Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 20:50

 

http://www.liberation.fr/monde/01012385077-les-francais-d-origine-turque-font-bloc

Lundi 23 Janvier 2012

Les français d’origine turque font bloc

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé, samedi à Paris, contre le vote, aujourd’hui au Sénat, de la loi réprimant la négation du génocide arménien

 Par Marc Semo

«Oh putain Ramzi, t’es où ?» hurle un jeune en survêtement sur son téléphone portable. Le petit groupe s’affaire autour de la banderole : «Faites gaffe les mecs à ne pas la déchirer.» Les drapeaux turcs sont partout ; des grands, dont ils s’enveloppent comme d’une cape ; des petits, agités en même temps que ceux aux couleurs de la France. Entre eux, ils parlent le plus souvent français. Ils sont nés dans l’Hexagone ou y sont arrivés tout gosses. Les jeunes sont les plus nombreux dans le cortège qui défile samedi à Paris, de Denfert au Sénat, pour protester contre la loi sanctionnant la «négation ou la minimisation outrancière» des génocides, dont le génocide arménien, qui doit être votée aujourd’hui par la Chambre haute.

 

Boomerang.«Je vote», clament les panneaux avec une reproduction de la carte d’électeur. «Citoyens français mais avec le drapeau turc dans le cœur, assure Yilmaz Betullah, artisan à Thiers (Puy-de-Dôme). Nous voulons montrer qu’il n’y a pas que les Arméniens qui comptent en France et qu’on ne peut pas voter des textes de loi qui stigmatisent tout un peuple.» Sur les pancartes, les mots sont soigneusement pesés : «Ni haine ni vengeance, juste la vérité» ou «Laissons l’histoire aux historiens». Parfois un cri du cœur : «Mon arrière-grand-père n’était pas un assassin.» Il s’agit d’éviter tout débordement nationaliste ou négationniste qui pourrait avoir un effet boomerang.

 

Cette manifestation très bien encadrée est sans précédent en France comme en Europe. Quelque cinquante mille personnes selon les organisateurs et quinze mille selon la police. Au moins vingt cinq mille selon notre estimation, rien qu’en comptant les passagers des cinq cent cinquante cars arrivés de toute la France, de Belgique et d’Allemagne.

 

Les consulats turcs ont mouillé leur chemise. Les associations ont, pour une fois, fait bloc, les islamistes comme leurs ennemis laïcs kémalistes, les groupes ouvriers de gauche comme les ultranationalistes. Seuls les Kurdes et l’extrême gauche ont refusé «la manifestation étatiste». Cette mobilisation marque le surgissement d’une diaspora de cinq cent cinquante mille personnes, souvent peu visible, sinon en Alsace, éparpillée sur le territoire. «Merci Sarkozy, qui nous a unis comme jamais», se réjouit Demir Onger, élu par la coordination des associations, qui assure vouloir «la réconciliation de deux peuples en laissant travailler les historiens». Dans le cortège, des jeunes filles avec le foulard islamique côtoient celles en jean. De vieux prolos moustachus défilent avec des ados en capuche. Des supporteurs brandissent des écharpes des clubs de foot de Galatasaray ou Besiktas.

 

«Acharnement». Pour tous, la nouvelle proposition de loi a eu l’effet d’un électrochoc. Il y avait déjà eu la loi de 2001 reconnaissant le génocide. Puis, en 2006, un premier projet de texte sanctionnant sa négation présenté par les socialistes, puis abandonné. «C’est de l’acharnement», s’indigne Fatih, de Romans (Drôme), qui s’est inscrit dès le 22 décembre sur les listes électorales. «On n’était pas intégré comme les Arméniens. Maintenant, on veut faire entendre notre voix», explique ce jeune maçon. Partout, les associations et les imams ont mené campagne. Avec succès. Par milliers, ils se sont précipités en décembre dans les mairies. Il y aurait aujourd’hui cent quatre vingt mille électeurs français d’origine turque. «Mais pour qui voter ? Hollande, dans cette affaire, est sur la même ligne que Sarko», soupire un entrepreneur.

 

Le plus important, dans l’immédiat, est de montrer sa force. Une nouvelle manifestation a lieu aujourd’hui devant le Sénat. «Nous sommes des citoyens de seconde zone», s’insurge un représentant de la puissante association islamiste Milligörus. Les laïcs, eux, s’inquiètent pour le modèle républicain français qui avait inspiré Mustafa Kemal. Murat Erpuyan, de l’association Ataturquie de Nancy, soupire : «Cette loi a pour effet de pousser encore un peu plus au communautarisme.»

 

Partager cet article
Repost0

commentaires