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28 mars 2024 4 28 /03 /mars /2024 15:57

 

 

https://www.france-palestine.org/Temoignage-sur-le-Guantanamo-israelien

https://www.haaretz.com/israel-news/twilight-zone/2024-03-23/ty-article-magazine/.highlight/testimony-from-israels-answer-to-guantanamo/0000018e-6925-d612-a98f-6b7551a20000

 

Témoignage sur le Guantanamo israélien

Par Gideon Levy et Alex Levac

Violences, humiliations, surpopulation effroyable, cellules froides et désolées et entraves pendant des jours, un Palestinien qui a passé trois mois en détention administrative israélienne pendant la guerre de Gaza décrit son expérience à la prison d’Ofer.

Munther Amira a été libéré de Guantanamo. Il avait déjà été arrêté à plusieurs reprises par le passé, mais ce qu’il a vécu lors de son incarcération dans une prison israélienne pendant la guerre de Gaza ne ressemble à rien de ce qu’il a pu vivre. Un ami qui a passé dix ans dans une prison israélienne lui a dit que l’impact de sa propre incarcération au cours des trois derniers mois équivalait à dix ans de prison en temps normal.

Le témoignage détaillé que Munther Amira nous a livré cette semaine dans sa maison du camp de réfugiés d’Aida, à Bethléem, était choquant. Il a exprimé son calvaire avec son corps, s’agenouillant à plusieurs reprises sur le sol et décrivant les choses dans les moindres détails, sans aucun sentiment, jusqu’à ce que les mots deviennent insupportables. Il était impossible de continuer à écouter ces descriptions déchirantes, mais il semblait avoir attendu l’occasion de raconter ce qu’il avait enduré dans une prison israélienne au cours des derniers mois. Les descriptions ont coulé à flots, horreur après horreur et humiliation après humiliation, au fur et à mesure qu’il décrivait l’enfer qu’il avait vécu, dans un anglais courant entrecoupé de termes hébraïques relatifs à la prison. En trois mois, il a perdu trente-trois kilogrammes.

Deux grandes photographies trônent dans son salon, la première photographie représente son ami Nasser Abou Srour, emprisonné depuis trente-deux ans pour le meurtre d’un agent du service de sécurité du Shin Bet, et la deuxième photographie le représente le jour de sa libération, il y a exactement deux semaines. Cette semaine, Munther Amira est apparu physiquement et mentalement résilient, semblant être une personne différente de celle qu’il était le jour de sa sortie de prison.

Munther Amira est âgé de cinquante-trois ans, il est marié et père de cinq enfants. Il est né dans le camp de réfugiés d’Aida, dont la population comprend les descendants des habitants de vingt-sept villages palestiniens détruits. Il a conçu la grande clé du retour qui est accrochée à la porte d’entrée du camp et qui porte l’inscription « pas à vendre ». Munther Amira est un militant politique qui croit en la lutte non violente, un principe qu’il défend toujours, même après le nombre considérable de morts à Gaza pendant la guerre, dit-il. Militant du Fatah, il travaille au Bureau des Colonies et de la Clôture de l’Autorité Palestinienne et il est diplômé de la faculté des sciences sociales de l’université de Bethléem.

Le 18 décembre 2023 à 1 heure du matin, il entend des bruits sourds. Munther Amira regarde par la fenêtre et il voit des soldats israéliens frapper son jeune frère Karim Amira, âgé de quarante ans. Les soldats traînent Karim Amira au deuxième étage, dans l’appartement de Munther Amira, et ils le jettent à terre au milieu du salon. Munther Amira affirme que son frère s’est évanoui. Karim Amira est le directeur administratif du service de cardiologie de l’hôpital al-Jumaya al-Arabiya de Bethléem et il n’est pas habitué à ce genre de violence.

La pièce est remplie de soldats, des dizaines peut-être. La fille de Munther Amira, Yomana Amira, se tenait derrière lui. L’officier a demandé de l’emmener et le cœur de Munther Amira a battu la chamade. Étaient-ils venus arrêter sa fille, une étudiante âgée de dix-huit ans ? Quelle était sa transgression ? Les soldats ont ensuite ligoté son fils Mohammed Amira, âgé de treize ans, et son fils Ghassan Amira, âgé de vingt-deux ans. Mohammed Amira portait un tee-shirt orné d’une carte de toute la Palestine. Les soldats lui ont arraché son tee-shirt.

Munther Amira n’a pas compris ce qui se passait. Les soldats ont pris sa photographie et l’ont envoyée là où ils l’ont envoyée. « C’est lui », a-t-il entendu dire par la suite. Il a été ligoté et emmené dans une base militaire, où des soldats l’ont jeté par terre et lui ont donné des coups de pied. Environ une heure plus tard, il a été ramené chez lui. Les soldats lui ont bandé les yeux mais, dans l’obscurité, il a entendu sa fille crier qu’elle l’aimait. Ce moment fugace et doux l’accompagnera pendant les trois mois suivants en prison. Il lui a répondu qu’il l’aimait aussi et il lui a demandé de ne pas avoir peur. Il a été puni pour cela, mais au moins il s’est senti plus calme, sachant que sa fille n’avait pas été arrêtée.

Il a de nouveau été emmené et jeté dans un véhicule militaire, où les soldats n’ont cessé de lui donner des coups de pied. Il a l’âge des pères de beaucoup de ces mêmes soldats. Il a ensuite été placé dans le coffre de la voiture et ils ont commencé à se déplacer. Au bout de trente minutes, ils ont atteint une base militaire, où il a été laissé dehors par une froide nuit d’hiver. Les soldats parlaient entre eux de Gaza. L’un d’eux lui a dit que « nous allons réaliser ton rêve. Tu voulais être un shahid. Nous t’enverrons à Gaza ». Munther Amira a frémi et il a répondu qu’il voulait vivre et qu’il ne voulait pas mourir. Il a eu peur que les troupes ne fassent ce qu’elles menaçaient de faire et il imaginait déjà sa mort à Gaza.

Le matin est arrivé et il s’est retrouvé au centre de détention d’Etzion. « Maintenant, le spectacle commence », ont dit les soldats. Munther Amira a été conduit dans un bureau, où les menottes, qui laissaient déjà des bleus sur ses poignets, lui ont été retirées et les soldats lui a ordonné de se déshabiller. Lorsqu’il est arrivé à son caleçon, il a refusé de continuer. Les soldats lui ont donné un coup de pied et il est tombé à terre, « soudain, j’ai compris ce qu’est un viol et ce qu’est le harcèlement sexuel. Ils voulaient me déshabiller et prendre des photographies ». Il s’est mis nu, les soldats lui ont dit d’écarter les jambes et il s’est senti humilié comme jamais auparavant dans sa vie. Il craignait qu’ils publient les vidéos qu’ils avaient prises. Finalement, il a été emmené dans une cellule.

Le dîner se compose d’une petite assiette de fromage frais et d’une tranche de pain, mais c’est le déjeuner du lendemain qui a véritablement sidéré Munther Amira. Les soldats ont placé quatre plateaux aux quatre coins de la pièce et huit détenus ont reçu l’ordre de s’agenouiller et de manger sur les plateaux avec leurs mains. L’image qui lui vient à l’esprit est celle des chats des rues, se souvient-il. La nourriture consistait en une bouillie méconnaissable et immangeable. Il dit que c’était un mélange des restes des repas des soldats. Il a demandé ce qu’était la partie blanche et on lui a répondu qu’elle provenait d’un œuf. Il est prêt à jurer que ce n’était pas un œuf. Munther Amira n’a pas touché à la nourriture.

Le jour suivant, il a été transféré à la prison d’Ofer, près de Ramallah, où il a été interrogé sur quelques messages que les interrogateurs prétendaient qu’il avait téléchargés et qu’il niait, « il n’y a rien dans mon Facebook qui soutienne la violence ». Les messages s’identifiaient notamment au sort des habitants de Gaza. L’interrogateur a dit « félicitations, vous allez être placé en détention administrative ».

Tel fut le sort de Munther Amira pendant les trois mois qui suivirent. Il a été condamné à quatre mois de prison, sans aucune preuve, sans parler d’un procès, « j’ai déjà été à Ofer, mais cela n’a jamais été comme cela ». La combinaison d’une guerre au cours de laquelle les Palestiniens, où qu’ils soient, peuvent être soumis à des abus et le fait que l’administration pénitentiaire israélienne soit sous la tutelle d’Itamar Ben-Gvir laisse des traces. Munther Amira a décidé de ne résister à rien pour survivre.

Il a reçu un uniforme marron de l’administration pénitentiaire, sans sous-vêtements et sans rapport avec sa taille. Plus tard, il a échangé ses vêtements avec un autre détenu. Il avait un matelas de cinq centimètres d’épaisseur et une couverture en laine. Il dormait avec douze autres détenus dans une cellule prévue pour cinq détenus. « C’est contraire à une décision de la Haute Cour de Justice », dit-il. Huit détenus dormaient à même le sol. En raison de son âge, il s’est vu attribuer un lit.

Munther Amira a découvert qu’il se trouvait dans l’aile de la prison réservée aux détenus problématiques. « Je pensais que j’étais quelqu’un de bien », dit-il en souriant. Les nouveaux prisonniers en provenance de Gaza sont détenus dans l’aile adjacente. Il pense que certains d’entre eux faisaient partie de l’unité Noukhba du Hamas. Il n’est pas près d’oublier leurs cris, « ils criaient, ils aboyaient et ils pleuraient, enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les yeux bandés, et les gardiens les battaient sans arrêt ».

Les choses n’étaient pas faciles dans son aile. Cinq fois au cours des trois mois, des agents des opérations spéciales de l’administration pénitentiaire faisant preuve d’une violence sévère ont fait irruption dans leur cellule, à chaque fois sous un prétexte différent. La cellule n’avait pas l’aspect habituel d’une cellule d’Ofer. Elle était complètement vide. Il ne restait rien de la télévision, de la bouilloire électrique, du brûleur, de la radio, des livres, du papier, des crayons, des échecs et du backgammon, et, bien sûr, il n’y avait pas de cantine. « Je m’en suis accommodé », dit Munther Amira, « c’est le prix de la résistance à l’occupation et à la guerre à Gaza ».

Ils ont assemblé un plateau de backgammon à l’aide d’un carton à pain et ils ont tracé les marques du jeu avec une solution composée de comprimés d’anxiolytiques écrasés d’un prisonnier et d’eau. Les pions étaient fabriqués à partir de coquilles d’œuf. Un soir, la patrouille a confisqué le jeu improvisé. La punition ne se fait pas attendre. À 6 heures du matin, la force des opérations spéciales de Keter Ofer s’est présentée avec deux chiens et elle a agressé les détenus. Ils les ont ensuite emmenés dans les douches et les ont lavés avec leurs vêtements. Le lendemain matin, ils ont pris les couvertures et les matelas et les ont gardés jusqu’à 22 heures. Le froid était brutal.

Il n’y avait pas de café et pas de cigarettes. C’était un cauchemar pour les fumeurs. Parfois, les gardiens passaient et fumaient dans la cellule pour exacerber les souffrances des détenus. L’arôme du café des gardiens rendait également les détenus fous. Il y avait deux petits pots de confiture pour treize prisonniers, qui se battaient pour y goûter.

« J’ai compté les secondes », dit Munther Amira, mais le temps semblait s’être arrêté en prison. Pour la première fois, il a vu un détenu qui a tenté de se suicider en se jetant du deuxième étage sur la clôture à l’extérieur. Ces derniers temps, les tentatives de suicide se sont multipliées dans la prison, ce qui va totalement à l’encontre de l’éthique des Palestiniens qui ont décidé de lutter contre l’occupation. Le détenu qui a sauté saignait, ses codétenus ont essayé d’appeler une ambulance mais, à Ofer, les prisonniers n’ont pas le droit d’appeler qui que ce soit. Ils ont donc été à nouveau punis. L’équipe du Keter Ofer est réapparue et, cette fois, elle les a fait s’allonger sur le sol et elle les a frappés avec des matraques. Ils ont également frappé Munther Amira dans les testicules. Selon lui, c’est une agression sexuelle, « je me suis dit que j’allais mourir. J’ai un problème de tension artérielle et mon cœur battait la chamade. Certains d’entre nous saignaient du nez ».

Les œufs servis n’étaient pas cuits. Quelques jours plus tard, il a décidé de tout manger pour survivre. Un jour, alors qu’ils étaient emmenés dans des cellules d’attente, des cellules d’isolement pour ceux qui allaient être transférés, il a été menotté pendant toute une journée et toute une nuit. Il a dû se soulager dans son pantalon parce qu’il ne pouvait pas le baisser, « tout est lié au samedi 7 octobre 2023. Tout ce que j’ai demandé, ils ont dit 7 octobre. Lorsque nous avons demandé que les œufs soient cuits, ils ont dit 7 octobre. C’est Guantanamo ».

Le porte-parole de l’administration pénitentiaire israélienne a déclaré cette semaine en réponse à une enquête de Haaretz que « nous ne sommes pas au courant des allégations décrites et, pour autant que nous le sachions, elles sont incorrectes. Si une plainte en bonne et due forme est déposée, elle sera examinée par les autorités compétentes ».

L’unité du porte-parole de l’armée israélienne a déclaré à Haaretz que « le suspect a été arrêté le 18 décembre 2023, soupçonné d’incitation et d’activité au sein d’une organisation hostile. Au cours d’une audience au tribunal militaire sur la demande du procureur militaire de prolonger son emprisonnement, le suspect a soulevé des revendications concernant le traitement que lui ont réservé les soldats pendant son incarcération. Ces allégations sont en train d’être clarifiées ».

Munther Amira a été libéré au bout de trois mois, un mois avant la date prévue. Personne ne lui a rien dit, il a juste reçu des vêtements du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et il pensait qu’il était libéré dans le cadre d’un accord, ce qui n’a pas été le cas. Il nous a raconté cette semaine dans sa maison que « Mahmoud Darwish a écrit que les prisonniers sont la source d’espoir du peuple palestinien. Ce n’est plus vrai. C’est la première fois que des détenus tentent de se suicider. C’est la première fois que je sens que la porte de la cellule est la porte d’une tombe. Une prison israélienne est désormais un cimetière pour les vivants ».

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