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27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 14:06

 

 

LETTRE OUVERTE AU PCI

Natalia Trotsky, Benjamin Péret et Grandizo Munis, écrivaient au mois de juin 1947 une lettre ouverte au Parti Communiste Internationaliste (PCI), qui était alors la Section Française de la Quatrième Internationale (SFQI). Vous trouverez ci dessous la dernière partie de cette lettre. Elle est disponible en totalité si vous consultez le site www.marxists.org à l'adresse ci dessous.

Bernard Fischer

 

https://www.marxists.org/francais/4int/postwar/1947/06/nt_19470600.htm

LETTRE OUVERTE AU PCI

La défense inconditionnelle de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) n'est pas, comme le considèrent malheureusement quelques tendances, consubstantiel à notre mouvement. Le critère qui a toujours prévalu dans notre attitude vis-à-vis de la question est la suivante. La défense de l'URSS dans une guerre contre des ennemis extérieurs aide t-elle ou entrave t-elle la révolution mondiale ? La défense inconditionnelle de l'URSS s'est révélée incompatible avec la défense de la révolution mondiale. La défense de la Russie doit être abandonnée de toute urgence parce qu'elle lie tous nos mouvements, parce qu'ell pèse sur notre progrès théorique et parce qu'elle nous donne aux yeux des masses une physionomie stalinisante. Il est impossible de défendre la révolution mondiale et la Russie en même temps. C'est l'un ou l'autre. Nous nous prononçons pour la révolution mondiale et contre la défense de la Russie et nous vous invitons à vous prononcer dans le même sens pour être fidèles à la tradition révolutionnaire de la quatrième internationale. Nous devons abandonner la théorie trotskyste de la défense de l'URSS et nous produirons ainsi dans l'internationale la révolution idéologique indispensable pour la réussite de la révolution mondiale.

C'est sans doute la question la plus importante qui fait litige dans notre mouvement, parce que de celle-ci dépendent à des degrés divers toutes les autres. En effet, les partisans de la défense inconditionnelle de l'URSS arrivent à la conclusion que la caste contre-révolutionnaire russe, en entrant dans les pays d'Europe orientale et en Asie, se voit obligée d'exproprier le capital et d'adapter l'économie aux formes existant en Russie, formes qu'eux-mêmes continuent de considérer comme socialistes car issues de la révolution. Quand Maurice Thorez, Palmiro Togliatti et d'autres chefs staliniens se sont référés aux nouvelles voies vers le socialisme sans avoir besoin de révolution, ils avaient, grosso modo, la même idée en tête. Mais la prétendue expropriation consiste dans la nationalisation des moyens de production. D'une part, la nationalisation est un résultat automatique de la concentration du capital à son déclin, c'est-à-dire de dégénérescence et de décomposition. D'autre part, le prolétariat européen, il y a de cela deux ans, s'est approprié les moyens de production.

En les nationalisant, les russes, comme l'ont fait aussi les anglais et les américains, que ce soit de cette façon ou en indemnisant les capitalistes privés, réalisent une opération d'expropriation du prolétariat. Et c'est ainsi que les partisans de la défense inconditionnelle de l'URSS ont présenté l'expropriation du prolétariat pratiquée par les troupes russes avec l'aide des partis staliniens et réformistes, comme un acte progressiste, presque révolutionnaire, quelque chose que le prolétariat doit défendre. Toute une tendance réformiste en puissance, et c'est peu dire, est déjà là en germe.

Gouvernements staliniens et réformistes et front unique avec le stalinisme, en France cette idée est exprimée concrètement avec le mot d'ordre de gouvernement du Parti Socialiste, du Parti Communiste Français (PCF) et de la Confédération Générale du Travail (CGT), mot d'ordre commun à la fraction d'Yavn Craipeau et à celle de Pierre Franck, qui partagent en outre la théorie potentiellement réformiste de la défense de la Russie et la majeure partie des idées qui portent préjudice au parti français.

Nous ne croyons pas nécessaire d'indiquer ici l'évolution conservatrice de la sociale démocratie ces dernières années, cela n'a été que de la pluie sur du mouillé. Le stalinisme est aujourd'hui mille fois plus dangereux pour la révolution, parce qu'il représente les idées et les intérêts d'une contre-révolution triomphante en Russie, qui offre au monde, et de façon plus immédiate en Europe, son expérience, sa puissance et sa solution propre contre le prolétariat en marche vers le socialisme. Les partis staliniens sont aujourd'hui de simples représentants et disciples de la contre-révolution installée au Kremlin. Comparés à eux, les mencheviks de 1917 étaient très révolutionnaires. Les mots d'ordre de front unique et de gouvernement ouvrier constituait en Russie un tout inséparable et issu des formes de démocratie prolétarienne existant dans les soviets, lesquels, c'est important, avaient été créés et conservés avec la collaboration des mencheviques et des socialistes-révolutionnaires. Le stalinisme est aujourd'hui absolument incompatible avec toute démocratie prolétarienne.

Où que soient apparus des organes de pouvoir révolutionnaire, de l'Espagne à Varsovie, Paris ou Milan, il s'est empressé de les détruire. Le stalinisme ne peut pas permettre que les révolutionnaires aient la parole. Le modèle du front unique et de gouvernement du Parti Socialiste, du PCF et de la CGT, ne peut en aucune manière faciliter la création des organes de démocratie et de pouvoir prolétarien et tout gouvernement stalinien ou sous influence stalinienne apporte avec lui l'anéantissement physique de l'avant-garde révolutionnaire.

Il est donc urgent et nécessaire que le PCI et notre mouvement international rejettent ces deux mots d'ordre aujourd'hui périmés. L'exemple de l'Europe orientale n'est-il pas éloquent ? Le prolétariat n'a pas vraiment d'illusions dans la démocratie bourgeoise, ni dans la sociale démocratie, ni dans le stalinisme. Il doit endurer de se trouver emprisonné dans les appareils des deux courants, surtout et toujours celui du stalinisme. Cela ne contribue pas peu à l'absence d'une organisation révolutionnaire qui puisse lui inspirer confiance et combativité fiable et qui contribue plus ou moins directement à notre politique. Pour inspirer de la confiance au prolétariat et pour amener à l'action par la rupture même d'avec les carcans organisationnels, il serait mieux indiqué de créer un front unique de toutes les organisations ouvrières minoritaires qui s'opposent à la collaboration de classes et qui sont partisanes de la révolution et de la démocratie prolétarienne en général. Le prolétariat verrait ainsi un noyau solide qui casserait le cercle asphyxiant constitué autour de lui par le stalinisme et le réformisme.

Pour résumer, le mot d'ordre de gouvernement du Parti Socialiste, du PCF et de la CGT, tel qu'il a été mis en avant en France, de gouvernement stalinien et réformiste, est aujourd'hui totalement erroné et il ne servira qu'à maintenir les masses dans leur état actuel, et aussi, c'est tout aussi pénible que nécessaire de le dire, à développer les nouvelles tendances réformistes potentielles qui existent dans la quatrième internationale. Il nous est impossible de laisser dire, camarades du PCI, que la critique de votre parti en particulier, et celle de l'internationale en général, puisse se résoudre en soutenant la fraction de Pierre Franck contre la fraction d'Yvan Craipeau. Elle le sera plutôt en soutenant les deux fractions qui se prononcent contre la défense de l'URSS et contre le mot d'ordre de gouvernement du Parti Socialiste, du PCF et de la CGT. La fidélité au trotskysme n'est pas une fidélité à la lettre, mais à l'esprit révolutionnaire du trotskysme.

De tout ce qui précède, on peut déduire logiquement notre opposition au mot d'ordre de nationalisations. Les nationalisations, tant avec la contre-révolution russe qu'avec la contre-révolution purement bourgeoise, ont servi en période révolutionnaire à exproprier le prolétariat en train de s'approprier les moyens de production et, en période de passivité des masses à concentrer la propriété dans les mains de l'état, symbole religieux et oppresseur par excellence utilisé pour rendre plus difficiles les grèves, pour restreindre la démocratie, service de police stalinien et réformiste dans les usines françaises, et pour entreprendre la création d'un ordre corporatif. Nous devons opposer à ce mot d'ordre caduc celui d'expropriation du capitalisme et de destruction de son état par des comités ouvriers démocratiquement élus.

L'internationale n'a pas eu de politique révolutionnaire pendant la guerre, ou plus précisément elle n'a pas eu de politique du tout. Elle restait somnolente pendant que ses partis les plus connus, principalement le Socialist Workers Party (SWP), suivaient une politique entièrement opportuniste de triomphalisme révolutionnaire face à la guerre, en même temps qu'ils prétendaient s'ériger en dépositaires de la fidélité au programme, quelle partie du programme est plus importante que la lutte contre la guerre, en se faisant les portes-drapeaux de la défense de la Russie. A ces tendances, qui ne sont pas absentes au sein du parti français, nous disons qu'ils ont brisé le programme dans ce qu'il avait de plus essentiel. Notre programme doit être adapté aux gigantesques changements survenus avec la guerre. C'est là qu'est la fidélité au programme, elle n'est pas dans la répétition inamovible, encore mois dans la répétition partielle qui laisse de côté le défaitisme révolutionnaire et qui interprète le reste de façon droitière.

La destruction criminelle de la révolution espagnole principalement due au stalinisme, et le début immédiat de la guerre impérialiste, marquent la fin d'une étape, qui avait été ouverte par la fin de la guerre impérialiste précédente et le triomphe de la révolution russe. Tout a souffert d'importants changements, le vieux capitalisme et la Russie stalinienne, l'attitude générale des masses et ses idées ou croyances envers la démocratie bourgeoise et les organisations traditionnelles. L'Europe est une vaste prison, un champ de torture dont les gardiens et les fonctionnaires sont parfois de nationalité allemande ou italienne, d'autres de nationalité russe, américaine, anglaise et française. Une nouvelle étape est née dans la lutte implacable de notre époque pour trouver une solution révolutionnaire à ces conflits. Notre programme ne peut pas précisément être le même que dans l'étape précédente. S'il veut rester révolutionnaire, il doit être modifié.

Nous ne doutons pas un seul instant que la cause fondamentale de la crise du parti français et de l'internationale vient des opportunismes d'hier face à la guerre impérialiste et aux mouvements de résistance, plus l'inertie idéologique pour changer ce qu'il était nécessaire de changer. Aujourd'hui cette inertie perdure avec la nouvelle direction mondiale. La crise ne fera que s'aggraver si elle n'est pas résolue en adoptant les changements indiqués par cette lettre.

Le prochain congrès du PCI aura une importance énorme pour l'avenir de notre mouvement mondial. Il est nécessaire que les problèmes exposés ici soient dûment examinés. Pour sauver le PCI, il est nécessaire que tout le PCI, incluant les fractions d'Yvan Craipeau et de Pierre Frank, se rende compte de l'urgence de changer radicalement ses positions sur les points indiqués dans cette lettre. Il est nécessaire de reconsidérer notre programme de transition en général et de se mettre en condition d'aider énergiquement l'internationale à effectuer sa propre révolution idéologique.

Une fois encore la fidélité au trotskysme n'est pas la répétition littérale de ce que le trotskysme disait hier, même en supposant qu'il ne fut pas défiguré d'une manière droitière. La fidélité au trotskysme est la rectification sincère, décidée et courageuse, de certaines des affirmations qu'il a faites hier. Aussi la révolution est-elle révolutionnaire, elle nécessite des bonds, des modifications et des négations radicales des ses propres affirmations précédentes. La révolution est aussi révolutionnaire.

A bas le conservatisme trotskiste

A bas le fétichisme trotskiste

Contre la défense inconditionnelle de l'URSS

Pour une internationale idéologiquement ferme et rénovée.

Vive la révolution prolétarienne française.

Vive la révolution mondiale.

Vive la Quatrième Internationale

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