Besancenot rattrapé par la «pipolisation»
Extrême gauche. Le prochain passage du leader de la LCR sur le plateau de Drucker attise les divisions au sein de son parti.
MATTHIEU ÉCOIFFIER
QUOTIDIEN : lundi 28 avril 2008
Olivier Besancenot, «trotsko-star» chez Michel Drucker. Certes pendant la présidentielle, une des affiches de la LCR proclamait : «Nos mamies valent mieux que leurs profits !» Mais la
participation du postier anticapitaliste à l’émission Vivement dimanche, le 11 mai sur France 2, provoque quelques remous au sein de son parti. Lors de l’émission, on verra notamment celui que
Paris Match qualifiait récemment de «Che sans les poils», filmé en train de jouer au foot, une de ses passions, et l’on rencontrera le prof d’allemand qui l’a initié à la révolution, et ses amis
de la Poste.
Bras de fer.
Christian Picquet, tête de file de la minorité «unitaire», y voit, lui, une étape de plus dans la personnalisation du mouvement autour de l’ex-candidat : «Même si Besancenot invite une infirmière
et un prolo, cela va concourir à la dépolitisation de la vie publique puisqu’ils ne seront là que pour contribuer à son édification. Je n’ai rien contre Drucker. Mais le principe même de
l’émission est de valoriser la personne au détriment des idées. Il en sortira conforté dans son image, mais politiquement quel message passera ?», s’insurge Picquet, en plein bras de fer avec la
majorité de la Ligue qui l’a écarté de son poste de permanent (Libération du 28 mars). A l’heure du «story-telling» en politique, d’autres considèrent le passage à Vivement Dimanche comme
inéluctable : «L’important est pour Besancenot de raconter la fable du jeune postier aux côtés des salariés en lutte», explique une figure de la gauche
radicale. Et pour ce faire, quoi de mieux que Drucker ? Vivement Dimanche entre 13 et 15 heures est suivi par quelque 3 millions de téléspectateurs et Vivement dimanche prochain, par plus de
4.
Alain Krivine juge la polémique «grotesque et mesquine. On ne méprise personne, Drucker, c’est le public du dimanche.» Mais le leader historique de la LCR concède que cette émission «n’est pas
[son] genre et [qu’il ne l’a] jamais regardée».
Pas question de cracher sur un programme «énorme et populaire» au moment où Besancenot, après ses 4,08 % à la présidentielle, met sur orbite son Nouveau parti anticapitaliste (NPA) que certains
surnomment le «parti d’Olivier» justement en raison du flou de son contour politique.
«Boycotter la télévision bourgeoise ? Si on fait ça, notre message ne passe nulle part. Olivier s’adresse à des millions de gens», reprend Krivine. «Olivier chez Drucker ? Ça va
être très politique. Il dira ce qu’il veut dire et va imposer ses thèmes : l’immigration, le syndicalisme... Ce ne sera pas comme Rocard à qui Ardisson avait demandé si "sucer c’est tromper" On
ne verra ni sa copine, ni son gamin», assure Krivine qui apparaîtra lui-même dans une vignette sur Mai 68. «On va "dépipoliser" Drucker !» trompette Pierre-François Gron, chargé à la LCR de
négocier le conducteur de l’émission.
Le présentateur, joint hier par Libération à Munich «où [il] enregistre justement un message d’amitié de Frank Ribéry pour Besancenot», ne comprend pas la polémique. «Chaque invité choisit ses
invités, c’est le principe. Besancenot était partant et il a joué le jeu. L’émission va lui ressembler, comme celles de Rachida Dati ou Ségolène Royal étaient à leur image.» Et Michel Drucker de
rappeler son passé «gauchiste» : «Il y a dix ans Dany Cohn-Bendit avait essuyé les plâtres de mon émission et Arlette Laguiller fut ma seconde invitée.» Certes, Olivier Besancenot est déjà passé
dans les talk-shows de Fogiel, Ardisson ou Ruquier. Mais être l’un des six invités politiques annuel de Vivement Dimanche constitue une reconnaissance médiatique incontestable, fait valoir Michel
Drucker : «Et je ne pense pas que ses amis de la LCR s’en plaindront !»
«Surdoué». Olivier Besancenot est connu pour protéger jalousement sa vie privée. «Il a récemment exigé la destruction» d’images le montrant avec son fils, à Canal +, lors du concert de
reformation du groupe de rap NTM, raconte un proche. Le 11 mai, on ne verra pas non plus sa mère, Geneviève, psychologue scolaire retraitée et candidate sur la liste de la Ligue aux municipales à
Louviers (Eure). «Besancenot parlera politique avec Claude Sérillon, mais tout le reste c’est lui. Les gens vont découvrir une personnalité beaucoup plus rassembleuse qu’on ne l’imagine. A 33
ans, c’est un surdoué de cette nouvelle génération politique, d’une dextérité et d’une précocité intellectuelle étonnante. Il va nous raconter d’où il vient, ceux qu’il aime, ce qui le fait
rire», confie le présentateur. Qui a été visiblement conquis par ce jeune homme «très pointu sur le cinéma, la littérature et la musique
d’aujourd’hui».
En matière de chanson, Besancenot semble avoir fait quelques concessions au public du dimanche : son ami, le rappeur sulfureux Monsieur R n’en sera pas. Mais Jean Ferrat et Charles Aznavour
chanteront, selon Michel Drucker, Ma France et La jungle et le zoo. Pour l’invité, en attendant le grand soir.
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