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16 mars 2019 6 16 /03 /mars /2019 17:22

 

 

https://www.elwatan.com/a-la-une/4e-vendredi-de-manifestations-a-alger-son-excellence-le-peuple-vous-a-tous-vires-16-03-2019

 

Des marches imposantes dans tout le pays, la réponse cinglante du peuple

Quatrième vendredi de manifestations à Alger, « son excellence le peuple vous a tous virés »

Et encore une claque, et quelle claque, les algériens ont répondu massivement au dernier courrier du président par correspondance et ses vaguemestres, Noureddine Bedoui et consorts. Et, comme toujours, ils l’ont fait avec classe.

Le clan présidentiel tablait sur un essoufflement du mouvement du 22 février 2019 et une fissuration dans l’opinion après sa dernière proposition de sortie de crise. La réponse du peuple a été claire et nette, cinglante, sans appel et toujours avec le sourire, sur le mode « silmiya », avec des « smiley » et des « smahli » en veux-tu en voilà et des gestes de douceur et de bienveillance d’une rare prodigalité. De la tendresse à profusion, sauf envers ceux qui l’ont cherché et qui ont manqué de respect à son intelligence du cœur.

Vendredi 15 Mars à 11 heures 30, nous quittons la maison de la presse et nous marchons vers la place du premier mai en passant par la maison du peuple. Les portraits géants à l’effigie d'Abdelaziz Bouteflika accrochés sur la façade de l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA) doivent se sentir affreusement seuls comme le patient de Zéralda. Sur la place du premier mai, un important groupe de manifestants est déjà entré en action sous le regard passif de la police qui est encore plus décontractée par ce vendredi printanier. D’ailleurs, le dispositif antiémeute est sensiblement allégé.

Ce sont des citoyens qui organisent la circulation automobile entre deux blocs de manifestants. Des citoyens massés sur la place Mohand Tayeb Ferkoune donnent le ton avec des pancartes sur lesquelles on peut lire « Ni Nourddine Bedoui, ni Lakhdar Brahimi, ni Ramtane Lamamra, ils sont tous du système », « deuxième bataille d’Alger, la famille d'Abdelaziz Bouteflika contre le peuple », « non à cette mascarade politique » et « Abdelaziz Bouteflika, rends-nous notre patrie ». Sur le bord d’en face, un jeune brandit une large pancarte qui nous fend le cœur, « pour la première fois, je n’ai pas envie de te quitter, mon Algérie », écrit-il en français.

Et il a ajouté en arabe ce message bouleversant, « à nos frères harragas dévorés par les poissons, nous sommes désolés que vous ne soyez pas avec nous. Nous vous demandons pardon, parce que nous étions en retard. Nous essayons maintenant de bâtir l’Algérie que vous désiriez ».

Sur la rue Hassiba Ben Bouali, des cortèges de marcheurs drapés de l’emblème national, certains coiffés d’un chapeau ou un bob vert blanc rouge, défilent allègrement dans une ambiance festive.

Des vendeurs sur le trottoir proposent des articles aux couleurs nationales, des fanions, des écharpes, mais aussi des vuvuzelas, ces trompettes qui faisaient fureur dans les stades lors de la coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud. Deux jeunes paradent au milieu de la chaussée avec une large banderole, « barakat, à bas le régime des gangs ». Nous coupons par la rue Ahmed Zabana pour gagner la rue Didouche Mourad.

Des jeunes avec des gilets oranges et des brassards font partie d’un comité de vigilance. « C’est pour éviter tout grabuge et parer à d’éventuels dérapages », explique l’un d’eux. Ils ont disposé une table sur le trottoir derrière laquelle trône un mur d’images.

On y reconnaît les doux visages de Maurice Audin, d’Hassiba Ben Bouali, de Larbi Ben M’hidi et de Didouche Mourad. Des images satiriques sont également placardées, celles d’Abdelmalek Sellal et d’Ahmed Ouyahia, avec des bulles rigolotes.

Un wanted donne à voir quelque-unes des personnalités les plus impopulaires du moment, Djamel Ould Abbès, Ali Haddad, Sidi Saïd et Mouad Bouchareb. Des pancartes au ton plus solennel proclament « construisons le futur, système dégage ». Un peu plus bas, des jeunes sur le trottoir arborent cet écriteau, « on ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés ». Deux jeunes femmes descendent la rue Didouche Mourad avec une banderole sur laquelle est marqué « ni prolongation, ni report, partez ».

Ambiance de folie aux abords de la place Maurice Audin, pas de cordon de police, pas de Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI), un homme propose des dattes aux passants. Une forêt de drapeaux et de pancartes, plus inspirées, plus inventives et plus créatives les unes que les autres, nous happe d’emblée. Les slogans rivalisent d’ingéniosité, et nous nous en voulons de ne pouvoir les restituer et les documenter tous.

Un slogan fait l’unanimité, « il faut tous les virer ». La tirade est extraite d’une vidéo devenue culte, où l’on voit un jeune fhal, comme on les aime, répondre par ces termes à une journaliste de la chaîne Sky News Arabic qui recueillait ses sentiments le soir de l’annonce de l’annulation de l’élection.

On en trouve des déclinaisons très inspirées. Des militants l’ont même imprimée sur des t-shirts et l’un d’eux a eu la gentillesse de nous en offrir un, merci Samir. Une jeune femme a détourné pour sa part le fameux jeu télévisé, « questions pour un champion ». « Que veulent les algériens » interroge-t-elle, avant de proposer l’une de ces réponses, « qu’on viole leur constitution, un quatrième mandat sans fin, qu’on marie leur président ou bien que le système dégage ». Il y a d’autres pancartes, comme par exemple « on ne peut bâtir un nouveau bateau avec de vieilles planches », « demain sera plus beau qu’hier », « notre revendication est que vous partiez et notre projet est de construire l’état du peuple et des jeunes », « son excellence le peuple a décidé de vous virer », « la rue ne se taira pas », « nous ne sommes pas sur Facebook, nous sommes dans la rue », « nous avons demandé des élections sans Abdelaziz Bouteflika et nous n’avons pas demandé un coup d’état », « dégagez, laissez-nous vivre », « rendez-vous, vous êtes cernés par le peuple », « ce camembert président pue moins que votre système », « non à Abdelaziz Bouteflika et à ses dérivés », « vous avez prolongé votre mandat, nous prolongeons notre combat », « vous serez les prochains harragas » et « nous écrirons nous-mêmes notre histoire ».

Une jeune manifestante résume l’un des enjeux des prochains jours en disant « vigilance, qui va nous représenter, c’est à nous de nous représenter. Il faut que les jeunes soient dans la transition. Il faut être du côté du peuple et rester vigilant ».

Une femme en haïk arbore une pancarte sur laquelle elle a écrit « système corrompu, dégagez ». Elle s’appelle Nacera, elle est mère de huit enfants « et je suis grand-mère. Nous sommes là pour leur dire de dégager. Vingt ans, c’est trop. Il y a de jeunes cadres et de jeunes généraux qui sont prêts à prendre la relève. Il faut un changement de A à Z. Noureddine Bedoui et Ramdane Lamamra, c’est du passé. Il faut laisser la place aux jeunes générations. Beaucoup ont fait des études supérieures, on ne leur a pas donné leur chance. On a préféré la donner aux imbéciles heureux. Il faut un changement radical », dit-elle.

Zoubir, lui, est venu manifester avec ses deux enfants, une fille et un garçon. Ils brandissent une pancarte avec un arrache-clous. Il dit que « le cadre est tombé et les clous sont restés. Nous sommes là pour notre libération effective afin que nos enfants vivent libres et indépendants. La France est partie en 1962, mais elle a laissé ses enfants ici. Ce sont eux qui dirigent le pays. Ce régime est corrompu, nous le connaissons. Depuis toujours, il ne travaille que pour ses propres intérêts. Ces gens-là n’ont jamais œuvré pour l’intérêt du peuple. C’est toujours le peuple qui paie. Eux, ils ont tous une planque à l’étranger, pour se mettre à l’abri, eux et leur progéniture. Notre action depuis le 22 février 2019, c’est pour chasser ce régime afin que l’Algérie soit réellement indépendante, libre et démocratique ». Son fils dit que « nous espérons que cela sera la dernière ».

Dans la foule compacte, nous croisons Badi Abdelghani, avocat et défenseur des droits humains, qui s’est battu avec acharnement, en 2014 déjà, contre le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Nous lui avons posé la question sur la suite du mouvement et la question de la représentativité dans la période de transition. « Il est trop tôt pour parler de représentativité. Cela risque de casser le mouvement. Il faut laisser le hirak grandir. Il faut le laisser mûrir. C’est un mouvement horizontal qui produira lui-même ses formes de représentation. Le mouvement est en train de s’exprimer très clairement. Sa réponse est sans appel. Ses désirs sont des ordres. Ce ne sont pas des demandes qu’il est en train de formuler, mais des décisions scellées et non négociables», dit Badi Abdelghani.

Nous avons inévitablement croisé aussi l’infatigable Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), qui a été de toutes les manifestations depuis le début. Son regard sur l’évolution du mouvement du 22 février 2019 et ses perspectives fait sens. Il nous dit que « le peuple algérien est sorti, d’une manière très forte, durant les trois premiers week-ends et aujourd’hui il est sorti pour la quatrième fois d’une manière tout aussi forte. C’est une réponse claire à ce pouvoir qui a essayé d’étouffer, de manipuler et d’affaiblir ce mouvement, avec sa proposition d’aller vers une conférence nationale et d’enclencher des réformes, alors que le peuple algérien est sorti pour dire qu’il ne veut pas des réformes, qu’il ne veut pas un changement de personnes et qu’il veut un changement du système. Donc aujourd’hui c’est un message très clair qui est transmis au pouvoir et à ces responsables qui continuent d’insulter l’intelligence des algériens et de mépriser ce peuple. Je pense qu’ils n’ont d’autre choix que de céder à la rue. La revendication de la rue est très claire, c’est le changement de ce système. La mobilisation de la rue doit continuer et je pense que la démission d’Abdelaziz Bouteflika du poste de président n’est qu’une mesure d’apaisement de la rue. Il est là jusqu’au 26 avril ou au 27 avril et, au-delà du 26 avril, il ne peut plus exercer ses fonctions, donc il est temps pour lui et pour son gouvernement d’annoncer sa démission et de rendre le pouvoir au peuple. Ce peuple, j’en suis sûr et j’ai confiance en lui, va s’en occuper et va mettre les premiers jalons d’une république démocratique et sociale. L’Algérie n’est pas le premier pays qui va faire cette transition d’un régime autoritaire à une démocratie, il y a des méthodes et des procédures qui ont été éprouvées de par le monde, une période de transition gérée par des compétences nationales qui font le consensus est indispensable, mais pas par ces gens qui ont échoué durant des décennies et qui, aujourd’hui, veulent gérer la transition. Donc la transition devra être gérée par des personnes durant cette période qui sera bien déterminée. Nous allons réunir toutes les conditions pour revenir à l’exercice politique dans le respect des standards de démocratie, des libertés et de respect des droits de l’homme. Aujourd’hui c’est tout le peuple qui est sorti, mais notamment les jeunes. Le pouvoir n’a pas fait confiance à ce peuple et il nous a considérés comme des mineurs, mais le peuple algérien, particulièrement ses jeunes, ont donné une gifle à ce pouvoir, cela fait quatre semaines que ce peuple et que cette jeunesse sortent dans les rues sans qu’il y ait des incidents, sans qu’il y ait de violence, donc leur argument de la peur, comme ce qui se passe en Syrie, dans la région ne tient plus la route. Ils n’ont aucun argument aujourd’hui. Le moment est venu qu’ils partent et qu’ils laissent la place à ce peuple ».

Vendredi 15 Mars 2019 à 14 heures, l’avenue Didouche Mourad est noire de monde jusqu’à la Grande Poste. La foule, compacte, a déferlé par l’avenue Pasteur, jusqu’au Tunnel des Facultés, puis elle a pu franchir la barrière de police qui coupait le boulevard Mohammed V.

Plusieurs collègues sont bloqués, les clameurs montent encore et jamais Alger n’a connu une telle liesse. C’est historique. S’il vous reste une once de dignité, Abdelaziz Bouteflika, partez.

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