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24 août 2017 4 24 /08 /août /2017 19:00

 

 

http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2017/08/18/sacco-et-vanzetti-et-l-amerique-s-en-prit-a-ses-migrants_5173870_4497186.html

 

Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, quand l’Amérique s’en prit à ses migrants

 

Il y a quatre-vingt-dix ans, deux immigrants italiens étaient exécutés, aux Etats-Unis, à l’issue d’un procès à charge. La mort de ces deux militants anarchistes a une nouvelle résonance avec les mouvements xénophobes qui agitent le pays.

 

Par Maxime Robin

 

Vendredi 18 Août 2017

 

Quatre-vingt-dix ans ont passé depuis l’exécution de Nicola Sacco et de Bartolomeo Vanzetti, sorte d’affaire d'Alfred Dreyfus à l’américaine. Le contexte des années 1920 ressemblait à celui d’aujourd’hui, en plus brûlant encore, avec l’arrivée de millions de migrants fuyant la misère, des inégalités sociales sordides, des attentats meurtriers, un gouvernement xénophobe et un Ku Klux Klan au sommet de sa puissance. Sans oublier de nouveaux médias, qui raccourcissent les distances et échauffent les esprits, le parallèle avec l’actualité est tentant.

L’affaire de Nicola Sacco et de Bartolomeo Vanzetti, c’était l’Amérique réactionnaire accusant l’immigration de masse, en particulier les Italiens, considérés comme une race inférieure. En 1920, Nicola Sacco, jeune père de famille, et Bartolomeo Vanzetti, vendeur de poissons au regard doux et aux splendides moustaches, sont accusés du braquage d’une usine et d’un double meurtre dans le Massachusetts.

Le procès est une mascarade, dans laquelle trempe l’élite White Anglo Saxon Protestant (WASP) de Boston, y compris des cadres de Harvard. Des preuves balistiques sont fabriquées et des témoignages sont inventés. Dans une ambiance cocardière, les cercueils des soldats américains revenaient encore des tranchées françaises, les questions du procureur tournent autour de leur fidélité à la bannière étoilée, alors que Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, anarchistes convaincus, avaient fui au Mexique pour éviter la conscription.

Au fil d’un procès perdu d’avance, le duo s’aperçoit qu’il représente une cause qui le dépasse. La défense exploite un climat de lutte ouvrière dans le pays pour monter une stratégie à la Jacques Vergès.

Elle veut faire exploser le cadre du procès et elle veut mettre le capitalisme américain en accusation aux yeux du monde. La presse à grand tirage et la radio transforment l’affaire en feuilleton du bien contre le mal et elle transforme les condamnés en martyrs. Leur exécution par la chaise électrique, le 23 août 1927, entraîne des émeutes à Paris, à Tokyo et en Afrique du Sud, et elle signe peut-être les grands débuts de l’antiaméricanisme.

Nous savons aujourd’hui que Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti n’étaient pas les anarchistes fleurs bleues décrits par les grandes plumes de l’époque, John Dos Passos, Upton Sinclair et Romain Rolland. En quête d’un idéal pur, ils fréquentaient des durs de durs, adeptes de l’action violente et de l’assassinat politique. Les attaques anarchistes visaient des procureurs et des industriels, jusqu’au ministre de la justice. Une bombe explose à Wall Street le 16 septembre 1920. Elle tue trente huit personnes et elle blesse deux cent personnes.

Les travaux de Michael Topp confirment que Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti se trouvaient sur les lieux de plusieurs attentats lors de leur déclenchement et qu’ils connaissaient personnellement plusieurs de leurs auteurs. Ce qui n’en fait pas, pour autant, les coupables du braquage et du double meurtre pour lesquels ils ont été condamnés.

« Leur appartenance au groupe anarchiste a joué un rôle crucial dans l’issue du procès », souligne Michael Topp, historien des mouvements sociaux à l’université du Texas à El Paso et auteur d’un ouvrage sur l’affaire en 2004.

Entre 1880 et 1920, les États-Unis ont absorbé vingt millions d’immigrants en grande partie venus d’Europe. Il y avait parmi eux quatre millions d'italiens dans le collimateur des anglo-saxons, qui les pensaient inassimilables. À New York, les irlandais, arrivés avant eux et à qui l’on n’avait fait aucun cadeau, les forçaient à prier dans les caves des églises. Dépeints comme sales, criminels et violents, ces italiens d’hier étaient en quelque sorte les latinos américains et les musulmans d’aujourd’hui. « L’atmosphère actuelle du pays est similaire à l’ère de Nicola Sacco et de Bartolomeo Vanzetti », selon Michael Topp, « les immigrants, surtout ceux aux croyances considérées comme suspectes, ne sont pas les bienvenus. Si un procès équivalent avait lieu aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il provoquerait une telle révolte ».

Des quatre millions d’italiens de la grande migration, la moitié repartira, certains seront victimes de rafles et de déportations de masse. L’autre moitié réalisera le rêve américain. Leurs descendants ont plutôt voté pour Donald Trump en 2016. « Je dirais à soixante pour cent pour Donald Trump et à quarante pour cent pour Hillary Clinton, comme les autres blancs. Le vote italo-américain est devenu un vote de blancs », explique Richard Alba, sociologue des migrations, qui a grandi dans le Bronx et dont le grand-père est sicilien. Richard Alba incite à la prudence sur ces questions. A la suite de plusieurs générations de mariages mixtes, on n’est plus vraiment italo-américain à cent pour cent. C’est un signe d’intégration totale. « De nombreux descendants d’immigrés italiens votent à droite », ajoute Michael Topp, « pour certains, ce n’est pas un basculement. Benito Mussolini était populaire dans la communauté jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie. Pour d’autres, il s’agit d’un tournant à droite, personnel ou générationnel, qui a sans doute à voir avec un sentiment d’appartenance à la nation ».

Un hommage est organisé à Boston, Mercredi 23 Août 2017 par la Nicola Sacco and Bartolomeo Vanzetti Commemoration Society. Il n’attirera pas des foules de millenials américains. Ceux-ci ont d’autres causes à défendre aujourd’hui, même si l’affaire soulève des questions intemporelles sur les libertés civiles, l’indépendance de la justice et les droits des immigrés aux États-Unis. Elle reste un mythe, où s’entrechoquent l’Amérique telle qu’elle aime se voir et l’Amérique telle qu’elle se comporte.

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