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30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 13:35

http://www.alencontre.org/asie/turquie/la-plus-grande-chasse-aux-sorcieres-de-lhistoire-de-la-turquie.html

https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/jul/22/biggest-witch-hunt-turkish-history-coup-erdogan-europe-help

La plus grande chasse aux sorcières de l’histoire de la Turquie

Par Can Dündar

Vendredi 22 Juillet 2016

La tentative de coup d'état s’est produite le Vendredi 15 Juillet 2016. Le Dimanche 17 Juillet 2016 avait été diffusée sur un compte pro-gouvernemental des réseaux sociaux une liste de soixante treize journalistes qui devaient être détenus. Mon nom figurait au haut de la liste.

En trois jours, vingt portails ont été rendus inaccessibles et les licences de vingt quatre émetteurs radio ont été supprimées. Une attaque contre le quotidien Meydan a été lancée et ses quatre directeurs furent arrêtés, puis libérés vingt quatre heures plus tard. Jeudi 21 Juillet 2016, le journaliste Orhan Kemal Cengiz, aussi inclus dans la liste mentionnée, fut arrêté à l’aéroport conjointement avec sa femme. Il est quasi impossible d’écouter aujourd’hui des voix dissidentes dans les médias largement contrôlés par le gouvernement. La Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a été suspendue jusqu’à nouvel ordre. Un climat de crainte plane sur le pays.

Quand cette semaine le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré l’état d’urgence pour trois mois, j’ai pensé que rien n'avait changé. En tant que journaliste qui a produit des documentaires sur tous les coups d'état qui se sont déroulés dans le pays et qui a vécu les trois derniers, je savais trop bien quelle pourrait être la terreur que produirait un régime issu de la tentative de coup d'état militaire du Vendredi 15 Juillet 2016.

Toutefois, je savais aussi que son échec renforcerait Recep Tayyip Ergodan, le transformant de même rapidement en un oppresseur.

La politique de la Turquie a fonctionné toujours comme un pendule, elle passe des mosquées aux casernes et revient. Quand il oscille trop du côté de la mosquée, les soldats apparaissent et cherchent à le basculer vers les casernes. Et lorsque la pression en faveur de la sécularisation se fait trop grande, le pouvoir des mosquées augmente. Et les démocrates éduqués, se situant entre ces deux extrêmes, sont toujours ceux qui prennent des coups.

Pourquoi ne pouvons-nous pas échapper à ce dilemme ? Il est facile de l’expliquer et difficile de le résoudre. Les militaires turcs ont été, malheureusement, les seuls gardiens du sécularisme, dans un pays au sein duquel la société civile n’a pas pu maturer, où les partis d’opposition sont faibles, où les médias ont été censurés et où les syndicats, les universités et les autorités locales ont été neutralisés. Les forces armées ont toujours prétendu être les uniques protecteurs de la modernité du pays.

Néanmoins, paradoxalement, chaque coup planifié a non seulement porté atteinte à la démocratie, mais a stimulé le radicalisme islamique. Un récent événement lors des funérailles d’une manifestante contre le coup d'état symbolisait à la perfection cette situation. Le président était présent. L’imam a prêché de la sorte, « dieu, protégez-nous de la malignité, avant tout celle des éduqués ». Amen, a lancé la foule.

Ainsi, la tentative de coup de la semaine passée n’est que le dernier exemple d’une oscillation centenaire. Mais elle se développe de telle façon à être une des pires. Durant la tentative de coup d'état du Vendredi 15 Juillet 2016, la foule répondit à l’appel des mosquées à chaque heure. Lançant le cri Allah o Akbar tout en lynchant des soldats, ils agitaient des drapeaux turcs et les drapeaux verts de l’islam en criant « nous voulons des exécutions ».

Immédiatement ont circulé des listes de toutes sortes de dissidents et pas seulement de journalistes. Quelque soixante mille personnes, parmi lesquelles dix mille policiers, trois mille juges et procureurs, plus de quinze mille enseignants et tous les doyens universitaires, ont été détenues ou licenciées. Et le nombre a augmenté chaque jour. La torture, interdite formellement depuis le coup d'état de 1980, a refait surface. Une campagne visant à ressusciter la peine de mort a été lancée, mesure abolie en 2002. C’est la plus grande chasse aux sorcières de l’histoire de la république.

Que signifie cela ? Avec l’instauration de l’état d’urgence, le pouvoir législatif est neutralisé à grande échelle et l’autorité se déplace vers l’exécutif.

Obstacle sera fait à la possibilité de procès équitables et des restrictions accrues s’imposeront aux médias. Recep Tayyip Erdogan a déclaré que si le parlement se manifestait en faveur de la peine de mort, il l’approuvera. S’il ne bluffe pas, cela peut provoquer une rupture totale avec la famille européenne dont la Turquie se sent déjà exclue.

Pour des raisons que nous ne pouvons toujours pas comprendre, les soldats qui ont essayé de prendre le pouvoir Vendredi 15 Juillet 2016 n’ont bloqué que la route qui conduit de l’Asie à l’Europe. Les voies en direction de la Russie, de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de l’Iran n’ont pas été bloquées. Je le vois comme une décision symbolique, pour une Turquie qui apparaît aujourd’hui piégée en Asie. La porte de l’Europe se ferme.

Et les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont les suivants. Certes, nous nous sommes libérés d’un coup d'état, mais qui va nous protéger d’un état policier ? Certes, nous avons échappé à la malignité des éduqués, quoi que cela signifie, mais comme nous défendrons-nous de l’ignorance ? Certes, nous avons renvoyé les militaires dans leurs casernes, mais comment allons-nous protéger la politique, qui se loge dans les mosquées ?

La dernière question doit être adressée à une Europe préoccupée par ses propres problèmes.

Va-t-elle fermer les yeux à nouveau et coopérer parce que Recep Tayyip Erdogan tient les clés de la question des réfugiés ? Ou allez-vous avoir honte du résultat de votre appui et vous placer aux côtés de la Turquie moderne ?

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