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15 mars 2018 4 15 /03 /mars /2018 19:44

 

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/14/pourquoi-nous-continuons-de-soutenir-les-inculpes-de-tarnac_5270505_3232.html

 

https://boris-victor.blogspot.fr/2018/03/le-comite-invisible-dix-ans-de.html

 

Pourquoi nous continuons de soutenir les inculpés de Tarnac

 

Dans une tribune au Monde, un collectif de personnalités parmi lesquelles Alain Badiou ou Rony Brauman estime que le procès qui s’est ouvert le Mardi 13 Mars 2018 montre que l'état a mis en œuvre des moyens démesurés pour empêcher la contestation.

 

Alors qu’au terme de dix ans de procédure, d’errements et d’acharnement, s’ouvre finalement un procès de trois semaines pour juger l’affaire dite de Tarnac, on pourrait croire qu’il s’agit là d’un cas un peu rocambolesque remontant à la lointaine période où Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie officiaient à la tête de la république, mais ce n'est pas vrai.

Cette affaire raconte, en une illustration par l’absurde, comment l’antiterrorisme est devenu, non une simple politique de répression, mais un rouage essentiel de l’action publique. Elle dit aussi, dans l’état où elle va être jugée, la configuration actuelle des rapports de force politique.

En dix ans, à force d’appels maniaques du parquet qui s’est porté jusqu’en cassation, le combat bec et ongles des inculpés a arraché une sorte de jurisprudence Tarnac, les formes d’action révolutionnaire ne sont pas passibles de l’incrimination de terrorisme, du moins jusqu’à nouvel ordre. L’offensive de 2008, qui voulait que de simples tags, à partir du moment où ils étaient assimilables aux anarchistes autonomes de la tendance d’ultra gauche, soient traités par l’antiterrorisme, a été repoussée.

Mais entre-temps, les services de renseignement, qui fonctionnent largement comme une police politique, se sont constitués un nouvel arsenal, plus discret, plus maniable et plus efficace, en contournant ladite jurisprudence. Plutôt que de construire de ronflantes associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, on se contente désormais de banales associations de malfaiteurs, inventées d’ailleurs à cet effet au dix neuvième siècle par les lois scélérates contre les menées anarchistes.

Comme lors de l’affaire du quai de Valmy, dans laquelle, au mois de mai 2016, deux policiers étaient violemment pris pour cibles par des militants antifascistes dans leur voiture, à Paris, on monte en épingle un épisode fortuit, que l'on appuie de quelques témoignages anonymes de policiers, pour se débarrasser de gens ciblés préalablement par la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) comme trop remuants. On surveille toujours autant les lieux politiques et, lorsqu'une sortie de classe a lieu à la maison de la grève, à Rennes, la DGSI fait discrètement pression sur le rectorat pour que cela ne se reproduise plus, au risque de donner naissance à des générations de zadistes.

Des fichés S, mais travaillant comme vacataires dans l'éducation nationale, se voient tenus à l'écart de tout poste, sur les conseils avisés de la même DGSI, qui veille au grain, bref, rien que des procédures ordinaires, des mesures administratives, des notes blanches et des incriminations d'association de malfaiteurs, comme à Bure, Rennes, Paris, Nantes et, en l'espèce, comme pour le procès de l'affaire dite de Tarnac.

A Rennes, l'association de malfaiteurs était constituée par le fait que des jeunes gens s'étaient concertés dans des locaux syndicaux, durant la lutte contre la loi travail, au mois de mai 2016, pour bloquer les composteurs de billets du métro. Dans l'affaire dite de Tarnac, c'est le fait d'être allé, à quelques-uns, à une manifestation contre le sommet des ministres de l'intérieur de l'Union Européenne sur la question de l'immigration, à Vichy, en  2008, et d'en avoir discuté lors d'un repas, qui vaut à quatre des inculpés d'être poursuivis sous ce pesant chef d'inculpation.

De sombres temps s'annoncent pour tous les manifestants si une telle construction, de surcroît mise en morceaux depuis longtemps, devait être validée par un tribunal correctionnel. Au-delà des personnes enrôlées il y a dix ans dans cette farce, l'affaire donne clairement à voir jusqu'où l'état est désormais autorisé à pénétrer dans nos existences sous le couvert de la lutte antiterroriste. Le délit d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste qui sert de clé de voûte à ce genre de procédures n'a, de l'aveu même des juges, pas de contours clairement définis. Il repose sur l'idée que l'état est légitime à punir de manière préventive, c'est-à-dire avant toute tentative de passage à l'acte. Le terrorisme serait tellement terrifiant qu'il justifierait de punir tous les suspects et tous ceux qu'on juge susceptibles de commettre un jour l'irréparable.

Comme il fallait s'y attendre, ce droit pénal réputé d'exception qui incrimine les intentions s'est littéralement répandu dans le droit ordinaire. Est ainsi apparu le délit de participation à une bande ayant des visées violentes, commode pour incriminer deux jeunes, portant un sweat à capuche, qui courent après un bus, ou encore le délit de participation à un attroupement susceptible de troubler l'ordre public.

Avec l'épisode de l'état d'urgence, l'état ajoute une corde à son arc. En plus du droit pénal devenu exorbitant, il réquisitionne l'arsenal administratif, assignations à résidence, perquisitions et périmètres de sécurité ordonnés par le ministre de l'intérieur ou le préfet sur la base de simples soupçons, indépendamment de tout indice établissant la commission d'une infraction.

Et, alors même que rien de tout cela n'a été efficace contre le terrorisme, les rapports parlementaires sont catégoriques, et que l'administration a manifestement fait un usage détourné de ses nouvelles prérogatives, une loi votée en toute urgence transpose le dispositif de crise dans le droit ordinaire.

Dans ce contexte singulier, l'affaire dite de Tarnac est une goutte d'eau dans l'océan sécuritaire. De nombreux musulmans, suspects d'affinités terroristes, font l'objet d'une neutralisation préventive par l'administration, sorte de justiciables hors zone. On sait les violences policières dans les quartiers réputés difficiles, celles déployées contre les étrangers et, dernièrement, contre les opposants à la loi travail et on voit les syndicalistes condamnés pour outrage à patron. La pente est douce, mais l'inclinaison est certaine. Face à la moindre contestation, l'état déploie des moyens démesurés. Il utilise chaque nouvel attentat pour resserrer, parfois jusqu'au ridicule, l'étau du contrôle et il affine une législation qui nous placerait tous en liberté conditionnelle. Nous ne sommes pas dupes. Et nous fêterons la relaxe à venir des inculpés de l'affaire de Tarnac sans illusion sur l'état du droit, déterminés à lutter encore contre ces techniques de gouvernement.

 

Premiers signataires

 

Giorgio Agamben, Alain Badiou, Ludivine Bantigny, Eric Beynel, Rony Brauman, Annick Coupé, Eric Fassin, Eric Hazan, Frédéric Lordon, Patrice Maniglier, Xavier Mathieu, Jean Luc Nancy, Serge Quadruppani, Josep Rafanell i Orra, Sophie Wahnich

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