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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 20:36

 

La révolte des blogueurs

 

LE MONDE | 15 avril 2011 | Xavier Ternisien | 1585 mots

 

Ce ne sont encore que quelques coups de gueule individuels. Une petite bronca. Pas de quoi créer un syndicat ou un parti. Mais le débat est sur la place publique, sur l'agora du Web. Les blogueurs en ont marre de travailler pour rien. Et ils l'écrivent haut et fort.

 

En mars, c'est le blogueur « libéral de gauche » Hughes Serraf qui claque la porte de Rue89. Il est « fatigué d'être considéré comme une poire ». Bloguant à titre gracieux pour le site d'information depuis trois ans, il a demandé au rédacteur en chef, Pascal Riché, d'être payé en piges. En retour, il s'est vu proposer « une gratification nette de 200 euros par mois ». Une misère. « Je produis au minimum autant qu'un journaliste de la rédaction et mes papiers sont autant lus », argumente-t-il. Dépité, il a pris ses cliques et ses claques pour rejoindre Atlantico, un autre site d'information où il produit cinq éditos par semaine et reçoit « des piges convenables ».

Hughes Serraf n'hésite pas à qualifier les responsables de Rue89 de « pharisiens dont les discours tiennent du prêche et n'ont rien à voir avec les comportements. On laisse croire que le site est animé par une joyeuse bande de copains, alors qu'il s'agit d'une start-up dont l'objectif est de gagner de l'argent... » De son côté, Pascal Riché justifie la politique du site : « Tout ce qui est journalistique, on le paye. Tout ce qui est commentaires, on ne le paye pas, pas plus que les journaux ne payent pour les tribunes qu'ils publient. Si l'on pouvait rémunérer les blogueurs, ce serait mieux, mais nous sommes une jeune société qui ne peut se le permettre. On leur offre de la visibilité... »

L'idée est bien là : si les blogueurs sont rétribués, c'est d'abord et surtout symbolique. De la visibilité, de la notoriété. Ce que le blogueur Vogelsong dénonce, dans un billet, sous le terme d'« économie de la gratitude » : « Aux dires mêmes des responsables de sites, le blogueur est «payé» en espace, exposition. En considération.Pendant que certains font commerce, d'autres, pour des contenus équivalents, sont rémunérés en accolades, visites et sourires... »

Cette « économie de la gratitude », la blogueuse La Peste avoue que « ça [la] fait gerber » : « Ce n'est pas tellement une question d'argent, mais de principe. Celui qui produit du contenu pour un support apporte de la valeur ajoutée et doit recevoir quelque chose en contrepartie. Et l'excuse d'une presse en ligne qui n'a pas encore trouvé son modèle économique ne me convient pas. »

Aux Etats-Unis, la grogne des blogueurs s'est muée en appel à la grève lorsqu'au mois de février, Arianna Huffington a vendu son site d'agrégation de contenus, le Huffington Post, au géant des médias AOL pour 315 millions de dollars (217,2 millions d'euros). Quelques contributeurs parmi les 6 000 blogueurs réguliers ont réclamé leur part du gâteau. Bill Lasarow, rédacteur en chef du site artistique Visualartsource, a même appelé les plumes du Web à ne plus transmettre gratuitement leurs articles au « Huff Po », qui se classe au deuxième rang des sites d'information aux Etats-Unis, avec 25 millions de visiteurs uniques, derrière le site du New York Times (32 millions). Une grève qui n'a guère ébranlé la fondatrice : « Continuez la grève, personne ne la remarque ! » Le site d'information Politico a caricaturé la dame en Scarlett O'Hara, régnant sur une plantation de coton et une armée d'esclaves...

Un blogueur a décidé d'aller plus loin en déposant, mardi 12 avril, une plainte contre AOL et le Huffington Post, réclamant 105 millions de dollars de dommages pour les milliers de contributeurs du site. Il souhaite que ses poursuites soient considérées comme une plainte en nom collectif. « Nous espérons créer un précédent, afin que les producteurs de contenus soient rémunérés pour la valeur qu'ils créent », précise l'un de ses avocats, Jesse Strauss. Les responsables du « Huff Po » lui opposent toujours le même argument de la notoriété : « Les blogueurs utilisent notre plate-forme afin que leur travail soit lu par le plus de gens possible, déclare Mario Ruiz, porte-parole du site. De la même façon que des centaines de personnes vont dans les shows télévisés pour faire la promotion de leurs opinions et de leurs idées. »

En France, quelques rares sites d'information versent des droits d'auteur à certains blogueurs triés sur le volet. Lemonde.fr a sélectionné une trentaine de « blogueurs invités », avec lesquels il partage les ressources publicitaires générées par ces blogs. Les sommes versées sont calculées en fonction de l'audience et vont de cinq cent euros par trimestre, qui est un minimum garanti, à plus de trois mille euros par mois pour quelques blogueurs vedettes... Mais, dans la plupart des cas, la règle est d'offrir seulement aux blogueurs la notoriété de la marque. « Nous les mettons en avant et, grâce à nous, ils bénéficient d'une audience considérable, argumente Philippe Cohen, rédacteur en chef de Marianne2, le site de l'hebdomadaire Marianne. Ce sont souvent des retraités, ou des gens qui ont une autre activité et interviennent comme experts. Nous ne les jugeons pas sur des critères journalistiques. Si nous devions les payer, je pense que nous aurions une plus grande exigence éditoriale. »

Pour le blogueur traitant de la politique et de l'actualité, il est très difficile de vivre de sa plume. Intox 2007 (un blogueur qui souhaite garder l'anonymat) représente un cas extrême. Chômeur en fin de droits, il vit avec 620 euros de revenu par mois. En désespoir de cause, il a lancé à ses lecteurs un appel aux dons en ligne. Cet ancien consultant Internet a bien tenté de mettre de la publicité sur son site grâce aux outils fournis par Google. « Les revenus étaient dérisoires, de l'ordre de 80 euros par mois, déplore-t-il. Et je me retrouvais avec des publicités inadaptées, comme par exemple «Réduisez vos impôts» à côté d'un billet sur la politique fiscale ! »

Pour Intox 2007, la solution serait que les blogueurs s'unissent pour monter une plate-forme commune et trouvent un investisseur prêt à les soutenir pendant deux ans, le temps de parvenir à la rentabilité. Benoît Raphaël, ancien rédacteur en chef du Post, filiale du groupe Le Monde, qui prépare le lancement d'un site participatif pour Le Nouvel Observateur, réfléchit à un modèle qui sortirait de l'économie de la « gratitude » : « On ne peut plus faire travailler les gens en leur disant : «Vous allez être connus», insiste-t-il. Il faut trouver un système de rémunération qui soit juste et transparent. »

« Il n'y a pas de martingale, tranche Guy Birenbaum. On ne peut pas vivre de son blog. » Ce blogueur connu a d'abord été hébergé par 20 minutes, puis par Le Post, avant de prendre son indépendance en mars 2010. Il écrit maintenant sur un site à son nom, sa « petite épicerie », comme il dit. Il y a perdu beaucoup d'audience, passant de cinquante mille visiteurs par jour au Post à deux mille visiteurs. « Les blogueurs sont contents d'être hébergés par des marques de presse connues, mais le flux de visiteurs qu'ils reçoivent n'est pas synonyme de qualité. Aujourd'hui, j'ai moins de lecteurs, mais ils viennent vraiment parce que ce que j'écris les intéresse. » Guy Birenbaum ne vit pas de son blog, mais de ses activités annexes d'éditeur et de chroniqueur dans plusieurs médias, dont Europe 1. « Les blogueurs forment un «lumpen prolétariat» qui n'est défendu par aucun syndicat », note-t-il, amer.

Il existe certains domaines où tenir un blog peut rapporter de l'argent. « Ce sont les sujets liés à la consommation et aux produits high-tech », note Frédéric Montagnon, fondateur de la plate-forme Overblog, qui rémunère ses blogueurs sous forme de droits d'auteur ou de recettes publicitaires. « Un blogueur moyen, qui produit à peu près un billet par jour et anime sa communauté, peut gagner entre cent cinquante et cinq cent euros par jour », précise-t-il.

« Le blog est un CV en ligne, qui permet de se faire connaître », témoigne William Réjault. Cet ex-infirmier a commencé à bloguer en septembre 2004. Son histoire fait partie des success stories de la blogosphère. Il a d'abord raconté son quotidien à l'hôpital sous le pseudonyme de « Ron l'infirmier ». Ses meilleures chroniques ont été publiées en 2006 sous le titre La Chambre d'Albert Camus (éd. Privé). Parallèlement, il s'intéresse à l'actualité people et rédige des articles pour Le Post. En 2009, il quitte son métier d'infirmier pour se consacrer à l'écriture et publie quatre autres livres. Il vient d'être nommé rédacteur en chef d'OFF, la chaîne musicale d'Universal Music. « Mon parcours professionnel est lié à mon activité de blogueur et à ma notoriété en ligne », assure-t-il.

L'effet de visibilité sur le Net n'est donc pas un concept vain. Même s'il joue surtout dans certains domaines comme la mode, la beauté, la cuisine ou encore les nouvelles technologies. « Le blog est une vitrine », résume Anne Lataillade. Cette ancienne professionnelle de la finance a lancé un blog de cuisine en 2005. Elle pige maintenant pour plusieurs magazines et a publié un livre de recettes.

Mais attention ! Tenir un blog est une ascèse. « Il faut l'alimenter tous les jours, insiste William Réjault. C'est comme se brosser les dents avant de se coucher. » Et puis, un jour ou l'autre, arrive un phénomène bien connu sous le nom de « fatigue du blogueur ». « On se sent vide. On se dit : «Je n'ai plus rien à dire, je n'ai plus d'idées», raconte Caroline Franc, qui tient depuis 2006 la chronique de sa vie sur « Pensées de ronde ». On écrit un billet «J'arrête». Et puis, on recommence, motivé par la communauté de ses lecteurs. En fin de compte, le blog c'est une drogue. »

Xavier Ternisien

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