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17 mai 2014 6 17 /05 /mai /2014 20:06

LE PTB A T IL CHANGE

Vous trouverez ci-dessous les deux derniers paragraphes d’un très long message d’Ataulfo Riera relatif aux listes unitaires entre le Parti du Travail de Belgique, le Parti Communiste de Belgique et la Ligue Communiste Révolutionnaire pour les élections générales du Dimanche 25 Mai 2014 en Belgique et aux relations entre le PTB et la LCR.

Le message est disponible en totalité à l’adresse ci-dessous.

Bernard Fischer

http://www.avanti4.be/debats-theorie-histoire/article/2014-la-gauche-en-debat-i-remarques-critiques

Le « campisme » dans la tradition trotskyste

Daniel Tanuro affirme par ailleurs que « nous ne perdrons pas de temps à expliquer ici que nous sommes radicalement opposés au stalinisme. Toute notre histoire en atteste, et nous continuons le combat pour un socialisme démocratique autogestionnaire ». En réalité, historiquement, et en dépit du courage admirable de ses militants et du sacrifice de leur vie face à la répression et aux crimes staliniens (qu’on oublie peut être un peu vite), le mouvement trotskyste n’a lui-même pas toujours échappé à certaines dérives de type autoritaire dans ses propres modes de fonctionnement interne ou dans certaines analyses (le mythe du parti « léniniste » ultra-centralisé et hiérarchisé, la défense, même « critique », de la répression sanglante du soulèvement de Kronstadt en 1921 et du mouvement anarchiste en Russie dès 1918).

Il a également connu quelques dérives qu’on peut qualifier de « campistes » vis-à-vis du stalinisme lui-même. Ainsi, même après son exclusion du parti communiste russe et son exil d’URSS en 1929, Trotsky a appelé pendant un moment ses partisans en union soviétique à s’allier à la « fraction centriste » (stalinienne) de la bureaucratie et à Staline lui-même pour s’opposer à « l’aile droite » du parti, identifiée comme plus dangereuse et dont la ligne risquait, croyait-il, de mener au rétablissement du capitalisme. Après la seconde guerre mondiale, en pleine « guerre froide », le courant majoritaire incarné par Michel Pablo dans la quatrième internationale a poussé cette dernière à adopter une orientation de « moindre mal » vis-à-vis de l’URSS stalinienne face au péril d’une guerre impérialiste avec les Etats Unis. La formule peu heureuse « d’état ouvrier dégénéré » (mais « ouvrier » tout de même) pour caractériser la nature de l’URSS a d’ailleurs conduit pendant un an la même quatrième internationale à apporter son soutien « critique » à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.

Derrière ces dérives se trouvent donc des conceptions théoriques erronées, incomplètes ou insuffisantes sur le stalinisme, sur la nature des « états socialistes », sur le parti révolutionnaire, sur la révolution et la société post-capitaliste elles-mêmes. Ce sont là des discussions essentielles et pas du tout « dépassées » ou « abstraites » car ces conceptions déterminent tout le travail militant pratique, les modes organisationnels et les orientations politiques pour aujourd’hui et demain. Elles sont absolument indispensables afin de tirer un véritable bilan et des conclusions actuelles vis-à-vis du désastre stalinien, pour surmonter ses conséquences et pour comprendre aussi l’échec du mouvement trotskyste en général dans ses tentatives de construire des partis ayant une influence de masse durable.

Mais ces questions ne figurent visiblement pas dans les priorités ou dans les préoccupations de la direction actuelle de la LCR. Et ce détour sur les dérives campistes du trotskysme vis-à-vis du stalinisme éclaire mieux en tous les cas la suite de l’article cité de Daniel Tanuro quand il en arrive à cette conclusion « qu’on ne compte pas sur nous pour embrayer aujourd’hui dans la dénonciation tapageuse de l’idéologie autour de laquelle Ludo Martens a bâti son parti, et des pratiques politiques qui en ont résulté ».

Autrement dit, la critique de l’idéologie stalinienne du PTB doit être mise en sourdine sous prétexte que le Parti Socialiste et des médias l’utilisent dans leur lutte contre la concurrence électorale incarnée par ce parti. Bien entendu, il ne s’agit pas de hurler avec les vieux barons du Parti Socialiste contre le prétendu « rexisme » du PTB et il faut dénoncer ces amalgames odieux. C’est une chose. Mais les critiques sur le stalinisme interne, ou sur certaines contradictions, faites parfois par des journalistes consciencieux qui font leur travail (et on ne peut pas leur demander plus), c’est tout autre chose. Or, selon Daniel Tanuro, puisque le Parti Socialiste et des médias font de mauvais procès au PTB, et surtout avec de bien mauvaises intentions derrière, alors la LCR s’abstiendra quant à elle de critiquer l’idéologie stalinienne du PTB et ses pratiques pour ne pas soi disant « ajouter de l’eau au moulin ».

Il s’agit là, selon nous, d’une très dangereuse concession et qui se révélera d’ailleurs contre productive si le but est de réellement aider ou de contribuer à ce que le PTB évolue positivement par rapport à son identité stalinienne. Rappelons tout d’abord que dans les années 1930 et 1950 les critiques des capitalistes vis-à-vis de l’URSS stalinienne (ou lors de sa chute en 1991) visaient elles aussi à nuire à l’idée même du communisme et à disqualifier le marxisme, la révolution et l’anticapitalisme en général. Fallait-il que les militants antistaliniens s’abstiennent eux aussi de toute forme de critique vis-à-vis du stalinisme, même si c’était à partir d’une toute autre perspective et dans un tout autre but, sous prétexte que cela pouvait « nuire à la cause du socialisme » ou « à la gauche en général » ? Bien sûr que non.

L’argument que la critique peut servir et être reprise par « l’ennemi de classe » dans son combat contre le socialisme est précisément une vieille méthode stalinienne et campiste pour faire taire les dissidences et les voix critiques au nom de la lutte contre « l’ennemi principal ».

Contrairement à ce qu’affirme l’article, ce n’est donc pas une lubie journalistique ou « complotiste » que de pointer du doigt les contradictions du PTB entre son discours officiel, son image d’ouverture d’une part, et ses statuts ou ses références internes au stalinisme, d’autre part. C’est au contraire une question essentielle, y compris et surtout pour le PTB lui-même, de faire toute la clarté sur le sujet et de prendre clairement ses distances avec son passé, ses pratiques et ces références.

Pour l’auteur de l’article, par contre, la critique du stalinisme du PTB est d’autant plus à mettre en sourdine que « le PTB semble réexaminer doctrine et pratiques, a rompu avec la Corée du Nord et n’est en tout cas plus une forteresse monolithique et dogmatique téléguidée par Pékin. Ensuite et surtout parce que ce PTB en évolution est en position d’ouvrir une faille dans le monopole électoral du Parti Socialiste. Au moment précis où celui-ci cherche à se maintenir au pouvoir pour imposer le programme néo libéral ». Bref, il s’agit bel et bien là d’une attitude « campiste » dictée par une « realpolitik » en réalité fort peu réaliste.

Personne ne souhaite évidement revenir à la situation du passé, avec ses divisions au couteau, ses invectives et ses polémiques puériles. Mais on tord ici le bâton dans l’autre sens.

Le PTB a-t-il changé ?

L’affirmation selon laquelle le PTB « semble réexaminer doctrine et pratiques » doit être vérifiée. Mais, tout d’abord, que le PTB ait changé d’une certaine manière, ce n’est nullement un scoop et cela ne date nullement d’hier. Cela fait au moins treize ans que le PTB a commencé à opérer un virage vis-à-vis du sectarisme stalinien le plus outrancier qui l’avait caractérisé tout au long des années 1970, 1980 et 1990. Ainsi, en 2000 déjà, des discussions ont eu lieu entre le SAP et le PTB à Anvers pour une liste électorale unitaire aux communales, et Peter Mertens (président du PTB) avait été invité cette année là à l’école d’été du POS pour en débattre (sa présence à la dernière « école anticapitaliste » de la LCR n’était donc en rien inédite). En 2001, dans le contexte du mouvement alter mondialiste, le PTB, le POS et des militants libertaires et autres ont étroitement collaborés au sein de la « coordination D14 » qui organisait le contre-sommet et la manifestation comme le sommet de l’Union Européenne à Bruxelles. En 2003 et en 2004, pour la première fois de son histoire, le PTB présentait des listes non étiquetées PTB, avec la liste « debout » autour de D’Orazio, la liste « maria » à Bruxelles autour d’une syndicaliste de la SABENA et la liste « resist » à Anvers autour de Dyab Abou Jajah. Après les échecs relatifs de ces listes, et l’exclusion typiquement stalinienne de sa secrétaire générale, Nadine Rossa-Rosso, qui en était l’artisane, le PTB s’est recentré sur sa propre et seule image et a opéré une transformation en profondeur de celle-ci et de son discours (« parti de gauche, pas d’extrême gauche », mise en sourdine de l’antiracisme dans les campagnes électorales, alignement strict sur la bureaucratie syndicale et transformation de ses structures pour élargir sa base).

Mais ces changements à cent quatre vingt degrés vis-à-vis des années 1970,1980 et 1990 n’ont pas été sans à coups, ni retours de flamme, et surtout ils ne se sont absolument pas accompagnés d’une évolution « doctrinaire » interne d’une même ampleur. Ces virages sont d’ailleurs parfaitement compatibles avec le maintien de leur stalinisme. L’histoire de ce dernier en témoigne, avec ses zigzags des années 1930 entre la ligne « classe contre classe » identifiant la social-démocratie au « fascisme » et celle des « fronts populaires » de participation au pouvoir avec cette même social-démocratie.

Si le maintien de la nature stalinienne du PTB pose beaucoup de questions aujourd’hui c’est qu’il ne s’affiche plus ouvertement comme tel. Le problème, c’est également qu’on ne tient pas suffisamment compte de sa « double » nature, ou de son caractère « hybride » aujourd’hui, avec sa structure à plusieurs « cercles » de membres. D’une certaine manière, il n’y a pas « un » PTB, mais « plusieurs », bien qu’ils n’aient pas la même importance et influence. Ainsi, bon nombre de ses nouveaux membres « adhérents », pour ne pas dire la majorité, ne s’identifient pas avec le stalinisme (même « en cachette ») et n’en savent sans doute pas grand chose. Mais ce sont précisément eux qui n’ont pas de poids, ou si peu, dans la structure décisionnelle interne, dans les grands choix d’orientation qui sont dictés par le « noyau dur » central des membres effectifs, et plus encore dans les instances de direction où les références internes au stalinisme sont toujours bel et bien présentes, ainsi que dans les formations pour les cadres destinés à intégrer ces instances.

Ainsi, et jusqu’à preuve formelle du contraire, il faut continuer à appeler un chat, un chat : le PTB est et reste un parti mao-stalinien, en dépit de toute son épaisse coquille externe et de son image « new look ». Et le stalinisme, ce n’est pas seulement des références historiques lointaines, c’est aussi une pratique et une conception du monde, du projet de société « socialiste », de la lutte et de l’instrument nécessaires pour y parvenir. Le campisme exprimé par la majorité des organisations staliniennes ou d’origine stalinienne vis-à-vis des processus révolutionnaires dans le monde arabe (et dans le cas de la Syrie en particulier) le démontre.

Derrière ces polémiques, ce ne sont pas seulement des divergences sur la situation internationale ou sur tel processus dans un pays exotique qui s’exprime, elles reflètent également des conceptions très profondes sur la lutte anticapitaliste, la place de la démocratie dans celle-ci, sur les modalités de la transformation sociale et sur la société alternative à construire.

S’il est vrai que le PTB n’évoque plus ouvertement de manière positive la Corée du Nord, par exemple, cela ne prouve nullement que ses dirigeants et ses cadres aient modifié en profondeur leur appréciation sur la nature du régime nord-coréen. Quant à la Chine, un article récent publié sur le site du PTB et visiblement élaboré après de laborieuses discussions internes, exprime une position qui n’est certes plus la même qu’il y a vingt ans, mais qui ne permet certainement pas non plus d’affirmer que la conception du socialisme par le PTB a subi une (r)évolution notable. Dans ce dossier, le PTB affirme en creux, à côté de quelques critiques, qu’il n’y a pas de capitalisme en Chine (puisque, selon lui, ce pays semble seulement « se diriger en essence » vers une telle économie). Il affirme surtout que l’état y maintient une « structure socialiste sous la direction d’un parti communiste ». Le fait qu’un pays de plus d’un milliard d’habitants soit dirigé par un parti unique qui écrase toute dissidence politique, à sa droite comme à sa gauche, ne semble visiblement pas constituer un quelconque problème aux yeux du PTB, même « new look ».

Dans une récente interview croisée avec un représentant du SP hollandais, Peter Mertens, tout en soulignant les nombreuses proximités entre les deux partis, conclut en disant que « nous ne sommes pas les mêmes. Nous avons notre tradition, notre ossature marxiste, notre interprétation d’un avenir socialiste. Elles diffèrent de celles du SP ». Ce qui est d’autant plus piquant ou éclairant que le SP hollandais était un parti mao-stalinien comme le PTB, mais qui a abandonné sa « tradition » en même temps que son radicalisme anticapitaliste. Dans l’esprit des cadres du PTB, il est clair que le maintien de leur stalinisme est considéré comme un garde-fou, comme une digue qui leur évitera de sombrer « corps et âmes » dans l’opportunisme le plus plat.

Au final, la question principale est que, s’il est toujours et en tout temps nécessaire et utile de critiquer intelligemment ou de pointer sobrement du doigt les limites et les contradictions de l’évolution du PTB, personne ne changera le PTB à sa place. Tant qu’il n’aura pas fait un aggiornamento clair et explicite sur son stalinisme (au lieu de botter en touche en parlant de « questions à laisser aux historiens »), on ne peut pas faire comme si celui ci n’existait pas, se taire ou faire comme s’il était en voie de lente mais sûre résolution, ou encore comme si ces contradictions étaient mineures, purement secondaires et sans importance « au regard des intérêts des travailleurs » ou de certains calculs électoralistes.

Si le but affiché aujourd’hui de la LCR est d’œuvrer en direction d’une « recomposition en profondeur » de la gauche à partir du PTB (ce qui, comme on l’a dit, nous semble plus qu’hypothétique), afin de déboucher sur « une nouvelle expression politique des exploités et des opprimés », alors ces questions sont d’autant plus vitales et nécessaires.

Bien sûr, la collaboration sur le terrain des luttes avec les militants du PTB, comme avec ceux des autres organisations de la gauche radicale, est tout aussi essentielle, utile et nécessaire. Mais quand on s’engage d’une telle manière avec ce parti dans une perspective qui dépasse largement le seul terrain électoral conjoncturel et englobe une perspective politique plus large, on entre dans une dynamique qui risque de se révéler très coûteuse. D’autant plus que certains dans la LCR voudraient sans doute aller encore plus loin en s’intégrant dans le PTB, le seul obstacle (de taille et éloquent) étant le refus de celui-ci d’accepter tout ce qui peut ressembler de près ou de loin au « droit de tendance ».

Dans sa déclaration de novembre, le Secrétariat de la LCR conclut en disant que « le PTB change, chacun s’en aperçoit ». Mais, plus encore que le PTB, n’est-ce pas en réalité la LCR qui change, et pas nécessairement dans le bon sens ?

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