leur refus de renoncer à agir ensemble contre cette contre-réforme, mais quel passé récent justement ? Il s’agit là en réalité, une fois encore, de la dernière vraie victoire du mouvement social contre un gouvernement en exercice, en l’occurrence la mobilisation, pendant l’hiver 2006, d’une large partie de la jeunesse scolarisée, lycéenne et estudiantine, contre le Contrat Première Embauche (CPE), mobilisation qui fut soutenue à l’époque, et cela dès le début, par l’ensemble des organisations syndicales de salariés s’accordant sur le mot d’ordre négatif commun de retrait du CPE. Interrogé, Vendredi 22 Septembre 2017, à peine sèche l’encre utilisée par Emmanuel Macron pour parapher les ordonnances, le député du Mouvement de la France Insoumise (MFI) Adrien Quatennens expliqua sur BFM Télévision qu’il croyait plus que jamais en la possibilité de rendre, en dernière analyse, nulles et non avenues ces ordonnances désormais force de loi, car il existait dans l’histoire le précédent du mouvement contre le CPE auquel il dit, d’ailleurs, avoir participé en tant que lycéen, « oui, j’y crois totalement, et je vais vous dire pourquoi. Je me suis engagé en politique contre une réforme qui était dans la même philosophie et j’ai vu de mes propre yeux qu’une mobilisation de grande ampleur pouvait avoir raison d’une loi même si elle avait été votée ».

Olivier Besancenot, porte parole du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), usa de cette même référence historique pour répondre à un journaliste qui lui faisait remarquer la faiblesse numérique de la mobilisation contre cette nouvelle loi travail jusqu’à présent, « la rue a été capable de défaire des lois. En 2006 au moment du CPE de Dominique de Villepin, il avait été voté par le parlement à l’époque et il avait été défait par la rue ». Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT), employa le même raisonnement cette semaine, comme c’était déjà le cas en 2016.

L’exemple historique du CPE permet aux opposants à la loi travail de se rassurer à bon compte en apportant la preuve par le fait que le mouvement social a déjà été capable de rendre une situation suffisamment coûteuse politiquement pour un gouvernement, afin que ce dernier n’ait d’autre choix que de renoncer à son projet de réforme.

Ce qui a été rendu possible hier pourrait l’être à nouveau demain. Mais pour que cela soit possible, encore faut-il que les conditions objectives soient réunies. Or, les personnalités, qui ont pris l’habitude de convoquer l’exemple du CPE pour mieux l’ériger en argument d’autorité face aux journalistes sceptiques quant au devenir de la mobilisation en cours, ne s’étendent jamais sur ce qui fut la réalité de cette période d’exception politique, au risque de recourir à des analogies historiques qui, au regard de l’analyse concrète de la situation sociale et politique actuelle, n’ont pas lieu d’être.

Ce que retiennent les opposants manipulateurs de cette séquence politique victorieuse, qui demeure jusqu’à nos jours la seule victoire incontestable du mouvement social du point de vue de ses objectifs initiaux depuis 1995 et qui, par là-même, occupe une place centrale dans les mémoires collectives, c’est uniquement qu’un gouvernement s’est vu obligé d’annuler sa réforme pourtant votée par le parlement.

Pourtant, ce que ne précisent pas ces mêmes opposants, c’est à quel niveau de conflictualité extraordinaire, au sens propre du terme, il a fallu arriver pour rendre la situation politique intenable pour le gouvernement de Dominique de Villepin. En effet, avant que le gouvernement ne se résolve finalement, le 10 avril 2006, à renvoyer aux calendes grecques son nouveau contrat de travail atypique qui était destiné exclusivement aux femmes et aux hommes âgés de moins de vingt cinq ans, il a fallut arriver à une réalité temporelle sans précédent où l’on avait une combinaison de plusieurs facteurs.

Il y avait plusieurs dizaines d'universités, dont la deuxième université de Rennes fut un des fers de lance, dans lesquelles les étudiants avaient décidé souverainement, dans le cadre d'assemblées générales massives, une suspension prolongée des enseignements et une occupation physique des bâtiments. Cela dépassa en intensité ce que fut le mouvement de la jeunesse scolarisée contre le projet de loi d'Alain Devaquet au mois d'octobre et au mois de novembre 1986, faisant de ce mouvement de la jeunesse scolarisée le plus massif et le plus long de l’histoire sociale française.

Il y avait des manifestations à l’ampleur exceptionnelle dont le nombre de participants n'a cessé de croître au fil des semaines pour rassembler à trois reprises entre un et trois millions de manifestants au mois de mars et au mois d'avril 2006, ce qui en a fait les plus importantes journées de manifestations depuis 1945.

Il y avait des actions collectives en marge de la légalité visant à bloquer temporairement les flux existants des gares, des autoroutes et des transports en commun, et qui furent menées, le plus souvent, par des groupes d'étudiants, certes en nombre limités, mais particulièrement mobiles et déterminés.

Il y avait le recours, à Rennes notamment, à une stratégie de la tension dans l'espace public via le recours à des interactions violentes, tout à fait délibérées, avec les forces de l'ordre dans le but que la conflictualité ne retombe pas même une fois les manifestations de rue achevées.

Aussi, si le mouvement contre le CPE a gagné en dernière instance, c’est d’abord parce qu'il a réussi à faire en sorte que les décideurs politiques ne puissent plus vivre et gouverner comme avant, pour reprendre la fameuse phrase de Vladimir Lénine, en provoquant au sein de la majorité présidentielle des divisions importantes qui finirent par isoler complètement le premier ministre Dominique De Villepin. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, profita ainsi opportunément de la mobilisation en cours pour se débarrasser une fois pour toutes de celui qui apparaissait encore, au sein de sa famille politique, comme son principal rival dans la perspective des élections présidentielles de 2007.

Pour cela, le mouvement contre le CPE a été érigé, au cours de la dernière décennie, en véritable mythe fondateur, du fait qu’il demeure dans l'histoire sociale récente une désespérante exception et cela au risque que son souvenir soit rappelé automatiquement au présent pour réconforter les dirigeants contestataires sur le fait que tout reste possible, même si cela n’est pas du tout approprié du fait de la dissemblance béante entre la situations politique de 2006 et celle d’aujourd’hui. En effet, jusqu’à présent, pour ne prendre que ces deux éléments, aucune université n’a voté la grève prolongée des cours et les manifestations dans l’espace public n’ont rassemblé qu’une fraction tout à fait minoritaire de personnes syndiquées.

Ainsi, au lieu de jouer avec des analogies historiques sans fondement, les leaders du mouvement social devraient davantage s’interroger sur cette réalité têtue qui veut que, depuis cette victoire inespérée en 2006, le mouvement social n’a connu qu’une série de défaites en 2007, en 2009, en 2010, en 2013 et en 2016, révélant combien celui-ci semble, aujourd’hui, impuissant à se donner les moyens d'atteindre ses objectifs qui demeurent, par ailleurs, systématiquement négatifs, le retrait d'une réforme.

Les raisons de cette situation sont multiples, désyndicalisation continue depuis les années 1980, entrée en récession du marxisme comme cadre d’interprétation du réel et comme projet de société, disparition de la conscience politique de classe dans des pans entiers du monde salarial, remise en cause des collectifs et des solidarités au travail, crise de foi dans les vertus de l’action collective comme la grève et les manifestations et impossibilité pour des pans entiers du salariat de faire grève dans les faits, sinon en droit, notamment dans l’océan des petites entreprises.

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